La Procureure : « J-M. Allain a exercé comme un seigneur en son royaume »🔓

Jean-Marc Allain le maire de Gorron entrant au Tribunal de Laval - ©️ leglob-journal.fr
Jean-Marc Allain le maire de Gorron entrant au Tribunal correctionnel de Laval – ©️ leglob-journal.fr

Dix-huit mois de prison avec un sursis simple et cinq ans d’inĂ©ligibilitĂ© demandĂ©s par la procureure de la RĂ©publique de Laval Ă  l’encontre du maire de Gorron et conseiller dĂ©partemental de la Mayenne Jean-Marc Allain pour « Prise illĂ©gale d’intĂ©rĂŞts » et « Favoritisme ». Pour sa fille et le gendre de l’Ă©lu comparaissant pour « Recel », la magistrate a requis quatre mois avec sursis. Le tribunal a mis son jugement en dĂ©libĂ©rĂ© au 16 mai 2024. RĂ©cit


Par Thomas H.


la belle lettre Q du Glob-journal

Quand la Procureure dĂ©bute son rĂ©quisitoire, le maire est assis sur le banc des prĂ©venus, son corps semble presque pliĂ© en deux. Jean-Marc Allain sanglote et se tient la tĂŞte. Il vient de craquer et plaque ses mains sur ses yeux rougis en soulevant ses lunettes. Le maire vient de rĂ©pondre aux questions soutenues du prĂ©sident du tribunal qui est assistĂ© de deux magistrates, car dans cette affaire « technique » de « Prise illĂ©gale d’intĂ©rĂŞts » et de « Favoritisme » , le tribunal agit de façon collĂ©giale. La dernière question du magistrat qui prĂ©side la longue sĂ©quence, presque six heures d’audience au total en chambre correctionnelle, a mis en lumière des pratiques « opaques », « en dehors des règles » permettant Ă  Jean-Marc Allain d’ « exercer pendant 25 ans comme un seigneur en son royaume » , selon la Procureure.

Après avoir longuement dĂ©voilĂ©, par le menu, ce qui est reprochĂ© au maire, Ă  sa fille et Ă  Franck Cottereau, son gendre, une « gloire locale du football » et explicitĂ© ce pourquoi ils sont tous les trois prĂ©venus, « Prise illĂ©gale d’intĂ©rĂŞts et recel » dans l‘affaire des Meubles du MĂ©nhir, et celle dite des Presses du Bocage, Ă  laquelle s’ajoute le dĂ©lit de Favoritisme pour cette dernière, le PrĂ©sident du tribunal rappelle le prĂ©venu n°1 Ă  la barre.

– « Monsieur Allain, combien gagnez-vous en tant que maire ?

– 4200 €, Monsieur le PrĂ©sident.

Comment voyez vous votre avenir d’Ă©lu ? En clair, reformule le magistrat, souhaitez-vous poursuivre votre fonction d’Ă©lu ? » … On sent bien que le Parquet demandera tout Ă  l’heure dans ses rĂ©quisitions une peine d’inĂ©ligibilitĂ©, qualifiĂ©e d’ « obligatoire » dans ce genre de dĂ©lit Ă©tant entendu qu’il s’agit d’un « élu public censĂ© assurer l’administration ou la surveillance » au sein de la collectivitĂ© qu’il supervise.

Silence… Le maire de Gorron, conseiller dĂ©partemental, et second vice-prĂ©sident de la communautĂ© de communes du Bocage mayennais marque un temps d’arrĂŞt avant de rĂ©pondre. On le sent hĂ©siter.

Je n’ai pas de rĂ©ponse ! dit-il.

Jean-Marc Allain qui en est depuis 1995 Ă  son cinquième mandat consĂ©cutif Ă  Gorron, avait dĂ©jĂ  dĂ©clarĂ© un peu avant Ă  cette mĂŞme barre du tribunal qu’il souhaitait lâcher en 2020 : « Je voulais passer le tĂ©moin, Ă  un plus jeune, mais pour la personne qui Ă©tait pressentie cela n’a pas pu se faire… J’ai pris un engagement devant les Gorronnais qui m’ont Ă©lu Ă  80 %… je sais que je ne suis pas indispensable … Mais quand je vois l’Ă©tat dans laquelle se trouve la municipalité » …

