« Faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain? » – Par Gérard Prioul et Claude Piou 🔓

Prise de têtes, philosophiques et contradictoire
Souvent des articles parus dans un journal ne nous laissent pas indifférents. Ce fut le cas avec « Covid et gros vide de sens » signé dans les colonnes du Glob-journal par Nicolas Chomel. Notre contributeur remettait à plat, longuement, la notion de Progrès. Citant Darwin, Orwell mais aussi Einstein, Bernard Friot, ou bien encore Sarkozy, Nicolas Chomel signalait notamment que la notion de progrès calée sur celui de la science et la technique n’est plus vraiment perçue actuellement comme émancipatrice. Gérard Prioul et Claude Piou ont tenu à lui apporter une « réponse contradictoire », ici et maintenant, simplement pour l’amour du débat.

Débat d’idées philosophico-politiques

Par Claude Piou et Gérard Prioul*


Dans un long exposé paru ici dans leglob-journal, Nicolas Chomel, désigné ici comme « l’auteur », livre ses critiques et interrogations quant aux effets délétères générés par le capitalisme qui détruit les ressources naturelles et la biodiversité sur toute la planète. Si nous partageons l’essentiel de sa critique sociale du système, nous considérons en revanche que d’autres aspects de son propos sont dangereusement erronés. Synthétiquement, son exposé nous parait chargé de contradictions et tend à la confusion des genres, outre qu’il laisse l’impression de jeter le bébé avec l’eau du bain.

Tout d’abord nous ne partageons pas le « covido-scepticisme » insinué par l’auteur. La réalité de la deuxième vague de Covid 19 et sa gravité ne font débat que chez ceux dont la croyance auto suggérée prévaudra toujours sur la pensée objective et rationnelle.

Il en est autrement des sujets qui nécessitent encore la confrontation des approches : d’abord la recherche pour une réponse médicale efficiente contre ce virus, ensuite la fiabilité de tel ou tel outil statistique utilisé par les gouvernements dans la justification de leurs décisions relevant de l’intérêt général.


Hypothèse ou réalité d’une deuxième vague?


Il conviendrait que chacun sache reconnaitre ses propres ignorances, parfois abyssales, sur les fondamentaux de certains sujets. Et si les scientifiques ont nécessité de travailler au rythme que la science exige, ne soyons pas dupes, non plus, de ce que les intérêts capitalistes peuvent pervertir dans l’ordinaire de leurs débats parfois très contradictoires. Le grand n’importe quoi que le gouvernement fait subir aux citoyens depuis février 2020, impose que nous reprenions confiance en la science pour réduire la prégnance des théories « complotistes » plus ou moins irrationnelles.

Avoir des idées source de progrès...

Contrairement à ce que l’auteur n’hésite pas à insinuer, nous considérons fermement qu’on ne peut réduire les travaux de Charles Darwin à une théorie qui aurait servi à justifier tous les excès de domination dans les rapports sociaux.

Humbles du peu que l’on connait du sujet, nous ne mégoterons pas sur l’héritage laissé par Darwin, en tant que théorisation de l’évolution des espèces ; elle nous conviendra toujours mieux que l’hypothèse de l’homme en tant que produit direct d’une main divine.


Darwin inspirateur des managers brutaux ?


Darwin a démontré les mécanismes d’adaptation et de sélection naturelle des plus aptes et ce qu’elle recèle d’implication génétique sur les prédispositions des uns et des autres à dominer ou être dominé, à s’affronter ou à collaborer dans un univers naturellement inégalitaire. Les travaux darwiniens et les conclusions qui en découlent ne justifient en rien que l’organisation de la société humaine doive s’inspirer des lois et hiérarchies végétales, minérales ou animales. Arrivant au monde, tout homo sapiens est un petit barbare égocentrique et tyrannique, pouvant naturellement un jour, griffer, mordre, et tirer les cheveux de ses parents.

