Santé : comment va l’eau du robinet en Mayenne ? – Par Thomas H. 🔓

Un robinet d'eau potable en milieu rural - Illustration Pixabay sur leglob-journal.fr

Faut-il s’inquiéter des pesticides et leurs produits de dégradation, les métabolites contenus dans l’eau du robinet, quand on sait qu’actuellement « environ 35 molécules sont présentes dans l’eau brute de la Mayenne » ? Faut-il craindre un risque accru pour l’eau du robinet, et sa qualité, d’autant que les épisodes de sécheresse sont de plus en plus fréquents et concentrent des résidus toxiques pour la santé ?


Par Thomas H.


La belle lettre i

« Il n’y a pas de quoi s’inquiéter » , nous dit Nadège Davoust, la vice-présidente en charge du service « Eau et assainissement » à Laval Agglo. Questionnée par leglob-journal sur la qualité de l’eau potable dont la collectivité a la responsabilité, l’élue nous rappelle d’emblée que c’est « l’Anses qui évalue la pertinence ou non d’un métabolite, molécule dérivée d’un pesticide. Actuellement huit métabolites sont classés « pertinents » . » Et le S-métolachlore vient tout juste d’être interdit par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) qui délivrent les autorisations de mise sur le marché de ce genre de produits dits « phytosanitaires » .

Une décision qui ne passe pas pour les agriculteurs. Alors le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau a déclaré jeudi 30 mars 2023 au congrès de la FNSEA, après l’annonce de l’Anses, qu’il fallait « une réévaluation de la décision de l’Agence nationale de sécurité sanitaire sur le S-Métolachlore (…) faute d’alternatives crédibles » . La FNSEA et ses puissants relais dans les territoires agissent comme des lobbies, véritables influenceurs des politiques nationales et locales.

Il ne faut pas « s’inquiéter » . Mais lâchés dans la nature, surtout en milieu rural, les pesticides se décomposent en fragments de molécules qui se recombinent avec des éléments du milieu où ils se trouvent pour donner une recomposition chimique nouvelle, dangereuse et cancérigène, c’est ce qu’on appelle les métabolites. Chaque produit phytosanitaire, comme les appellent les organisations syndicales agricoles, mis sur le marché peut produire jusqu’à une dizaine de métabolites une fois répandu dans l’environnement naturel.

Selon Nadège Davoust, « L’ Anses a ainsi proposé une valeur de 0,9 µg/L [µg est une unité de masse égale à un millionième de gramme par litre] dans l’eau potable comme seuil d’action pour les métabolites classés comme « non pertinents » et 0.1 µg/L pour les métabolites classés comme « pertinents ». En l’état actuel des connaissances, cette valeur vise à ce qu’une exposition à ces substances tout au long de la vie ne présente pas de risque pour la santé des consommateurs. » L’élue ajoute : « A date, aucun métabolite ne dépasse ces seuils dans l’eau potable sur le territoire de l’Agglo de Laval. Le métolachlore Esa qui figurait initialement sur les fiches qualité transmises par l’Agence régionale de Santé (ARS) a été classé « non pertinent » le 30 septembre 2022. »

« En 2021, selon des données collectées par Le Monde auprès des agences régionales de santé (ARS), d’agences de l’eau ou de préfectures, environ 20 % des Français de métropole – soit quelque 12 millions de personnes – ont reçu au robinet, régulièrement ou épisodiquement, une eau non conforme aux critères de qualité. Ce chiffre était de 5,9 % en 2020, selon le ministère de la santé » . En très nette augmentation. Des chiffres qui sont, toujours selon le quotidien, « saisissants. Ils révèlent l’étendue de la contamination des ressources hydriques par les pesticides et leurs produits de dégradation, les métabolites ; ils montrent aussi de profondes lacunes, perdurant depuis de nombreuses années, dans la surveillance de l’eau potable.« 

Pourtant, selon Nadège Davoust, « Plus de 850 molécules (pesticides, médicaments, métabolites…) sont recherchées dans l’eau brute (eaux des nappes phréatiques ou des rivières). Environ 35 molécules sont présentes dans l’eau brute de la Mayenne. » Selon l’élue de l’agglomération de Laval, la collectivité qui regroupe 34 communes, « Les étapes de traitement de l’eau, de l’usine de Pritz [à Laval], permettent d’éliminer plus de 30 de ces molécules. Les molécules restantes sont en dessous des seuils fixés par la réglementation, soit en dessous de 0.1 microgramme par litre. » Nous sommes rassurés.

