André Pinçon est décédé il y a tout juste un an à Ernée, le 4 juillet 2019. Presque un an après jour pour jour, avec Florian Bercault la gauche revient aux responsabilités à la mairie de Laval, cette mairie qu’André Pincon a occupé pendant quatre mandats, et qui fut selon beaucoup de Lavalloises et de Lavallois, un « bâtisseur amoureux» de sa ville, cherchant constamment l’amélioration de Laval et du bien commun de tous. Un « homme nouveau » selon Jean-Yves Gougeon qui lui a rendu hommage le samedi 13 juillet 2019 en mairie de Laval avec ce discours que leglob-journal reproduit aujourd’hui dans ses colonnes. « Un homme nouveau dans le paysage politique lavallois», comme Florian Bercault qui vient tout juste, à 30 ans, d’être élu maire à Laval.
C’était un “homme nouveau” à Laval
Par Jean-Yves Gougeon
On ne naît pas maire, ou député… on le devient, non sans effort, non sans patience, non sans concessions, encore moins sans convictions… (…) La vie politique est une aventure, une belle aventure qui peut durer… durer 24 ans, un quart de siècle ! (…) Il arrive que le hasard d’une rencontre illumine un parcours de vie, que parfois les circonstances décident pour vous, et que parfois l’acceptation s’impose comme un devoir, comme une mission, comme un honneur aussi. « Ma rencontre avec Robert Buron, confiait André Pinçon, a modifié ma vie en profondeur. C’est presque par hasard que je me suis retrouvé sur la liste électorale « Laval-demain »… L’équipe sortante présentait un comptable agréé… Robert Buron souhaitait un rapporteur aux finances dont le parcours professionnel correspondait à cette attente.
J’étais responsable d’un cabinet d’expertise comptable… Pour moi, nous n’avions aucune chance. J’ai pensé que la campagne durerait environ trois mois… Nous avons été élus au premier tour ! » C’est ainsi qu’en mars 1971, choisi sur ses compétences professionnelles, André faisait son entrée au sein de l’équipe municipale.
28 avril 1973… Robert Buron, gravement malade, décède, laissant aux commandes de la ville une municipalité jeune, encore inexpérimentée, mais au sein de laquelle se dégage la personnalité d’André Pinçon… Il venait de montrer, pendant ses deux premières années de mandat, son engagement, son sérieux et sa capacité à gérer les finances de la ville.
Marqué par la personnalité de l’ancien ministre de Pierre Mendès France, l’un des négociateurs des accords d’Evian en 1962, il qualifiait ces deux années de « magnifiques » : « C’était un économiste et un financier hors pair, disait-il de Robert Buron. A ses côtés, mes réflexions politiques, mes conceptions sur les finances municipales s’affinaient ! »
Et un consensus se dégage rapidement sur son nom quant à la succession. André a 42 ans. Marié et père de famille. Quatre enfants : François, Soline, Quitterie et Myriam. Il sait que la tâche va être prenante. Il lui reste à convaincre Yvonnick, son épouse. Je crois savoir que cela ne se fit pas sans longues discussions… Le 8 juin 1973, il est élu Maire de Laval
“Un homme nouveau”
Ce n’est pas vraiment ce qu’avait envisagé le jeune André. Issu d’une famille modeste, il souhaitait devenir professeur de mathématiques, il fut quelques mois instituteur, puis devint expert-comptable et le voilà premier magistrat de la ville de Laval, cette ville même qui l’a vu naître en 1931, cette ville qu’il allait tant aimé servir.
Certes, c’est un homme nouveau dans le paysage politique lavallois en 1971 ; certes, les circonstances l’ont propulsé en 1973. Mais le nouveau chemin qu’André emprunte au début des années 70 était-il complètement inattendu ?
Quand il évoquait sa jeunesse, il nous confiait que son militantisme lui venait, dans un premier temps, du scoutisme, puis de son passage à « Vie Nouvelle », un mouvement chrétien inspiré par Emmanuel Mounier, tourné en priorité vers l’homme au sein d’une vie en société. Parallèlement à « Vie Nouvelle », il avait découvert aussi le mouvement politique « Citoyen 60 » dans lequel il s’était engagé aux côtés de Jacques Delors.
Ayant vécu et côtoyé de près, durant son service militaire puis comme officier de réserve, le drame de la guerre d’Algérie, il s’était aussi interrogé sur l’avenir de la France. Encore troublé quand les évènements étaient abordés au cours d’une conversation, il ne cessait de répéter : « J’étais comme beaucoup, à la recherche des réponses aux interrogations posées par la politique française au lendemain de la Guerre d’Algérie ».
Ces interrogations, ces recherches personnelles tout naturellement l’ont amené à effectuer de nombreux voyages d’études en particulier aux États-Unis, en Europe, en Israël, sur le thème d’étude de l’amélioration des conditions de l’économie.