S’il devient animal social empathique et doué de raison, c’est par la culture et l’éducation : « on ne nait pas homme, on le devient » (S. De Beauvoir). Et c’est justement le rôle de la politique de former la société et d’y impulser son œuvre civilisatrice.

En d’autres termes, ce n’est pas parce que les théoriciens nazis du 3ème Reich hier, ou les dingues du CAC 40 aujourd’hui, se réclament de la loi naturelle des inégalités pour justifier leur brutalité sociale, que cette prétendue filiation darwinienne doit être validée pour argent comptant. Nous la considérons bien au contraire comme frelatée.

S’ajoute le dénigrement des Lumières et de la science. A ceux qui ont propagé ce que l’on appelle « les Lumières« , au contraire de l’obscurantisme, on doit pourtant d’avoir éclairé la conscience des hommes pour les libérer du cachot des dogmes religieux, qui étaient associés aux croyances ésotériques les plus imbéciles.


Lumières, science et progrès, un procès biaisé et non fondé


C’est une œuvre civilisatrice qu’ils ont permis, si l’on veut bien observer leurs travaux à charge et à décharge, ainsi qu’à l’aune de la société de leur temps, qui nous préparait à la grande ère révolutionnaire 1789 – 1793.

Quant au progrès en général, concept dont nous soutenons que sa définition est subjective, il mériterait d’autres égards qu’être assimilé à « une religion » désignée par l’auteur comme responsable, devant l’Histoire, des conflits mondiaux et du désastre environnemental. Nous vient alors la nécessité de rappeler ici que dans le voyage au très long cours des sociétés et civilisations qui se sont succédées depuis l’émergence des hominidés jusqu’à homo sapiens, l’aspiration des individus s’est constamment attachée à la quête d’un certain mieux-être, faute d’atteindre le « bien-être ».

La représentation de la recherche virale du covid-19

Les outils agricoles, les armes et méthodes de cueillette, de pêche et de chasse, tout comme les façons de construire les maisons ou de se soigner, de se chauffer, n’avaient pour but que surmonter la peine dont la nature accablait l’homme en général, en tant qu’animal vulnérable parmi d’autres. Cela justifiait que l’on ait confiance en demain, religieusement ou pas.

Ce que les humains ont découvert et inventé par la transmission des savoirs et la force de leurs élans collectifs, est toujours entré dans la vie pour le meilleur et pour le pire. Pierre et Marie Curie, Einstein et tous ceux qui ont de près ou de loin approché la science nucléaire craignaient évidemment la dérive militaire d’un usage de l’atome.

Mais en première intention ils s’efforçaient d’orienter leurs travaux au bénéfice de la médecine, ce qui fut fait. De même, dans les civilisations antérieures, les arcs, les flèches et les lances servaient d’abord à mieux chasser pour se nourrir… mais on pouvait aussi en équiper des armées de guerriers pour se défendre ou attaquer, c’était selon… Et devrait-on de nos jours renoncer à l’électricité au prétexte qu’elle a permis la « gégène » ?

Personne ne peut envisager sérieusement revenir à l’ère d’avant, au temps de l’homo sapiens chasseur cueilleur itinérant, puisque aucun être humain ne serait aujourd’hui capable de survivre dans cette condition ; l’hypothèse est d’autant plus absurde que la primo planète à l’état naturel n’existe plus. Donc, nous ne pouvons réfléchir aux grandeurs et misères de l’humanité présente que dans le cadre de ce qu’est devenue la société humaine à ce jour, dans ce qu’elle a ici ou là de particulier ou d’universel.

Réclamer de meilleurs soins pour le cancer, ce n’est pas approuver pour autant les conditions d’exploitation qui provoquent les maladies cancéreuses. S’accrocher à l’espoir que le progrès de la science permette rapidement un vaccin contre Covid 19 ne procède pas du même exercice cérébral qu’attendre le retour du messie. Ajoutons qu’aucune femme aujourd’hui, sachant précisément de quoi elle parle, ne pourrait justifier que l’on revienne aux accouchements à la maison, selon les façons dites « à l’ancienne » sur un air de « c’était mieux avant » au temps où accoucher revenait à risquer la mort pour soi et pour l’enfant.


