SantĂ© : « des annonces mesurettes » – Par Pascal Grandet 🔓

Un praticien dans un cabinet médicale - archive leglob-journal.fr
Un praticien dans un cabinet mĂ©dical en Mayenne – Archive leglob-journal.fr

Tribune


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Le Premier ministre a communiquĂ©, par le biais de la presse rĂ©gionale au soir du samedi 6 avril, un certain nombre d’annonces qui ont pour objectif, selon ses propos, de « reconquĂ©rir 15 Ă  20 millions de rendez-vous mĂ©dicaux par an, dès cet Ă©tĂ© ». On peut dĂ©jĂ  s’interroger sur le mode de communication choisi, surtout lorsque plusieurs des mesures prĂ©sentĂ©es comme actĂ©es devront faire l’objet obligatoirement d’un dĂ©bat Ă  l’AssemblĂ©e Nationale.

On peut au contraire saluer le « volontarisme » d’un Premier ministre qui s’attellerait (enfin) Ă  une des prĂ©occupations majeures des français. Nous avons donc choisi, plutĂ´t que de participer aux concerts de louanges ou d’attaques « a priori », d’examiner les principaux point Ă©voquĂ©s par Gabriel Attal, ex-conseiller, rappelons-le, pendant 5 ans, auprès de la ministre de la santĂ© Marisol Touraine.

Le recours aux spĂ©cialistes sans passage prĂ©alable devant le mĂ©decin traitant semble Ă  première vue une mesure de bon sens. Mais c’est oublier un peu vite le manque criant de spĂ©cialistes. Certaines spĂ©cialitĂ©s sont carrĂ©ment sinistrĂ©es, comme la rhumatologie, la gynĂ©cologie mĂ©dicale, la cardiologie… et obtenir un rendez-vous relève du tour de force : jusqu’Ă  18 mois en cardio ! Non seulement cette disposition ne va pas accĂ©lĂ©rer l’accès aux consultations spĂ©cialisĂ©es, mais elle risque d’embouteiller les carnets de rendez-vous des spĂ©cialistes. Cela ressemble donc Ă  une fausse bonne idĂ©e. De plus, le Premier ministre nous prend un peu pour des gogos car cette disposition est dĂ©jĂ  inscrite dans la loi Rist votĂ©e par sa majoritĂ© et publiĂ©e le 20 mai 2023 ! Le problème, c’est que 60 % des dĂ©crets d’application de cette loi n’ont toujours pas Ă©tĂ© publiĂ©s. Ce qui en empĂŞche de fait la mise en musique ! Une rĂ©-annonce, en quelque sorte, en attendant la prochaine.

De la mĂŞme façon, la dĂ©livrance par le pharmacien de certains antibiotiques (contre les cystites et les angines notamment) est dĂ©jĂ  autorisĂ©e par un dĂ©cret du 12 janvier 2021, tout comme la modification des verres correctifs par un opticien sans passer par un ophtalmo. D’abord rĂ©servĂ©e Ă  200 officines depuis le 1er janvier, l’autorisation doit se gĂ©nĂ©raliser rapidement. Une nouvelle « rĂ©-annonce ».

La fameuse « Taxe lapin » annoncĂ©e par Gabriel Attal (5€ pour tout rendez-vous non honorĂ© par le patient) joue l’ArlĂ©sienne depuis plusieurs mois. ÉvoquĂ©e dans le PLFSS2024 (Projet de Loi de Finance de la SĂ©curitĂ© Sociale), inscrite mĂŞme dans un amendement, l’idĂ©e en avait Ă©tĂ© abandonnĂ©e devant les difficultĂ©s de recouvrement. Facile Ă  appliquer sur une plate-forme de prise de rendez-vous, la difficultĂ© paraĂ®t insoluble pour les rendez-vous pris par tĂ©lĂ©phone. Et de toutes façons, son Ă©ventuelle adoption passera obligatoirement par une disposition lĂ©gislative. Sur le fond du problème, il a Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© – Le Monde du 6 fĂ©vrier 2024 – que le chiffrage des « 27 millions de rendez-vous non honorĂ©s chaque annĂ©e » relevait plus de l’extrapolation que d’un vĂ©ritable calcul scientifique, voire de la plus pure fantaisie,. Beaucoup de mĂ©decins Ă©voquent 0,5 Ă  1 % de rendez-vous non honorĂ©s, très loin des 6 Ă  8 % avancĂ©s pour justifier l’extrapolation Ă  27 millions. Il s’agit donc d’un Ă©piphĂ©nomène qui sert de prĂ©texte Ă  culpabiliser les assurĂ©s. Et puis, soyons sĂ©rieux, vu le nombre de patients qui attendent, parfois longtemps, dans les salles d’attente, une absence ne gĂ©nère pas de perte de temps puisqu’elle est aussitĂ´t remplacĂ©e par le malade suivant !

