France-Télévisions contre Lactalis : Jugement en appel le 24 janvier 2017

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lettrelbigup-11.jpgLe 24 janvier 2017, la cour d’appel rendra son délibéré dans le dossier Lactalis contre France Télévisions. On saura si le tribunal de Laval a eu raison de prendre une ordonnance de référé contre France Télévisions. À Angers, le 6 décembre 2016 en chambre civile, les deux avocats ont longuement développé leurs arguments. Aux magistrats, à présent, de se faire une idée dans cette affaire de référé rendu par le président du tribunal de Laval au profit d’Emmanuel Besnier ; ordonnance qui est contestée par France Télévisions.

Par Thomas H.


Les 3 magistrates visionnent sur l’ordinateur de l’avocat de Lactalis le passage incriminé. Il dure à peine 3 minutes. C’est rapide. Avant cela, la présidente de la chambre avait appelé l’affaire en question que les journalistes attendaient, ainsi que le vice-président du Tribunal de Commerce de Laval ; Michel Peslier était venu écouter les débats.

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Logique. Michel Peslier est « entré à Lactalis en 1983 en qualité de juriste ; et en juillet 2015 » il est nommé « Directeur général Audit, Affaires juridiques et Risques », une « position fonctionnelle, hiérarchiquement rattaché directement à Emmanuel Besnier président du groupe Lactalis » peut-on lire Page 7 sur son CV qui apparait dans un document disponible en ligne.

« Nous appelons Lactalis contre France Télévisions, dit la présidente de chambre civile, un dossier qui touche à une liberté publique, quand même, avec ce reportage [d’Envoyé spécial, Ndlr] ».

Le défenseur de France Télévisions, Maître Eric Andrieux a la parole en premier. «Cela va loin, dit-il à l’adresse des magistrats, il s’agit d’une atteinte à la liberté de la presse, et le président de Lactalis, serait avec ce reportage à la merci de n’importe qui, selon mon confrère  » ironise-t-il.

Eric Andrieux, avocat de France Télévisions
Eric Andrieux, avocat de France Télévisions

Le débat est posé. Même si le confrère de Maitre Andrieux n’a pas souhaité faire de commentaire a la fin de l’audience. Y avait-il urgence à statuer en rendant une ordonnance en référé en faveur du « représentant emblématique de Lactalis» comme l’a écrit le président du Tribunal de Laval Philippe Mury dans son jugement ?

Oui, répond Maître Christophe Pech de Laclause qui défend les intérêts de Lactalis et qui brandit l’Article 9 du code civil qui garantit le droit à la vie privée. Il parle « d’atteinte absolue et profonde à la vie privée de mon client et j’ajoute qu’il s’agit d’une dérive (…) comme Emmanuel Besnier refuse de parler aux journalistes, et qu’ils ne respectent pas ce droit, eh bien on vient le chercher chez lui et avec une caméra cachée !

« C’est un débat de fond,» renchérit Maitre Andrieux ; pour lui l’urgence n’existe pas dans ce cas et il ne peut donc y avoir ordonnance en référé, et puis « c’est la liberté d’expression et de la presse qui est en cause ».

L’avocat de France Télévisions déroule à nouveau la liste des multiples supports de presse nationaux qui ont fait état bien avant France Télévisions du patrimoine d’Emmanuel Besnier, et qui évoque le château d’Entrammes. « Le château du Vallon, je ne pense pas que ce soit préjudiciable et pose problème, et y faire référence contrairement à ce qu’avance mon confrère, c’est une contribution au débat public d’intérêt général sur la crise du lait ». Ce que les média avait appelé la «crise du lait» était au cœur du reportage d’Envoyé spécial dirigé par Élise Lucet.

« Chacun a droit à être tranquille chez soi, dans sa sphère familiale privée » avance l’avocat représentant les intérêts d’Emmanuel Besnier. Pour Christophe Pech de Laclause, « nous avons une atteinte caractérisée et absolument profonde à la vie privée ». Et l’avocat d’ajouter : « Et puis quel rapport cette séquence précise avec la crise du lait ? »

Le droit d’informer suppose que l’on ne déforme pas. Ni ne désinforme. C’est valable des deux cotés. Évoquée simplement sans qu’il en soit débattu sur le fond, l’atteinte à la liberté d’informer des journalistes est sous-jacente.

Comme à chaque fois qu’un reportage déplaît, on s’en prend judiciairement aux auteurs de l’enquête ou du reportage afin de les affaiblir et de les intimider. La judiciarisation en matière de presse, c’est une sorte de “nouvelle censure” qui passe par le truchement de la Justice qui devient un auxiliaire. Parfois, il arrive même qu’on ignore le ou la journaliste en ne répondant pas à ses sollicitations. Mais plus grave encore, il peut y avoir intimidations, mise sous écoutes ou lettre de menaces, ou bien ce qu’on pourrait décrire comme des recommandations orales froides et cyniques. Le tout, c’est de faire pression sur le journaliste.

Retrouver France Télévisions devant un tribunal à Laval pour un référé et ensuite en appel devant une chambre civile alors qu’il s’agit d’un reportage, en fait d’un objet élaboré par des journalistes relevant du droit de la presse, c’est symptomatique de la pression exercée et de la rapidité à vouloir agir. L’atteinte à la vie privée invoquée permettrait selon l’avocat de France Télévisions de soulever ce qu’il considère comme une «aberration». Pour lui « passer par une condamnation en référé au mépris de la Liberté de la presse permettra à Emmanuel Besnier de se retourner contre des tiers qui n’ont rien à voir avec France Télévisions ; juridiquement cela n’a aucun sens  ».

«La liberté, c’est la liberté de dire que deux et deux font quatre. Lorsque cela est accordé, le reste suit» disait l’écrivain et journaliste Georges Orwell dans 1984, ce roman publié en 1949 et dans lequel il créa, visionnaire, le concept de Big Brother. Orwell ajoutait aussi ce propos qui pourrait parfaitement s’adapter à la situation actuelle : «À une époque de supercherie universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire.»

(c) Photo leglob-journal

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