Le progrès ?


Le progrès, ce sont aussi les conquêtes ouvrières, qui ont souvent accompagné – par les luttes sociales – les évolutions technologiques permises par la science pour les mettre au service du « mieux-être ». Ce rapport de cause à effet entre l’exploitation capitaliste et la perception du progrès ou son objectivation, ne va pas de soi. Il s’agit d’un combat permanent et sans merci, un combat impitoyable qui s’appelle lutte des classes (désolés pour ce vilain gros mot dépourvu d’anglicisme).

Pourtant, l’auteur aborde ce sujet quand il rappelle les conquêtes ouvrières de 1945. Pour en expliquer l’origine véritable, avec cet extraordinaire édifice de la sécurité sociale, il cite à juste titre les travaux du sociologue Bernard Friot. Ce dernier met en exergue les luttes ouvrières menées victorieusement avec une CGT puissante et combattive, efficacement relayée alors par le Ministre communiste Ambroise Croizat.

Mais pourquoi devrait-on ignorer, nier ou mépriser le fait que ces avancées sociales des « jours heureux » s’inscrivaient historiquement dans la marche du PROGRÈS ? Et que beaucoup d’entre elles induisaient le recours à LA SCIENCE, tout en la stimulant ? A titre de modestes exemples, c’était le cas du développement de la médecine du travail et de celui de l’action sanitaire et sociale généralisée dès les classes de maternelle, jusque dans l’école du plus petit village. Sur quels fondements suggérer maintenant que les futures victoires populaires anticapitalistes devraient, pour être vertueuses, s’éloigner de toute addiction à « la religion du PROGRÈS » ? Et pourquoi ces nouvelles conquêtes à venir seraient-elles forcément dépourvues des apports de la SCIENCE ?

Ce monde va mal, mais pas pour tout le monde quand un pour cent de la population possède la moitié des richesses accumulées disponibles, tandis que les famines et la grande pauvreté sont le lot d’une majorité des habitants de la planète. Contrairement à ce qu’avance l’auteur, le monde confronté aux angoisses du lendemain n’est pas victime de la trahison du « Dieu progrès » en lequel il aurait trop cru ; il n’est pas, non plus, victime d’avoir perdu la « foi » en une autre déesse que serait pour lui la Science.

Cette « croyance », que l’auteur qualifie aussi de « foi », serait de son point de vue à l’origine de la déshumanisation de nos sociétés technologiques. Sans intention maligne ni tentation de l’amalgame, nous regrettons qu’il exprime ainsi une certaine similitude de pensée avec les courants les plus réactionnaires qui nous ont habitués depuis longtemps à opposer la tradition à la science.

Quelle que soit l’étiquette qu’ils s’attribuent ou pas, les militants qui naviguent « à gauche » ont le devoir permanent de faire attention aux voies qu’ils empruntent et aux voix auxquelles ils font accessoirement écho.

L'évolution des volumes des cerveaux.
Évolutions relatives des volumes cérébraux

Car il est tout de même troublant, pour ne pas dire stupéfiant, venant d’une plume que l’on voudrait proche des nôtres, qu’elle évite la formulation d’un procès au seul capitalisme.

Préférant joindre au banc des accusés les Lumières, la science et le progrès, fustigés dans un même réquisitoire en tant que croyances ou idoles, auxquelles s’ajoutent la 5G, la PMA, les vaccins et les nanotechnologies… N’en jetez plus, la poubelle est pleine ! Enfin, l’auteur se réfère à la mécanique quantique, et à la révolution qu’elle représente dans la physique moderne, pour accréditer le doute sur toutes les connaissances scientifiques au nom de l’indéterminisme que la théorie quantique comporte en effet. Selon l’auteur, ce concept réduirait à néant tout ce que la science peut apporter comme capacités d’anticipation des événements naturels.