« Monsieur Allain ce qu’on vous reproche ce sont deux dĂ©lits » rĂ©capitule le PrĂ©sident. « Prise illĂ©gale d’intĂ©rĂŞts et favoritisme » a rĂ©sumĂ© de façon pĂ©dagogique le jeune magistrat-prĂ©sident qui d’emblĂ©e avait averti en lançant en direction des personnes, soutiens et aficionados prĂ©sents dans la salle : « Le tribunal ne fera que du droit, c’est son objectif… Il ne jugera que des infractions, celles qui sont reprochĂ©es au maire de Gorron... » Des « dĂ©libĂ©rations litigieuses » . En ce sens, il a Ă©tĂ© question de « Distinguer ce qui relève des affaires privĂ©es et publiques. » comme l’a fait la procureure de la RĂ©publique dans son rĂ©quisitoire, long et dense. Mais que les choses soient « claires, Monsieur Allain, l’enrichissement personnel, ce n’est pas ce qui ressort de ce dossier… » s’est aussi voulu rassurant le PrĂ©sident Ă  l’adresse du prĂ©venu.


Jean-Marc Allain s'entretenant avec ses avocats avant l'audience - ©️ leglob-journal.fr

Jean-Marc Allain de dos s’entretenant avec ses avocats avant l’audience – ©️ leglob-journal.fr

Ce qui apparait en revanche c’est en apparence la façon dont le maire de Gorron manage son Ă©quipe sur le petit territoire de la ville, « oĂą tout le monde se connait » . Le PrĂ©sident lit des extraits de procès verbaux d’audition d’agents de la municipalitĂ©, ou bien de prĂ©sidents d’associations qui devaient faire travailler l’imprimerie que le maire a souhaitĂ© rĂ©implanter sur la ville, avec cette « volontĂ© de faire travailler les acteurs locaux… »

Voici quelques-unes des paroles rapportĂ©es. Il a Ă©tĂ© question « d’incitations fortes » … « Dans son management, Jean-Marc Allain Ă©tait très autoritaire et ne pouvait pas ĂŞtre remis en cause… » . « Nous n’avions pas d’instructions claires… » Dans le dossier des Meubles du Menhir, caution et rachat des murs, « il en faisait une affaire personnelle et Ă©tait très investi par cette affaire.. » avait racontĂ© le DGS au cours de son audition devant les enquĂŞteurs de la police judiciaire…


Le DGS – « J’ai alertĂ©, mais c’est Jean-Marc Allain qui avait le dernier mot… »


Veste bleue et pantalon de jeans, l’Ă©lu qui a pu apparaĂ®tre par moment comme une victime, charge Ă  prĂ©sent son Directeur gĂ©nĂ©ral des services (DGS) en poste de 2001 Ă  2022. « Je ne m’occupais pas de ces dossiers, je faisais entièrement confiance Ă  mon DGS […] Il avait perdu pied depuis quelques annĂ©es » . Pourtant, relate le prĂ©sident qui lit encore un extrait d’un procès verbal d’audition, il dit « vous avoir alertĂ© Ă  plusieurs reprises que le risque de favoritisme [dans l’affaire des Presse du Bocage] Ă©tait important tout en ne sachant pas que votre Ă©pouse Ă©tait actionnaire de l’imprimerie » .S’en suit un Ă©change rĂ©vĂ©lateur.

– Le PrĂ©sident : Qui signe, Monsieur Allain ?

C’est le DGS, voir l’adjoint… Je ne m’occupais pas de ce dossier.

La responsabilité pénale porte sur qui ? questionne le Président du Tribunal.

Sur moi…

Ce qui ressort des PV justement, c’est, vous concernant, une sorte de passivitĂ© : vous signer sans savoir ce que cela engage pour vous et les risques encourus…

Je faisais entièrement confiance au DGS.

La procureure se lève et demande à son tour au prévenu : « Diriez-vous que le DGS était un mauvais DGS ? »

Il avait perdu pied depuis quelques annĂ©es, depuis qu’il avait fait une formation de diacre… D’ailleurs j’ai fait faire un audit sur le management, je peux vous le fournir si vous voulez…

Dans son rĂ©quisitoire la magistrate dira sur le favoritisme dans l’imprimerie oĂą sa femme Ă©tait actionnaire, entreprise qui Ă©tait sollicitĂ©e « sans appel Ă  concurrence » que le maire « a agit dĂ©libĂ©rĂ©ment » . « Il a participĂ© Ă  la rĂ©daction des Gorron Infos et ne pouvait pas ignorer cette situation […] il en a tirĂ© des avantages injustifiĂ©s et Les Presses du Bocage aussi […] Pour 1500 exemplaires, les Presses du Bocage demandaient « 1750 € » . La concurrence « 599€ et 937€ » seulement.

