Tribune
Par Michel Ferron
Peu d’événements sportifs, même de grande audience internationale, bénéficient comme les J.O. d’autant de préludes au calendrier de la mise en route des compétitions successives.
Pour ce qui est des Jeux Olympiques, à peine officialisée la sélection de la ville accueillant l’événement, de multiples échéances se mettent en place durant un long parcours de préparation, jalonné de tâches diverses : planning de travaux de construction pour diverses infrastructures rendues nécessaires (parmi lesquels le chantier consacré à la dépollution de la Seine a défrayé la chronique), inventaire des modalités d’hébergement pour les athlètes et le public, vente des billets, etc. , le tout, couronné par les festivités populaires autour du parcours de la flamme olympique.
En bref, à quelques encablures du démarrage des compétitions, la France a déjà eu l’occasion de vibrer collectivement, au point de donner l’impression d’avoir vécu une partie d’un événement … qui n’a même pas encore commencé.
Pour autant, avant que ne s’ébranle le long défilé des pays participants, il apparaît pertinent de nuancer la grande ferveur qui va s’emparer du pays. Soyons clairs : en-deçà d’une tradition qui se réclame de la mythologie et de la religion de l’Antiquité grecque, cette manifestation va se banaliser en une célébration ordinaire du SPORT, mettant à l’honneur de nombreuses disciplines déjà fortement médiatisées dans la plupart des pays.
Sans vouloir jouer les trublions, affublés de bonne conscience et de morale grincheuses, on assistera à la classique répartition entre les nombreux inconditionnels de la fête du SPORT et la minorité de ceux qui voudront tempérer l’enthousiasme des foules. En particulier, le contexte général de cette édition des J.O. 2024 risque d’impacter sensiblement l’atmosphère générale.
Sur le plan de la politique intérieure française tout d’abord : les Jeux se dérouleront au lendemain d’une grave crise institutionnelle, engendrée par un lourd calendrier électoral (élections européennes, dissolution de l’Assemblée nationale, suivie des législatives qui n’ont pas provoqué la clarification attendue).
La politique internationale me sera pas non plus absente des stades, avec, notamment, les retombées de la guerre en Ukraine, qui ont pesé sur le processus de désignation des compétiteurs, les athlètes russes se voyant refuser l’accès au défilé inaugural.
Nous voilà loin, à nouveau, de la traditionnelle trêve olympique prévoyant dans l’Antiquité la suspension des conflits durant les Jeux. L’état actuel du site d’Olympie se réduit en effet à une jolie carte postale surannée, même lorsque l’on y fait figurer de belles silhouettes de danseuses, revêtues de leurs robes liturgiques…
Sur le site d’Olympie en Grèce antique – image pixabay
Cette perméabilité des Jeux aux conflits environnants n’est pas sans rappeler deux dates mémorables :
- 1936, en plein nazisme, aux JO de Berlin, la victoire de l’athlète noir Jesse Owens provoque la fureur de Hitler, quittant le stade pour ne pas avoir à serrer la main d’un « nègre »…
- 1972 à Munich, l’assassinat de 11 athlètes israéliens par le commando palestinien Septembre Noir plonge le public dans la stupeur
On pourrait aussi se tourner vers la statue du vénérable refondateur des Jeux modernes, le baron Pierre de Coubertin : longtemps présenté comme visionnaire et apôtre de la fraternité entre les peuples, il a vu son charisme écorné d’une face sombre régulièrement dénoncée (racisme, colonialisme et misogynie…)
Quitte à briser les « idoles », la simple honnêteté intellectuelle incite à modérer l’idéalisation du SPORT comme vecteur prétendu de toutes les vertus nobles et chevaleresques : dépassement de soi, culte de l’effort, respect de l’adversaire, émancipation de la jeunesse … En tant que mode d’expression populaire du corps social, le SPORT peut aussi devenir le véhicule de contre-valeurs ; culte de l’argent et du business, racisme et homophobie, actes de prédations sexuelles, porte-drapeau du nationalisme exacerbé sous la forme du chauvinisme agressif …
Mais ne boudons pas la Fête : The show must go on ! … ⬛
Deux omissions m’ont été signalées par des lecteurs avisés :
* parmi les incidences fâcheuses de l’organisation des JO, on peut aussi mentionner les mesures prises pour déloger les étudiants des cités universitaires, afin de pouvoir profiter de places d’hébergement pour les athlètes
* il eût été pertinent, dans cette tribune, de consacrer aussi quelques remarques aux Jeux paralympiques, qui, loin de bénéficier de la même médiatisation et des mêmes publics, n’en représentent pas moins une étape complémentaire permettant de célébrer d’authentiques valeurs : abnégation, dépassement de soi-même, combativité et pugnacité ….