Rappelons que la mécanique quantique pose des problèmes de compréhension des causes au niveau subatomique : le « principe d’incertitude » qui en est la base stipule que le fait d’observer de tels phénomènes au niveau des particules élémentaires modifie nécessairement la réalité qu’on prétend étudier, d’où le recours aux probabilités pour se sortir de cette contradiction. Cependant au niveau macroscopique, et plus encore pour les phénomènes cosmologiques, la physique continue à décrire très bien les événements (pensons par exemple à la précision des prévisions des éclipses !).

Il est d’ailleurs édifiant que certains religieux, après avoir si longtemps dénigré la science, utilisent ses derniers acquis, et notamment la part de « hasard » que comporte la mécanique quantique, pour tenter d’y trouver… une place pour Dieu ! Stephen Hawking, grand spécialiste de la physique moderne (décédé en 2018), qui a beaucoup travaillé à en résoudre les contradictions, a remis les idées en place en affirmant que dans la théorie il n’y avait « pas de place pour Dieu », car la science cherche à expliquer le « comment », pas le « pourquoi ».


Ne pas se tromper de coupable


Alors soyons clairs et précis : la science n’est ni une religion, ni objet de dévotion aveugle. Elle est au contraire dénigrée, confisquée, détournée, car elle est otage des confrontations politiques. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme«  disait un certain Rabelais. Mais de quelle âme et de quelle conscience peut se prévaloir le capitalisme ? Est-ce superflu de rappeler ici que ce système, expliqué par Karl Marx comme « un rapport social de production » évolue selon le triptyque de Rentabilité du capital, de salarisation de masse, et de concurrence infinie pour l’accumulation du capital. PJ Proudhon résumait cela par : « la concurrence c’est la guerre, le profit est le butin ».

Les concepts de croissance économique et de produit intérieur brut constituent deux critères majeurs du dogme capitaliste intrinsèquement liés à la nature marchande de l’économie ainsi qu’au principe d’accumulation. L’intérêt général commande une indispensable refonte de la définition même de croissance et de BIP ; celle-ci n’est envisageable qu’en termes d’économie planifiée démocratiquement, partant des besoins nationaux de la population et de l’urgence des problématiques environnementales. On ne peut en effet pérenniser des cycles économiques prospérant par l’épuisement accéléré des ressources de matières naturelles.

En conclusion, nous pensons que confondre les avancées scientifiques avec le progrès est une erreur, la science n’étant pas forcément source de progrès. Ramener la science et le progrès au rang de religions est une faute. La science ne repose pas sur une quelconque « croyance » en une vérité révélée, mais sert d’abord à démontrer ce qui est faux. Elle s’adosse à des observations, des déductions logiques et des expériences qui constituent des preuves de véracité. C’est le capitalisme qui pervertit la science en réduisant sa faculté progressiste et en l’instrumentalisant à son profit contre l’intérêt général, au détriment de l’environnement, des biodiversités et in fine de la vie. S’affranchir de ces réalités reviendrait à jeter le bébé avec l’eau du bain tout en injuriant les lendemains de l’humanité.


*Claude Piou et Gérard Prioul se définissent respectivement « Militant politique » et « Syndicaliste – Libre Penseur« 


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1 thought on “« Faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain? » – Par Gérard Prioul et Claude Piou 🔓”

  1. Chers amis,
    J’ai lu votre texte avec attention et intérêt. 5 pages très argumentées et parfaitement écrites.
    J’ai dû relire mon article « Covid et gros vide de sens » car je ne reconnaissais pas toujours l’auteur que vous mentionnez. Effectivement, c’est bien de moi qu’il s’agit mais je pense qu’en deçà de divergences d’opinions il y a une certaine incompréhension de ce que j’ai écrit, sans quoi je n’aurais pas eu droit à une formule comme « il est tout de même troublant, pour ne pas dire stupéfiant, venant d’une plume que l’on voudrait proche des nôtres, qu’elle évite la formulation d’un procès au seul capitalisme ». En effet, il faudrait avoir mal lu mon papier pour y voir que je n’y fait pas le procès du capitalisme. Je pense seulement, avec beaucoup d’autres auxquels je fais et ferai référence ici, que la critique du « seul capitalisme » ne suffit plus pour éviter la catastrophe écologique et humanitaire qui s’avance. J’ai relevé dans votre article quelques points sur lesquels je reviens.

