Entretien – L’ex Dir. cab. revient sur les six années, dans l’ombre de François Zocchetto 🔓

David Ouvrad l'ex-directeur de cabinet de François Zocchetto

« Le bureau est prêt pour le successeur, comme je l’ai trouvé il y a six ans… » a écrit sur le réseau social Twitter le directeur de cabinet de François Zocchetto qui vient de quitter ses fonctions à la mairie de Laval. « Il est temps pour moi de trouver une autre voie, de nouvelles fonctions (…) » David Ouvrard revient sur ces six années passées « Dans l’ombre des élus » à gérer par la force des choses et à deux reprises une « Communication de crise » où son « patron » était impliqué...

Grand Entretien avec David Ouvrard*

Par Thomas H.


Leglob-journal : Ce furent six ans de mandature un peu exceptionnels, non ? Parce qu’il a fallu, c’est du moins ce que disait l’équipe sortante « redresser une situation un peu compliquée », au niveau financier ?…

David Ouvrard : Oui, compliquée mais ce n’était pas pour l’équipe une découverte. Clairement pas. Cette situation n’est pas née en 2014, elle n’est pas née en 2008, elle traînait déjà depuis un certain temps. Tout le monde a fait campagne en 2020 sur la situation financière difficile de la ville. Mais quand on retient cette phrase « une situation financière fragile », le rapport précédent de la Chambre régionale des comptes que j’ai relu évoquait « une situation financière tendue ». Alors…

Leglob-journal : Finalement, qu’est ce que vous retenez de ce mandat?

J’ai dit à François Zocchetto l’autre jour que c’était le mandat de la réparation et le mandat de la préparation, ce qu’il a repris d’ailleurs, parce que finalement, c’est exactement ça. Et du coup, quand on est élu sortant, c’est ultra frustrant. Parce que serrer les boulons pour mettre le truc d’équerre, pour être conforme aux règles et aux attentes de bonne gestion, c’est du boulot… Ce n’est pas rigolo parce qu’il faut être inventif.

Je sais que vous avez posé la question à d’autres sur la problématique de l’impôt : est ce que c’est grave d’augmenter l’impôt ? Peut être pas. Peut être que oui. Après, c’est un choix éminemment politique. Pour autant, quand vous ne faites pas ce choix-là, pis encore, quand vous décidez de les baisser de dix pour cent, c’est-à-dire de vous priver de trois millions de recettes chaque année… Ça fait un manque…

Quand vous additionnez à ça la baisse des dotations aux collectivités imposée par François Hollande, ça fait encore un autre gros morceau.

Et puis, ce qu’on n’explique pas toujours, c’est comment fonctionnent les finances d’une collectivité. Ce sont les recettes qui viennent des impôts et des produits des services. On n’a pas le droit d’emprunter pour le fonctionnement. On peut le faire pour l’investissement, comme lorsque vous achetez une voiture… Mais dans le fonctionnement, on ne peut pas. Une collectivité ne peut pas voter un budget déficitaire, l’Etat, lui a la possibilité. Donc il faut être un peu inventif.

Si vous n’activez pas le levier de l’impôt, et a fortiori si vous le faites fonctionner dans l’autre sens, en baissant la pression fiscale, il faut trouver autre chose pour compenser. Il y a sans doute de toute façon, en termes d’organisation, en termes d’innovation, de gestion, etc. des économies possibles à trouver à la maire de Laval. Elles peuvent être trouvées, mais c’est douloureux…


« Quand la ville avait de l’argent »


Leglob-journal : Dans cette campagne, à aucun moment, puisqu’on parle d’économies à réaliser sur le fonctionnement, on a évoqué la masse salariale. Est ce que la Ville de Laval n’est pas un peu surdimensionnée, selon vous, en termes d’agents?

