François Bayrou a nommé son gouvernement le 23 décembre 2024 . AFP
Par The Conversation*
« On prend les mêmes et on recommence », voilà ce qui s’entend au sujet du tout récent gouvernement Bayrou qui selon le Monde a « manqué son pari » ; un premier ministre qui « recycle, et reconditionne » de « vieilles figures politiques ». Sur le fond, pas de grandes différences avec la ligne de Barnier. En revanche, une volonté de se détacher de l’Élysée et de mettre l’accent sur l’autorité, au détriment des volets sociaux et économiques. Décryptage avec Mathias Bernard, historien de la politique, Université Clermont Auvergne (UCA)
Quelles sont, Mathias Bernard, les principales différences entre le gouvernement Bayrou et le gouvernement Barnier ?
Les différences ne sont pas évidentes. Il y a une continuité dans la sensibilité politique globale et dans la composition : sur quatorze ministres de plein exercice, sept faisaient déjà partie du gouvernement Barnier. La principale originalité est la primauté donnée au régalien. Dans l’ordre protocolaire, parmi les quatre ministres d’État qui arrivent en premier, trois sont relatifs aux fonctions régaliennes (Intérieur, Justice, Outre-mer). Cela traduit une volonté d’affirmer une forme d’autorité. C’est la marque de Bayrou, déjà imprimée dans la manière dont il s’est imposé comme premier ministre.
Le positionnement des ministères sociaux et économiques montre qu’ils sont au deuxième plan. Le ministre de l’Économie, Éric Lombard, est le sixième dans l’ordre protocolaire. Dans les gouvernements de la présidence Macron, l’économie était habituellement numéro deux. L’économie positionnée au sixième rang, confiée à un technicien, a fortiori dans le contexte budgétaire actuel, c’est un choix politique. Cela montre que ce n’est pas là-dessus que François Bayrou veut adresser des signaux à l’opinion. Par contre, l’éducation est le portefeuille numéro deux du gouvernement, c’est rare et c’est un choix personnel assumé par le premier ministre.
Il y a une autre nuance par rapport au précédent gouvernement : la recherche de cohérence. Le gouvernement Barnier a été marqué par une forme de conflit entre Didier Migaud à la Justice et Bruno Retailleau à l’Intérieur. Il y aura beaucoup plus de cohérence dans la politique conduite entre Gérald Darmanin et Bruno Retailleau.
Donner des gages au RN
Bruno Retailleau est le seul ministre dont le nom a été connu bien avant la composition de l’ensemble du gouvernement. C’était l’homme le plus à droite du gouvernement Barnier. Comment interpréter cet empressement à le reconduire dans ses fonctions ?
C’est une manière de donner des gages à l’électorat du Rassemblement national, un calcul politique pour obtenir une abstention la plus longue possible de la part du RN. Bayrou compte sur le fait que le RN n’osera pas recensurer rapidement un gouvernement, surtout avec la présence de Darmanin et de Retailleau. Cela peut fonctionner quelques mois.
En revanche, c’est un vrai problème de fonctionnement démocratique. Il s’agit d’un calcul politicien qui ne prend pas en compte la réalité politique du pays. Ce qui s’est exprimé au mois de juillet, c’est la victoire d’un front républicain. Logiquement, il aurait fallu avoir un gouvernement de front républicain. C’est ce qui a permis l’élection d’un certain nombre de députés. Un certain nombre de concessions ou de signaux sont adressés au Rassemblement national alors que ces forces avaient prétendu le combattre lors des élections législatives. Les leçons du scrutin de juillet n’ont jamais été tirées. On est sur une forme de déni de l’expression politique du pays.
Que penser du choix de Gérald Darmanin à la Justice, alors qu’il a été accusé de viol et d’abus de faiblesse, et d’Élisabeth Borne à l’Éducation, alors qu’elle a fait un usage record du 49.3 et qu’elle est considérée par beaucoup de Français comme le symbole de la réforme des retraites ?
Ce sont des éléments de fragilité. Mais dans l’exercice de la composition d’un gouvernement, beaucoup de nominations ouvrent des brèches pour la critique. François Bayrou montre que ça ne l’arrête pas. C’est une manifestation d’autorité de sa part.
Concernant Élisabeth Borne, je pense que ce qui l’a intéressé, c’est d’abord d’avoir une femme. Quand on regarde le casting des quatre ministres d’État, on constate que cette partie du gouvernement s’est masculinisée (même si la suite du gouvernement est plus paritaire). Ensuite, il y avait ce souci d’avoir le maximum de poids lourds, une volonté de donner à ce gouvernement une image d’union nationale ou de défense républicaine : il s’agit de montrer que, dans la crise profonde que traverse notre pays, mais surtout notre système politique, le gouvernement rassemble des personnalités fortes, venues d’horizons politiques différents, mais unies par la volonté d’affirmer l’autorité de l’État républicain. Le fait qu’elle soit une ancienne première ministre a beaucoup compté. Enfin, il faut y voir une volonté d’affirmer l’autorité de l’État : c’est quelque chose qui est reconnu à Élisabeth Borne. Cette nomination va dans le sens de cette cohérence recherchée, en prenant le risque de l’impopularité.