    Sur mon « covido-scepticisme » supposé et mon « ambiguïté quant à la réalité ou non de la seconde vague de pandémie à Covid 19 ». Je ne nie pas l’existence de cette pandémie mondiale ni les effets délétères du virus sur la santé humaine. D’ailleurs, tous les scientifiques s’accordent pour reconnaître sa forte contagiosité. Ce qui fait débat et que je questionne à mon tour, c’est la dramatisation qui en est faite par le gouvernement (je devrais dire les gouvernements) et les grands médias, maintenant, alors que l’épidémie était sous-estimée par les mêmes quand elle était à son pic en mars et avril. Vous n’ignorez pas que la communauté scientifique et médicale est très partagée sur la gravité de la Covid 19 (son taux de létalité) et sur la réalité de cette « deuxième vague ». Une tribune publiée par 300 chercheurs et professionnels de santé ne peut décemment pas être balayée d’un revers de main. Ou bien il est dorénavant interdit de penser sur ce sujet. Et il est bien possible que ce soit le cas quand toute personne ou groupe qui conteste ou relativise cette idée martelée, « le virus est extrêmement dangereux et menace l’humanité et le seul moyen de le combattre est de nous supprimer nos libertés, nos droits et tout ce qui nous humanise », est immédiatement qualifié de complotiste.
    Et c’est malheureusement ce que vous faîtes à votre tour à mon sujet en écrivant « L’affirmation du doute…ne devrait pas susciter la surprise et alimenter on ne sait quelles thèses du complot ». La psychologue Ariane Bilhran, interviewée par le réalisateur Pierre Barnérias dans la préparation de son film « Hold-Up Covid-19 » (mais dont il ne reste malheureusement presque rien dans le film) commence par tordre le cou à cette formule paradoxale car elle définit une chose et son contraire. Elle explique que les complots font partie de l’histoire de l’humanité. Ils sont organisés par les classes dominantes qui détiennent des privilèges contre ceux qui n’en ont pas et pourraient se rebeller. Le complotiste est celui qui pense le complot mais on ne dit pas si le complot est vrai ou imaginaire. Si le complot est vrai, celui qui le pense et le dénonce est un philosophe ou un lanceur d’alerte (Socrate, Antigone, Agamben, Assange ou Snowden), s’il est imaginaire, celui qui le pense est un paranoïaque. Le qualificatif complotiste assimile donc le philosophe et le paranoïaque,ce qui est une perversion du langage.

    A propos de Darwin, je ne l’ai pas lu et n’ai lu que des commentaires à son propos, en particulier dans le livre de Roland Gori dont la lecture cet été a initié mon envie d’écrire dans Le Glob. Même si j’ai quelques raisons de penser que sa théorie de l’évolution des espèces est dépassée (tout comme la mécanique newtonienne l’est par la physique quantique), je n’attribue pas à Darwin la paternité du darwinisme social mais à son contemporain Herbert Spencer en précisant bien que l’un n’était pas d’accord avec l’autre.