Oui, quand on regarde les strates… Les villes sont classées par strate de population, vous savez, et bien on est au delà du pourcentage de la strate. On est à 62 %, de mémoire… Ça a été aussi un choix politique de recourir à beaucoup d’effectifs.

Leglob-journal : Du temps de d’Aubert?

Oui, quand les collectivités avait de l’argent… aujourd’hui, elles n’ont plus les mêmes ressources.

Leglob-journal : Et maintenant, on a une masse salariale qui est très importante…

Oui, et qui tend à décroître par un effet démographique, avec les départs à la retraite, bien sûr… Maintenant, on peut aussi poser le principe de dire « on ne remplace pas deux départs sur trois ». Mais ça ne veut rien dire… On peut se donner un objectif de ne pas forcément remplacer tout le monde. Mais cela doit être motivé par deux choses. Premièrement : Est ce que c’est vraiment le périmètre d’action d’une collectivité? Deuxièmement : il y a des secteurs pour lesquels il ne faut pas appliquer ça, puisqu’on est déjà en déficit pour réaliser le service. Je pense au service des espaces verts. On n’a pas réduit les effectifs des espaces verts. On n’arrive pas à recruter aujourd’hui et ce n’est pas un service qui est visé par le non-remplacement de un sur deux ou de deux sur trois. La ville a du mal à recruter, nous avons en face des agents peu qualifiés, abîmés physiquement, donc cela induit de l’absentéisme. Et cela devient compliqué après de rendre le service.

Leglob-journal : Vous pensez que dans la nouvelle mandature qui s’ouvre avec Florian Bercault et son équipe, ce sera un des points importants, la masse salariale, selon vous?

Peut être… peut être… Mais si vous voulez me faire dire qu’ils vont embaucher à tour de bras et faire exploser le fonctionnement, je n’en sais rien… Je sais que le temps d’une campagne qui était quand même, par certains aspects, une campagne assez attrape-tout en vérité, le temps de la campagne où on répond aux désirs individuels, je crois que ça n’a jamais fait l’intérêt général, tout ça. Et puis après, il y a le temps de la réalité, le temps de la gestion et le temps d’entrer dans les dossiers.

Dans la nouvelle équipe de gauche, il n’y a que deux élus qui ont un passé municipal de gestion d’une collectivité. Les autres vont découvrir. Il faut s’adapter au réel. Ils feront des choix de la même manière. Est-ce qu’ils vont recruter à tour de bras pour dire : enfin on a une ville bien entretenue et propre ? Je ne sais pas. Mais je ne crois pas que la ville soit sale fondamentalement. Ce dont je suis persuadé, par contre, c’est qu’il y a clairement à revoir l’organisation du travail. Un exemple tout bête, un truc qu’on n’a pas réussi à faire.

Concernant les équipes des espaces verts. Je tonds la pelouse. Il y a un trottoir, des caniveaux, des bordures et de l’herbe qui pousse. Ce n’est pas le gars des Espaces verts qui enlève les herbes qui poussent, c’est celui de la Propreté urbaine…

Quand on fait un entretien, en général, on fait tout, non ?! D’abord parce que ça donne aussi une bonne image du service rendu à la population…

Leglob-journal : Ça paraît logique

Oui, mais pour moi, il y a un problème d’organisation, d’encadrement, sans doute des équipes d’intervention sur l’espace public. Je crois que, justement, il faut arrêter de raisonner propreté d’un côté, espaces verts de l’autre, il s’agit de l’espace public qu’il faut gérer dans sa globalité.


« L’effet loupe, c’est ce que j’appelle la pétition à trois. C’est vue de mon quartier, et de mon trottoir. ce n’est pas propre… » – © leglob-journal

« Attention à l’effet loupe »


Leglob-journal : Pourquoi vous n’avez pas pu le mettre en place pendant ces six ans ?

On a fait le plein de chantiers de réparation. C’est lourd de réparer et du coup on ne pense pas forcément à innover.