Alors, pour moi, c’est une évidence : c’est de l’homme profondément et sincèrement militant, qu’est né l’homme profondément et sincèrement politique. Et c’est cet homme de convictions et de combat qui allait présider aux destinées de la ville de Laval pendant deux décennies… C’est avec cet André de cœur que j’allais aussi parcourir tant d’années de politique et d’amitié.
Un chemin politique n’est pas un long fleuve tranquille. Il emplit l’homme de désirs et de volontés, mais aussi de doutes et d’interrogations. Chaque décision engage… Engage sa propre personne, engage la confiance qui lui a été portée par son mandat électif, mais aussi les finances de la ville. André savait le rappeler à tous. Sous sa bonhomie apparente, il assoyait son autorité de maire. Entre utopie et réalisme, il fallait, il savait trouver l’équilibre !
Début des années 70. La fin des Trente Glorieuses avait vu la ville s’agrandir, l’industrie se développer. En corollaire, pour loger la main-d’œuvre ouvrière qui avait afflué des campagnes voire de l’étranger, de nouveaux quartiers avaient émergé, des tours d’HLM s’étaient élevées : le quartier des Fourches, puis le quartier Saint-Nicolas, déclenchant un besoin nouveau de transport et de nouvelles préoccupations sociales. Premier défi pour le nouveau maire : le grand saut dans la toute nouvelle réalité sociale et économique d’une France qui tourne à plein régime…
“Glisser vers la modernité”
Le propos n’est pas aujourd’hui de dresser la liste exhaustive des projets ou autres réalisations des quatre mandatures… Le citoyen André Pinçon était amoureux de sa ville. Le Maire l’était tout autant, voire plus. Il n’a eu de cesse de l’embellir, de la développer, de lui donner de nouveaux atouts, de la rendre attractive, avec toujours le citoyen au cœur de sa préoccupation politique et de sa réflexion d’homme.
Les Lavallois ont vu leur ville glisser vers la modernité : la salle polyvalente, la bibliothèque municipale, les maisons et les places de quartiers, l’aménagement du centre-ville, l’essor du musée d’Art Naïf, ou encore la préservation du patrimoine, avec toujours le souci que « SA » ville, « Notre ville », garde son âme…
Que dire quant à la mise en place de jumelages ? Tout simplement qu’André avait la conscience aiguë de la nécessité d’un véritable rapprochement entre les peuples… Ancré en lui, il y avait un profond et sincère désir du vivre ensemble. Quant au développement associatif et l’Action sociale, c’est peu dire qu’ils furent en permanence au cœur de ses préoccupations.
Un Maire, donc, d’idées, de propositions, de convictions,… et au-delà, un homme à l’écoute, un homme de partage, un homme de dialogue. Une longévité politique n’est pas un hasard. Autour de lui, c’était une équipe.
- Une équipe d’administratifs, d’ingénieurs, d’employés municipaux, attentifs et respectueux. Monsieur le Maire pouvait compter sur eux, ils pouvaient compter sur sa parole.
- Une équipe d’élus, fidèles et solidaires. La porte du bureau de Monsieur le Maire nous était toujours ouverte ; nos projets étaient toujours les bienvenus, nos idées prises en compte, nos difficultés soutenues. Il était de ces hommes qui délèguent en toute confiance tout en gardant le sens de ses responsabilités. Pas de joutes oratoires, pas de discours inutiles, une analyse efficace des dossiers…
- Et puis, il avait cette capacité à susciter l’adhésion des différents protagonistes sur un projet, non sans en avoir mesuré les conséquences. Monsieur le Maire était un homme de raison !
Non, une longévité politique n’est pas un hasard. Que serait-elle sans le soutien de la population ? Quand nous arpentions les rues de Laval, lui vêtu de son légendaire costume de velours noir qu’il portait depuis ses débuts d’édile, j’étais toujours émerveillé par la connaissance qu’il avait de sa ville, de ses artères, de ses maisons… et de ses habitants. Étonné aussi de voir à quel point, ces derniers le connaissaient et l’appréciaient.
“Sa longévité politique, pas un hasard”
Certains lui avouaient ne pas voter pour lui. Peu importait. Les conversations se nouaient naturellement, souvent amicalement. Les griefs se muaient en propositions. Certes André Pinçon était natif de Laval, mais cela allait plus loin. Il était tout simplement en osmose avec « Sa » ville.
Non, non… Sa longévité politique n’a pas été un hasard… Il a œuvré par conviction pour la construire : Il sera réélu maire en 1977 pour un deuxième mandat, en 1983 pour un troisième mandat, puis en 1989 pour un quatrième mandat. En 1994, à 63 ans, mission accomplie, il aspire à une retraite politique et personnelle. Il ne souhaite pas se représenter en 1995, il démissionne au profit de Yves Patoux, son adjoint aux finances de l’époque.