    Venons en à mon soi disant « dénigrement des Lumières et de la science ». Je ne dénigre évidemment pas la science en tant qu’elle vise à comprendre les mystères de la matière et de la vie, des individus et des sociétés (le partage assez votre distinguo entre le « comment » et le « pourquoi » même si la science s’intéresse souvent aux deux) Et ce d’autant moins que je l’ai pratiquée, un peu, à l’occasion d’un mémoire d’ingénieur agricole sur la photosynthèse à l’INRA. Ce que je conteste, toujours inspiré par d’autres penseurs bien plus compétents que moi, c’est la dérive scientiste qui pose la connaissance scientifique comme vérité absolue qui doit guider les choix et les comportements des hommes et des sociétés. Car, en cela elle devient une religion et Emmanuel Todd, qui se dit athée, date le début de la déchristianisation occidentale au milieu du 19ème siècle, c’est à dire précisément à l’époque où se développe l’idée de progrès assise sur celui de la science, de la technologie et de l’industrie (lequel Todd considère que le catholicisme est en phase terminale et que ça pose un gros problème y compris pour les « libre penseurs » qui n’ont plus d’ennemi à combattre). Ce qui est scientifiquement vrai pour la science à une époque, peut ne plus l’être à une autre (Cf. la disqualification de la mécanique newtonienne par la physique quantique) tandis que la croyance en un dieu (au sens ontologique de l’origine du monde) est beaucoup plus intemporelle. Le problème n’est d’ailleurs pas tant celui de la science qui cherche (ce qui est son sens) que celui de la science qui invente et alimente la technologie et l’industrie capitaliste. Loin de moi l’idée de renoncer à toutes les inventions techniques qui ont permis d’améliorer notre bien-être matériel et de réduire nos souffrances. Ayant subi un infarctus l’an dernier je ne regrette pas d’avoir pu bénéficier de la pose d’un stent qui relève d’une technique intraveineuse moderne et récente. Mais force est de constater que toutes les innovations technologiques ne sont pas bénéfiques pour l’humanité ni pour son milieu, mais qu’elles sont soutenues par la dynamique capitaliste de l’industrie. Comme le demande le philosophe Dominique Bourg, « une fois qu’on a un frigo, a t’on besoin d’un deuxième et a t’on besoin qu’il soit connecté à son téléphone ? » (in Le Monde Diplomatique de Novembre). C’est pourquoi, toutes les innovations technologiques qui impactent notre mode de vie et l’état de la nature, doivent toujours être sujets de débats et de délibérations collectives et ne doivent pas être laissées aux seules décisions des scientifiques, des industriels et à la « main invisible du marché » (autre dieu païen contemporain). C’est ce que je suggère en questionnant la notion de progrès : »Est-ce bien cela que nous voulons ? Cette flèche du temps pointée vers le haut, vers toujours plus de biens et de confort matériel, au prix de dégâts écologiques et sociaux considérables est-elle une fatalité ? Est-il tellement déraisonnable de douter des bienfaits de la science dont nous célébrons la fête chaque année à cette époque ? Peut-on discuter des orientations de la science ? »

    Pour terminer je reviendrai sur l’intitulé de votre article : Ne pas jeter bébé avec l’eau du bain. Est-ce à considérer que bébé incarne la science et la technologie qu’il faut bien distinguer de l’eau sale du capitalisme et des catastrophes sociales, écologiques et humanitaires qu’il engendre ? Certes, le capitalisme pervertit la science et la crise du Covid le révèle avec force comme le montre Philippe Descamps dans le Diplo de novembre, mais la science nourrit le capitalisme productiviste en suggérant que tout problème a sa solution… technique. C’est cette logique qui associe le progrès à celui de la science et de la technologie que défendent les adeptes du capitalisme vert, sincèrement convaincus, comme Macron et le techno-écologiste Eric Piolle, que la technologie nous sauvera du désastre écologique.

    Les écologistes radicaux quant à eux, depuis les luddites et les Canuts du 19ème siècle, les pionniers de l’écologie politique des années 1960-70 jusqu’aux objecteurs de croissance aujourd’hui, ont toujours associé la critique du capitalisme et celle du monde techno-industriel. Vous pouvez les découvrir dans le mensuel La Décroissance ou via le collectif grenoblois Pièces et Main d’œuvre dont je vous recommande la critique de la vedette écologiste du moment.
    Avec eux, je ne jette pas la science ni la notion de progrès. Je revendique leur émancipation de l’emprise industrielle et capitaliste.

    Amicalement, Nicolas Chomel

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