Dans son audition devant les policiers, l’Ă©pouse de Jean-Marc Allain a dĂ©clarĂ© : « Je laissais mon mari siĂ©ger aux assemblĂ©es gĂ©nĂ©rales, il connaissait les autres associĂ©s de l’imprimerie… Mon mari s’Ă©tait renseignĂ© auprès d’un juriste, Monsieur Richefou qui lui avait dit qu’il n’y avait aucun problème… » . « Sur chaque compte-rendu Madame Allain Ă©tait citĂ©e et pas vous et il n’y avait pas de pouvoir Ă©crit de votre Ă©pouse pour la remplacer » relate encore le PrĂ©sident du tribunal en s’adressant au maire de Gorron.


La procureure s’entretient avec les avocats avant l'audience qui ont décidé de faire défense commune. - ©️leglob-journal.fr

La procureure avant l’audience avec les avocats qui ont dĂ©cidĂ© de faire dĂ©fense commune. – ©️ leglob-journal.fr

Puis est venue l’heure de la dĂ©fense. L’un des avocats a d’abord voulu rendre hommage Ă  Jean-Marc Allain. Se tournant vers lui, il a lancĂ© en lui souriant : « Je suis assez fier de vous dĂ©fendre, vous ĂŞtes chargĂ© d’une mission que je n’aurai pas le courage d’exercer… Faisant allusion Ă  tous les maires qui ont Ă  cĹ“ur leur mission d’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral. Mais de lĂ  Ă  dire Madame la procureure qu’il a exercĂ© comme un seigneur en son royaume… Non, excusez-moi, Monsieur Allain n’a rien avoir avec un Balkany.. » […] « La Procureure nous emmène sur le terrain de la dissimulationJe n’aime pas ça » a avancĂ© l’avocat pĂ©naliste;

Pour lui, les faits ne sont pas entachĂ©s de la « recherche du profit, et le maire a agi pour la commune… Mais comment fait-on, interroge-t-il, pour garder des entreprises justement sur Gorron ? Et bien on achète, c’est un peu la chimère du tout doit rester Ă  Gorron… » L’avocat a aussi demandĂ© que la peine d’inĂ©ligibilitĂ© de cinq ans, qu’il a qualifiĂ©e de « peine mortelle », pourtant peine obligatoire qui n’est pas laissĂ©e Ă  l’apprĂ©ciation des juges, soit assortie du sursis. Comme l’est la peine de 18 mois d’emprisonnement. Le tribunal a mis son jugement en dĂ©libĂ©rĂ© au 16 mai 2024. ◼️


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2 thoughts on “La Procureure : « J-M. Allain a exercĂ© comme un seigneur en son royaume »🔓”

  1. A propos du fait de voir le maire siĂ©ger au CA de l’entreprise Ă  laquelle la mairie passe commande ou que la mairie recommande fortement: « Mon mari s’était renseignĂ© auprès d’un juriste, Monsieur Richefou, qui lui avait dit qu’il n’y avait aucun problème ».
    Deux explications peuvent être données.
    – L’une Ă©tant qu’Olivier Richefou est incompĂ©tent comme juriste et qu’il ignorait ce qu’est le conflit d’intĂ©rĂŞt et la prise illĂ©gale d’intĂ©rĂŞt.
    – L’autre Ă©tant que, tout en sachant que des textes dĂ©finissait et sanctionnait ces situations, il restait persuadĂ© qu’un Ă©lu pouvait en pratique tout se permettre et que la justice ne vĂ©rifiait et ne sanctionnait jamais.

    1. Monsieur Richefou n’est pas incompĂ©tent comme juriste, puisqu’il l’a Ă©tĂ© pendant 10 annĂ©es avant de faire valoir la possibilitĂ© offerte par le PrĂ©sident de la RĂ©publique Monsieur François Mitterrand d’ĂŞtre avocat d’affaire au titre de ces 10 annĂ©es de juriste.

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