Après avoir culpabilisĂ© les patients, il faut bien taper sur le museau des gĂ©nĂ©ralistes qui n’accepteraient pas toujours d’assurer les gardes. DĂ©jĂ , c’est faux pour 85 % du territoire. Ensuite, la gĂ©nĂ©ralisation progressive du SAS (Service d’Accès aux Soins), mis en place dans la suite du « SĂ©gur de la santé » est prĂ©vue, après une expĂ©rimentation dans 13 territoires diffĂ©rents, au cours de l’annĂ©e 2024. LĂ  encore, une « rĂ©-annonce » !

Le renforcement du dispositif « mon soutien psy » faisant passer de 8 Ă  12 consultations Ă  50€ chez un psychologue conventionnĂ©, remboursĂ©es par an, semble une bonne disposition. Il ne doit cependant pas masquer l’abandon du secteur psychiatrique hospitalier, mĂŞme si le dispositif ne s’adresse pas a priori Ă  la mĂŞme patientèle. Des troubles apparemment « lĂ©gers ou modĂ©rĂ©s » peuvent parfois masquer une pathologie beaucoup plus prĂ©occupante.

L’augmentation du nombre d’assistants mĂ©dicaux laisse de marbre. D’abord parce qu’ils sont loin d’avoir dĂ©montrĂ© leur efficacitĂ©, ensuite parce qu’ils sont difficiles Ă  recruter. Rien n’a Ă©tĂ© dit en revanche sur les IPA (Infirmiers Ă  Pratique AvancĂ©e). Il est vrai qu’il faudrait d’abord former et recruter des IDE !

Enfin, la disposition que nous retiendrons est le passage Ă  12 000 en 2025, puis 16 000 en 2027, du nombre de passages en 2ème annĂ©e de mĂ©decine. C’est une augmentation de 70 % par rapport au dernier Numerus Clausus de 2020 (9 361 places). AUDACE 53 demande depuis des mois le doublement du nombre actuel (environ 10 500/an depuis 2021). MĂŞme si 16 000 n’est pas le double de 10 500, on peut considĂ©rer que l’on va enfin dans le bon sens. Mais, car il y a (au moins) un « mais », la fin du Numerus Clausus en 2020 et la « montĂ©e en puissance » Ă  partir de 2021 voulue par Jean Castex se sont heurtĂ©s d’une part Ă  la rĂ©forme dĂ©lĂ©tère des PAS-LAS et d’autre part Ă  la capacitĂ© de formation des universitĂ©s. Les universitĂ©s n’ont cessĂ© de voir leur budget annuel par Ă©tudiant, se dĂ©grader depuis 6 ans.

Elles accueillent de plus en plus d’Ă©tudiants pour un budget global qui est loin de suivre proportionnellement cette augmentation. De plus, les Ă©conomies budgĂ©taires annoncĂ©es par Bruno Le Maire pour 2024 (10 milliards actĂ©s par dĂ©cret du 22.02.2024) puis pour 2025 (20 milliards) vont toucher de plein fouet les universitĂ©s. Or, pour augmenter les capacitĂ©s de formation des facultĂ©s de mĂ©decine, il faut construire des amphis, recruter des enseignants, augmenter le nombre de Centres Hospitaliers Universitaires (seulement 32 actuellement). Une rĂ©forme d’ampleur est nĂ©cessaire. Et c’est lĂ  que la bats blesse. En l’Ă©tat actuel des informations distillĂ©es, de rĂ©forme, il n’est pas question. Donc bonne mesure sur le papier mais irrĂ©alisable en l’Ă©tat actuel des forces.

En conclusion, nous dirons qu’une fois de plus, le gouvernement met en avant avec grand bruit mĂ©diatique des mesures dĂ©jĂ  arrĂŞtĂ©es, avance des mesurettes ou fait des promesses sans en tirer toutes les consĂ©quences. Les 6 Ă  7 millions de français sans mĂ©decin traitant ne sont pas près de voir leurs problèmes rĂ©solus. Des mesures au mieux cosmĂ©tiques ne peuvent prĂ©tendre rĂ©soudre un problème profond. L’hĂ´pital public se meurt et la « mĂ©decine de ville » ne va pas vraiment mieux. Les recrutement d’infirmiers, d’aide-soignants ne font pas le plein. On manque de mĂ©decins, mais aussi de kinĂ©, de dentistes. C’est une rĂ©forme de fond qu’il faut Ă  la santĂ©. Pas des mesurettes. ◼️


Pascal Grandet est PrĂ©sident d’Audace 53


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