Le gouvernement penche clairement à droite…
Il ne s’agit pas du tout d’un gouvernement équilibré, contrairement aux engagements initiaux du premier ministre. Ce n’est pas une surprise : cette dérive vers la droite est une évolution du macronisme depuis 2019-2020. Ce qui est appelé le bloc central s’identifie plutôt à une union allant du centre droit à une droite traditionnelle, conservatrice. Les « prises de guerre » affichées comme venant de la gauche n’en sont pas vraiment puisque que François Rebsamen ou Manuel Valls ont rompu avec le PS et ont appelé à voter Macron dès 2017. C’est l’aile gauche du macronisme, mais pas du tout un élargissement vers la gauche. C’est un gouvernement qui rassemble les différentes sensibilités du centre droit et de la droite, dans la continuité de ce qu’on voit depuis la réélection de Macron en 2022.
Le rapport de pouvoir entre le président et le gouvernement évolue-t-il avec cette nouvelle équipe ?
Le pouvoir n’est plus du tout à l’Élysée. Il est à Matignon, il est au gouvernement. Même si Macron s’était plaint de la volonté d’indépendance de Barnier, le gouvernement précédent ménageait les susceptibilités de l’Élysée. Les concessions faites à Emmanuel Macron sont beaucoup plus réduites dans ce gouvernement. Il n’y a pas une différence fondamentale de positionnement politique entre les deux.
En revanche, en termes de forme, on observe le retour de l’ancien monde. Une bonne partie des ministres qui composent ce gouvernement sont des personnalités connues : Borne, Valls, Darmanin, Retailleau, Catherine Vautrin, Rachida Dati, Rebsamen. Sur ces 4 ministres d’État, deux ont déjà exercé la fonction de premier ministre. S’il est parfois arrivé qu’un ancien premier ministre exerce des fonctions ministérielles (on peut penser à Michel Debré, Laurent Fabius, Alain Juppé ou Jean-Marc Ayrault), c’est la première fois depuis le gouvernement de Gaulle de 1958 qu’il y en a plusieurs : cela souligne à la fois le contexte de crise actuel et la volonté de rassembler au gouvernement des personnalités de premier plan. Il s’agit là d’un retour de l’incarnation politique en dehors du président de la République. Cette séquence politique traduit l’affaiblissement du rôle personnel du président de la République au profit du premier ministre et de son équipe.
En nommant un gouvernement avec des personnalités reconnues, François Bayrou essaie de faire peser la balance du côté du gouvernement par rapport au président de la République. C’est aussi une manière de rompre avec cette tendance du macronisme d’avoir plutôt des ministres technos assez peu connus, assez peu médiatisés, etc.
Ce gouvernement peut-il durer plus que celui de Barnier ?
A priori, on voit mal une gauche qui a censuré le gouvernement Barnier ne pas censurer le gouvernement Bayrou qui confirme, voire accentue, cet ancrage à droite. Aucun signal n’a été adressé à la gauche, alors même qu’une partie du PS et des écologistes s’étaient dits prêts à discuter d’accords de non-censure. C’était un choix dès le départ, y compris en annonçant, avant même que le gouvernement soit composé, la présence de Bruno Retailleau. C’était aussi une manière de fermer la porte à la gauche.
C’est malheureux à dire, mais la clé de la stabilité ou non de ce gouvernement est entre les mains du Rassemblement national. La question est de savoir si Marine Le Pen et Jordan Bardella ont intérêt à faire tomber ce gouvernement. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas, le RN ne va pas courir le risque d’être accusé d’alimenter l’instabilité. Ce gouvernement peut tenir deux, trois ou quatre mois. Au-delà, ça me semble difficile.
Quelles sont les sorties de crise possibles pour éviter d’avoir des gouvernements qui durent trois mois, à répétition ?
Il y en a deux. La première supposerait une volonté de l’ensemble des acteurs de tirer les leçons de l’élection de juillet 2024, c’est-à-dire de constituer un gouvernement qui soit à l’image, non pas du premier tour des législatives ou de ce qu’aurait souhaité Emmanuel Macron, mais à l’image du second tour : un gouvernement de front républicain allant de LFI jusqu’au bloc central, puisqu’au niveau de l’électorat, c’est ce rassemblement d’électeurs qui a permis l’élection des deux tiers des députés.
Pour l’instant, cette traduction en majorité gouvernementale de ce qui a été une majorité électorale n’est pas possible pour des raisons qui tiennent aux choix du président – qui refuse de composer avec une partie de la gauche, mais également pour des raisons qui tiennent au positionnement de la France insoumise, laquelle estime que c’est le nouveau Front populaire qui a gagné l’élection, ce qui n’est pas non plus vrai.
La seconde solution de sortie de crise est une nouvelle dissolution de l’assemblée. Ce n’est pas possible avant le mois de juillet prochain.
*Propos recueillis par Aurélie Louchart – cet entretien a été publié: 24 décembre 2024, sur The Conversation