Football – « 18 H 00 : l’heure de la honte et du mépris » – Par E. J. Folliard 🔓

Le Stade Lavallois a débuté il y a quelques semaines sa saison 2019 – 2020 en National. Après la terrible désillusion de la saison dernière et la perte du statut professionnel, le club mayennais a décidé « d’écrire une nouvelle page » comme le proclame son nouveau slogan, empreint de plus d’humilité que le funeste «  objectif ligue 2  ». Avec cette fois une contrainte de taille…

Le football sans compter avec les « gens des gradins »

Par E. J. Folliard


Et pour ce nouveau chapitre, il faut admettre que les nouveautés sont légion. En premier lieu, un nouvel entraîneur aguerri aux joutes de National, Olivier Frapolli, venu de Boulogne-sur-Mer et sensé mettre fin à l’impressionnant défilé de « techniciens » que connaît le club depuis trois ans. Puis, une nouvelle équipe renouvelée à plus de 80 % afin de retrouver un semblant de jeu et faire vibrer le public exigeant de Le Basser. Elle portera cette saison un nouveau maillot, tango pour les matchs à domicile et bleu pour l’extérieur.

Les maillots sont frappés du fameux M de Mayenne, concept de plus en plus nébuleux sensé développer comme par magie l’attractivité de notre département et qui après la tour Montparnasse, le camping-car, le bateau, le gâteau, a jeté son dévolu sur la malheureuse tunique tango. Il y a parfois des publicités dont on se passerait aisément …

Mais la nouveauté majeure de cette saison, les mayennais ont pu la découvrir et l’expérimenter vendredi dernier lors du match opposant le Stade Lavallois à Quevilly-Rouen. En effet, celui-ci s’est déroulé à un horaire tout à fait atypique pour un match de football : 18 H 00, un vendredi soir ! Et il en sera de même dans dix jours contre le Red Star.

« Une idée iconoclaste »

Il ne faut pas être grand connaisseur des choses du ballon rond et au-delà de la manière dont vit la quasi-totalité de la population de notre pays pour réaliser l’incongruité de cet horaire. Comment imaginer qu’un club de football puisse se passer purement et simplement de ce qui fait son ADN, son terreau, ce qui l’ancre à son territoire, son public et ses supporters surtout pour un match à domicile. Une des composantes essentielles de la «sainte trinité» du football avec les joueurs et l’entraîneur comme l’exprimait si justement Bill Shankly, mythique manager de Liverpool.

Cette idée tout à fait iconoclaste « du match à 18 h00 le vendredi soir » ne pouvait à coup sûr que venir de l’imagination féconde de technocrates parisiens totalement coupés des réalités et n’y connaissant rien aux affaires complexes du football. Et bien non ! Contre toute logique cet acte de folie, car il convient de le qualifier ainsi, est une œuvre collective des présidents de clubs de national, dont Philippe Jan de Laval, et de la fédération française de football (FFF) qui gère le troisième échelon du football français. Des notables qui ont décidé dans un ultime renoncement de se comporter comme des pères sacrifiant leurs propres enfants pour une terrible équation financière… Il n’y a pas de pire trahison que celle qui vient des siens.

L’explication de ce suicide collectif est malheureusement d’une banalité affligeante et résume l’impasse dans laquelle ces décideurs locaux, pour la plupart chefs d’entreprises brillants et reconnus se sont enfermés au fil des années à force de renoncements.

Parmi les groupes de supporters et l’Association nationale des supporters (ANS) qui ont demandé audience à la FFF, le Laval crew

En Allemagne, en Angleterre, la 3éme division est professionnelle. En France, elle dépend du régime du football amateur géré par la FFF et non sous la tutelle de la Ligue de Football professionnel (LFP). Et si on désigne ce championnat sous le vocable amateur, c’est en fait un véritable championnat professionnel qui n’en a pas le nom. Les budgets des clubs sont conséquents, les charges pour les collectivités territoriales aussi et les joueurs se consacrent pour la quasi-totalité uniquement au football.