En Pays de la Loire selon des données officielles de la Direction générale de la Santé (DGS), 25% de la population seraient confrontés à « une eau non conforme aux critères de qualité » . Pour Bertrand Jarri, administrateur de l’Association Pays de Loiron Environnement, « cela ne va faire qu’empirer avec les problèmes de sécheresse ; les concentrations de pesticides ne peuvent qu’augmenter avec le manque d’eau lié au dérèglement climatique…« 


Un robinet d'eau potable en milieu rural - Illustration Pixabay sur leglob-journal.fr
Un robinet d’eau potable en milieu rural

Molécule à la vie dure


Qu’en est-il par exemple de l’Atrazine et de ses métabolites qui ont été très largement utilisées pour détruire les herbes dans les plantations de maïs ? « Interdite depuis 2003 en France, l’atrazine est toujours recherchée, nous dit Nadège Davoust, mais n’a plus été retrouvée depuis plus de 15 ans. On détecte ponctuellement l’un des cinq métabolites de l’Atrazine mais à des concentrations extrêmement faibles, quelques nanogrammes par litre dans l’eau brute. Ils sont totalement absents dans l’eau potable. » déclare-t-elle.

En Mayenne, en mai 2021, un courrier avait été envoyé. Signé des trois co-Présidents de Pays de Loiron Environnement, la lettre interpellait le Président du SIAEP Centre Ouest Mayennais, un Syndicat Intercommunal d’alimentation en Eau né en 2014 de la fusion de quatre syndicats d’eau, ceux de Loiron, du Bourgneuf-la-Forêt, de Juvigné et de Port-Brillet. La problématique portait aussi sur la qualité de l’eau du robinet distribuée. Copie du courrier avait été envoyée pour information à la Presse, mais aussi au Préfet de la Mayenne, aux députés Géraldine Bannier, Yannick Favennec, Guillaume Garot, à l’Agence Régionale de Santé (ARS), à Générations Futures, aux candidats aux élections départementales et élections régionales de l’époque, au Président de Laval Agglo, à celui de la Communauté de communes Pays de Craon et de Mayenne Communauté. Mais aussi les maires du Genest-Saint-Isle, de Saint-Ouen-des-Toits, du Bourgneuf-la-Foret, de Loiron-Ruillé, de Craon, et de Mayenne.

Seule Nadège Davoust, et donc Laval Agglo, y avait répondu selon Bertrand Jarri qui constate par ailleurs un « manque certain de transparence » de la part des décideurs locaux et une certaine envie de ne pas se mêler de cette problématique pourtant vitale.

Dans la lettre documentée, tableau à l’appui, il était question notamment de la « présence de produits de dégradation de pesticides dans l’eau distribuée en 2019 pour les abonnés dépendant du captage de l’étang de la Forge à Port-Brillet. La teneur maximale observée pouvait-on lire est de 0.2 µg/L, soit le double de la norme de 0.1 µg/L fixée par précaution. Et plus étonnant encore, la durée de dépassement est de 197 jours, soit plus d’un jour sur deux pendant une seule année. » La lettre citait « Les produits incriminés comme l’ ESA métolachlore (C’est un perturbateur endocrinien interdit en France depuis 2003, utilisé comme herbicide dans la culture du maïs, mais aussi des haricots, ananas, sorgho, canne à sucre, soja et tournesol) ; L’ESA alachlore (son autorisation et sa mise sur le marché sont interdites depuis 2006, et ne font pas partie des substances actives autorisées) ; l’ESA métazachlore (Il est utilisé notamment pour le désherbage du Colza.) ; et l’OXA métolachlore ; tous sont des métabolites de chloroacétamides  » .

« Le chloroacétamide est toxique lorsqu’il est ingéré, il irrite les yeux et la peau et peut provoquer une réaction allergique. Il est considéré comme nuisible à la fertilité et pourrait provoquer des malformations congénitales.  » .