A ce moment de mon propos surgit le souvenir de son ami Michel Rocard en visite à Laval. Les deux hommes s’appréciaient. André aimait ses idées et son charisme ; Michel aimait faire un détour par notre ville,« Afin, de prendre, disait-il, la température de la province ». Ne s’oublie pas non plus la fierté d’André le jour où, au bas des marches de la mairie, il accueillait François Mitterrand, futur président de la République, venu saluer la toute première municipalité socialiste de Laval.
Quant au 10 mai 1981, ce fut pour André un moment de plénitude. Une foule de Lavallois envahit cet hôtel de ville couvrant Monsieur le Maire de propos touchants, chaleureux, enthousiastes, voire dithyrambiques. L’André intime, lui, rayonnait : il mesurait à cet instant son parcours personnel et la valeur de son propre engagement…
Les instants de victoire ne s’oublient pas ! Quels qu’ils soient ! Je vous en rapporte le plus émouvant : Nous étions une petite dizaine de militants, amis fidèles et intimes dans le bureau du Maire, ce soir des élections législatives de 1986. Les paroles de chacun étaient mesurées, l’angoisse était palpable, l’attente lourde, André assis à son bureau, était figé, silencieux… Yvonnick se tenait derrière lui, le visage grave, anxieux… Le téléphone sonne. C’est la Préfecture. André met le haut-parleur. Je me souviendrai toujours des premiers mots respectueux du Préfet Ohrel : « Bonsoir, Monsieur le Député-maire…. » Au doute et à l’angoisse succédèrent, alors, l’émotion, la fierté et les embrassades…
“Le temps des copains”
Il me faut, ici, associer à cet hommage Yvonnick… être l’épouse d’un homme politique, ce n’est pas une sinécure… C’est s’habituer à l’absence de l’autre ; c’est jongler avec la vie professionnelle et la vie familiale, parfois en sacrifier des pans. C’est être à la fois discrète et présente dans les coups durs, dans les combats, dans les moments de doute. C’est accepter beaucoup, c’est vivre dans le monde des perpétuelles concessions. Et sans son large soutien, sans sa complice compréhension, sans sa positive implication, André n’aurait pas été le Maire qu’il a été…
André et Yvonnick, ceux qui ont partagé vos moments de convivialité rue du Cardinal Suhard, puis au Naisement, témoigneront de votre sens de l’hospitalité et de la générosité de votre accueil. Avec amour, tu faisais sonner ton piano, André, et nous chantions… Tu te livrais peu, tu affichais une grande pudeur des sentiments, mais quand ton sourire, si singulier, illuminait ton visage, c’était comme une invitation à la complicité…
C’était le temps des copains, idéal et propice pour souder une équipe, pour oublier un temps la pression et les obligations quotidiennes d’un élu. C’était, pour reprendre ton qualificatif fétiche, André : « formidable ! »
Mon cher André, en cet Hôtel de Ville de Laval, en cette belle salle du conseil résonnent encore ta voix calme et ton rire discret. En ce lieu, nous avons laissé beaucoup de gravité dans la tâche qui nous incombait, mais aussi que d’enthousiasme ! Je te remercie de l’honneur que tu m’as fait de t’accompagner pendant toutes ces années, elles furent si passionnantes, si enrichissantes…
NOUS te remercions… Nous, tous ceux qui ont partagé de si précieux moments de vie, politique ou amicale. Certains sont présents dans cette salle, d’autres n’ont pu rejoindre Laval aujourd’hui… je suis porteur de bon nombre de leurs messages : ils saluent tes qualités humaines, tes capacités d’écoute et de dialogue, ton engagement indéfectible, tes compétences, ton sérieux, ta sincérité, ta droiture, ta gentillesse, ta bienveillance, ton honnêteté intellectuelle… Je dirai personnellement : ta grande élégance…
« Aussi prétentieux que cela puisse paraître, le bonheur de chacun dépend de nous », disais-tu. « Ah ! Quand le songe de la vie sera terminé, à quoi auront servi ses agitations, si elles ne laissent la trace de l’utilité.», disait le député et philosophe mayennais Volney. Adieu Monsieur le Maire… Adieu mon très cher ami André◼
*Jean-Yves Gougeon a été d’abord conseiller municipal délégué à la culture sous André Pinçon pendant deux mandats puis adjoint à la culture et patrimoine les deux mandants suivants. On lui doit, notamment, la mise en place d’une politique culturelle volontariste avec le comité d’animation de la ville de Laval, et la venue de Ray Charles, Joan Baez, Johnny Cleg ou Barbara Hendricks, pour ne citer que ceux-là…