« Les invisibles du foot français »

Cette situation hypocrite, profondément malsaine, contraint ce championnat à vivre non pas dans l’ombre de la ligue 1 et 2 mais dans la nuit la plus totale. Les clubs ne sortant de cette terrible obscurité qu’à la faveur d’un bon parcours en Coupe de France qui rappelle, le printemps venu aux chroniqueurs sportifs parisiens, que le football des territoires n’est pas totalement mort face aux métropoles. Ils sont les invisibles du foot français assignés dans un mouroir, n’ayant aucun droit de citer au-delà de ces épiques parcours qui ont consacré Chambly, les Herbiers ou Avranches. Et pourtant loin des plateaux télé de la Ligue des champions, le monde professionnel ne les oublie pas dès lors qu’il s’agit de piller à moindre frais les futures pépites pour nourrir leurs effectifs ou refourguer les surplus de leurs centres de formation pléthoriques.

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Et comme la solidarité n’a jamais existé entre les puissants et les petits, surtout dans le football, malgré les grands discours, il n’est bien sûr pas question de partager le fabuleux gâteau des droits TV pour la période 2020/2024 (1,153 milliards d’euros) dont vient d’hériter la ligue 1. Et pourtant comme l’explique, Gilbert Guérin, le président d’Avranches mais aussi de l’Amicale des Clubs de National (Ouest France 6/12/2018), ce football de seconde zone ne réclame que « 1,3 % des droits télés contre 0% aujourd’hui ». Pure folie quand on sait l’utilité de cette somme en Ligue 1 pour payer certains agents véreux lors de transferts exotiques. Les sous restent des sous et les territoires peuvent crever.

Alors chaque année cette Amicale, et le terme amicale résume à lui seul la velléité de ses membres, monte à Paris pour obtenir au mieux une reconnaissance et au pire un regard bien bienveillant. Et tel les bourgeois de Calais, la corde au cou, le dos voûté, ces présidents n’obtiennent que de vagues promesses ou des réflexions à long terme. Ils sont béarnais, corses ou normands, représentants de ces provinces qui font la France et qui lui ont tant donné au cours de son histoire mais ne reçoivent que mépris. Eux n’ont pas « pas de gilets jaunes » comme le concède Gilbert Gerin, mais pourraient en avoir l’esprit pour porter ce combat.

« Le grand cirque médiatique du foot business »

Alors pour s’acheter une illusoire notoriété, la fameuse « exposition médiatique » » qui leur fera toucher du doigt le grand cirque médiatique du foot business ; ils s’agenouillent comme des vassaux devant le grand diffuseur de football français Canal Plus. Le fabuleux sceaux « vu à la télé », leur fait accepter l’humiliation d’un horaire qui privera, et ils le savent, les plus pauvres de leurs spectateurs de match. C’est le prix à payer pour exister, la servilité qui un jour inéluctablement les conduira à l’échafaud comme tant de clubs de football avant eux. Ils penseront alors à Luzenac, petit bout d’Ariège, terre de bergers, interdit d’exister dans ce football professionnel pour « délit de ruralité »*. Trop petit, trop cul-terreux pour une ligue qui se rêve d’un destin mondial de Londres à Shanghai.

C’est par là que passe « l’ADN, le terreau du Stade lavallois » – © leglob-journal

Aucun de ces managers, ni leur amicale sympathique, n’a eu le courage d’expliquer ce reniement, ce concept novateur permettant de vider les stades pour développer le football ; espérant chacun secrètement fuir à la fin de la saison cet enfer.

En cette fin d’après-midi ensoleillée, vendredi dernier à le Basser, la révolte n’est pas venue des loges et de la tribune d’honneur ; elle s’est exprimé en face. Une banderole « Non au match à 18 H 00 » a été déployée par quelques supporters courageux. Une banderole, une de plus ce weekend, dans un stade de football, une preuve supplémentaire du fossé immense qui s’est créé au fil des ans entre les instances sensées gérer le football français et le public. Ces instances qui ont systématiquement privilégié le téléspectateur, fusse-t-il chinois, au profit du spectateur, oubliant qu’il reste la base du football. Ce spectateur qui après une longue semaine de travail, remonte l’avenue de Coubertin vers le stade Francis Le Basser pour vivre sa passion tango. Celui-là ne twitte pas à longueur de journée comme nos décideurs mayennais sur l’attractivité du département ou sur la défense des territoires mais sait au plus profond de lui que 18 H 00 est devenu l’heure de la honte et du mépris.


* La deuxième chambre de la cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 16 mai 2017 mais également la décision de la LFP du 27 août 2014 refusant l’accès de Luzenac en ligue 2 en 2014.

Photo de Une – © Nicolas Geslin

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