« En se référant à la consommation d’eau nécessaire pour une personne adulte par jour, soit de 1,2 à 1,5 litres (…) pour les abonnés du Genest Saint-Isle buvant de l’eau du robinet, cela fait une consommation de 47 µg/an à 59 µg/an de résidus de pesticides, ont calculé les signataires des courriers. Les habitants de Saint-Ouën-des-Toits sont plus particulièrement touchés, car ils ingurgitent trois fois la dose valeur limite sanitaire de consommation (50 µg/L), soit131 µg/an pour la seule année 2019 du produit de dégradation ESA alachlore et 38% (197 µg/an) de la dose de valeur limite sanitaire de consommation pour ESA métolachlore. » Celui-là même que l’Anses vient d’interdire mais que la FNSEA voudrait bien continuer d’utiliser, fautes « d’alternatives crédibles » selon les propos du ministre de l’Agriculture.

Les responsables de Pays de Loiron Environnement écrivent encore dans ce courrier resté sans réelle réponse : « L’ARS est réglementairement chargée du contrôle sanitaire de l’eau distribuée, et l’exploitant doit aussi surveiller ses installations et la qualité de l’eau qu’il produit et distribue. Le bulletin de l’ARS indique bien que « tout dépassement de l’exigence de qualité (0.1µg/L) nécessite une évaluation et une gestion spécifique des risques sanitaires ». Or le constat est établi qu’aucune information n’a été faite à ce sujet. « 


Déficit d’informations


En 2021, sur le secteur de Laval Agglomération, la qualité de l’eau distribuée cette année-là est simplement qualifiée de « peu calcaire, et de très bonne qualité bactériologique » . Pas de bactéries mais des métabolites issues des pesticides. L’eau distribuée au robinet « provient de l’Usine des eaux de Pritz à Laval, avec des prises d’eau, des captages à Laval Pritz et Changé – avec des périmètres de protection instaurés. L’eau brute captée subit un traitement complet avant distribution. » Concernant les pesticides, « plus de 200 pesticides et produits de dégradation (ou métabolites) sont recherchés, – nous dit la feuille de commentaire de l’ARS qui accompagne la facture de Laval Agglo -, à des fréquences variables selon le débit de la station de traitement » .

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Dessin original de V❀ pour leglob-journal – © leglob-journal.fr

L’ARS continue ses explications, en stipulant que « la plupart de ces molécules (sans qu’aucune ne soient citées) font l’objet d’une limite de qualité réglementaire dans l’eau du robinet de 0,1 microgramme par litre (µg/L) par molécule et de 0,5 µg/L pour la somme » . L’agence régionale de Santé s’empresse de rajouter que « la valeur réglementaire de 0,1µg/L n’est pas fondée sur une approche toxicologique et n’a donc pas de signification sanitaire. Pour autant, tout dépassement de cette valeur nécessite une évaluation par comparaison avec la valeur sanitaire maximale établie par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), ainsi qu’une gestion spécifique visant le retour à la conformité» .


Des explications qui sont, il faut bien l’admettre, peu accessibles… Sauf peut-être cette petite phrase située en face du paragraphe en question qui se veut rassurant : « Taux de conformité 100% » . Sans que l’on sache de quoi l’on parle précisément.

Il n’y a que sur les Nitrates, avec son « risque suspecté d’effets cancérigènes à long terme » comme l’écrit l’ARS et sur le Fluor que l’on obtient des informations avec des « taux minimum, moyen et maximum » . Ainsi « en 2021, le taux de nitrate dans l’eau de Laval Agglo était à son maximum, à 40 mg/l alors que la teneur limite est de 50 mg/l. »

« C‘est d’autant plus inquiétant que tous les réseaux de distribution d’eau potable sont interconnectés entre eux, avance Bertrand Jarri administrateur de l’Association Pays de Loiron Environnement. On peut se retrouver avec de l’eau sur le robinet de n’importe quel captage en Mayenne, et ils sont nombreux… » .

L’information donnée par les organismes officiels est jugée insuffisante par tous les experts qui s’intéressent à la qualité de l’eau potable au robinet. Pourquoi ? Sans doute parce que ce n’est qu’en 2021 que les autorités sanitaires ont réagi. Répondant à une instruction de la Direction générale de la Santé (DGS) de décembre 2020, les ARS ont commencé seulement à partir de cette date à surveiller certains métabolites de pesticides qui n’étaient jusqu’alors pas recherchés. Chaque produit pesticide peut produire jusqu’à une dizaine de métabolites une fois répandu.  

D’où la difficulté d’intervention. Faire des recherches concernant les 200 pesticides annoncés, « ça a un coût, alors on préfère peut-être agir par omission… » analyse Bertrand Jarri qui constate aussi que l’ « on reçoit cette feuille de l’ARS avec notre facture d’eau et avec du retard… On nous donne des informations sur la qualité de l’eau de l’an dernier… L’ARS devrait être capable comme d’autre institutions d’effectuer une actualisation, c’est à mon sens une absence de transparence patente » .


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Tableau des pesticides et ses métabolites contenus dans l’eau du robinet en fonction de la source d’approvisionnement en eau en 2019 – source Pays de Loiron Environnement

Concernant les actions entreprises auprès des agriculteurs, Laval Agglomération se targue d’être « lauréat d’un appel à projet, lancé par la Région des Pays de la Loire » . Il vise, explique Nadège Davoust, à améliorer la qualité des eaux brutes. « Après une phase de diagnostics, nous travaillerons avec les agriculteurs afin de préserver les aires d’alimentations des captages d’eau. Depuis le 1er janvier 2023, Laval Agglomération et le Syndicat de Bassin JAVO (Jouanne – Agglomération de Laval – Vicoin – Ouette) travaillent ensemble pour améliorer les actions de prévention. » .


Des usines à traitement actif


Pour Nadège Davoust : « Les usines actuelles permettent de traiter les pesticides. Les analyses étant de plus en plus poussées ; l’ARS recherche maintenant des traces infimes de molécules. En parallèle, nous améliorons les process pour éliminer ou capter ces molécules. Depuis plusieurs années, nous nous concentrons à sélectionner les meilleures qualités des charbons actifs, matériaux ayant la capacité de piéger les molécules (pesticides, médicaments, métabolites…), dans les usines du territoire. » Reste les œstrogènes qui posent problèmes.

Pour ce qui est de l’information de l’ARS qui accompagne la facture d’eau de Laval Agglo, l’élue reconnaît que ce n’était pas ce qu’il faut faire : « L’ARS contrôle quotidiennement la qualité de l’eau que ce soit sur le réseau mais également aux domiciles des particuliers ou dans différents établissements. Ils viennent en complément des autocontrôles réalisés quotidiennement au laboratoire de l’usine des eaux par nos services. Effectivement, quand le métabolite , ESA métolachlhore, était encore classé « pertinent » par l’ANSES, il y a eu une détection infime de ce métabolite en 2020. Il n’y avait aucun danger au niveau de la santé pour les consommateurs mais l’ARS informait dans un encadré sur la facture que l’eau contenait des pesticides. Nous avons prévenu l’ARS que cette formulation n’était pas correcte car, même si nous sommes pour la transparence et l’information aux abonnés, cette formulation affolait les abonnés et les poussait à aller acheter de l’eau en bouteille plastique ! »  

Dans la nouvelle usine de traitement de l’eau qui est en projet à Laval pour le compte de Laval Agglomération, outre les traitements actuels à l’Usine de Pritz sur Laval qui donne une « eau de très bonne qualité » , assure Nadège Davoust, « la future usine comprendra une étape de traitement supplémentaire à savoir, un réacteur de traitement aux charbons actifs, améliorant encore un peu plus la qualité de l’eau produite. » L’élue rappelle que « le coût de traitement subit de plein fouet les augmentations du coût de l’énergie et des réactifs (+35% pour l’électricité, +50% sur le coût du charbon actif, +30 à 40% sur les autres réactifs…), ces augmentations ont un impact beaucoup plus fort sur le prix du mètre cube que le nombre de molécules suivies. »

Et Nadège Davoust, élue écologiste, – elle siège aussi au conseil départemental de la Mayenne -, de conclure en insistant au delà du simple constat sur un paradoxe : « L’eau que nous produisons est d’excellente qualité… insiste-t-elle. Ce qui n’est pas normal, selon moi, c’est que des pesticides soient toujours commercialisés, ce qui continue à polluer l’eau et enrichit les entreprises de production de produits chimiques ! »


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