Leglob-journal : Il ne faut pas, selon vous, comme le préconisent certains, réduire la masse salariale. Il faut simplement réorganiser ?

Je pense que d’abord, il y a un vrai travail de réorganisation à faire qui donnera un peu plus d’efficience. Quand j’entendais dans le débat des municipales : « la Ville n’est pas propre, on va mettre le paquet sur la propreté », etc. Il ne faut pas croire que chaque matin, François Zocchetto arrivait à la mairie en disant : « bon comment on va faire pour ne pas entretenir la ville aujourd’hui ? » Ou que le papier ou la canette ne soient pas ramassés. Il faut se méfier de l’effet loupe. L’effet loupe, c’est ce que j’appelle la pétition à trois. C’est vue de mon quartier, et de mon trottoir, ce n’est pas propre, il y a un trou, il y a une canette… Et donc je fait une pétition que j’envoie à la Presse, qui en fait une demi-page et j’écris à Laval Direct Proximité, qui est d’ailleurs de surcroît un service qui marche très bien.

Mais vous savez, il y a le poids des habitudes, il y a une lourdeur. Il y a peut-être, en certains endroits, une volonté de ne pas avancer trop vite. Mais encore une fois, ce sujet-là, pour moi, quand j’entends les gens dire « la ville est sale ». Ce qui me fait mal, c’est que finalement, ce sont les agents qu’on insulte..

Leglob-journal : Qu’est ce qui n’a pas fonctionné pendant ces six ans, selon vous?

Moi à titre personnel, le sujet que j’aurais aimé mener et qui n’a pas été mené… j’aurais aimé qu’on mutualise la communication Ville et Agglo, qu’on aille plus loin Ville, ville-agglo et les satellites, Laval Économie, Laval Mayenne Technopole, etc. pour doper le territoire de Laval. Parce que c’est celui qui pèse quand même plus du tiers de la population de ce département, la moitié de l’activité économique. C’est le produit d’appel de la Mayenne, Laval ! Et oui…

Leglob-journal : c’est intéressant par rapport au Département…

On va en parler… Justement, c’est de construire aussi cette identité propre et une force qui soit véritablement une force qui attire. Mais on n’a pas structuré notre message, on n’a pas su raconter l’histoire de ce territoire. On n’a pas réussi à construire les bons outils de communication pour renforcer cette attractivité et pour dire que c’est un territoire qui compte. On a vu les opportunités de la LGV, on a eu tout ça mais sauf que l’on est resté en chapelles.

Moi, j’avais plaidé pour qu’on mutualise – dans la vague de mutualisations qui a été conduite dans le mandat – , qu’on mutualise aussi le service communication. Et ça n’a pas été reçu avec enthousiasme à l’Agglo.

Leglob-journal : Pour quelles raisons?

Je l’ignore. Je me dis que, c’est possible, on se méfie toujours de la communication, de la direction de la communication. Est-ce que c’est de l’argent utile ? Donc ça ne s’est pas fait…


« C’était pour exister vraiment »


Leglob-journal : C’était un contrepoids que vous vouliez apporter au Département en terme d’attractivité?

Non, c’était pour exister vraiment, pour dire que ce qu’on fait sur ce territoire soit reconnu, comme porté par ce territoire. Je pense qu’une politique globale d’attractivité n’est pas une politique du coucou. On ne va pas piocher dans les idées des autres pour se les approprier. Nous construisons quelque chose de solide et on pouvait faire quelque chose à côté du Département, sans absorption, sans fusion. Ça pouvait être cohérent.

La Mayenne a besoin d’être identifiée parce qu’on ne sait pas ce que c’est ; on ne sait pas où c’est… vraiment ! Je reste convaincu que Laval parle plus que la Mayenne. Donc, il fallait construire cette identité. Pour être pertinent, il fallait agir sur Laval Économie, Laval Mayenne Technopole, parce que tout ça, ce sont des satellites qui sont financés par les mêmes. Je mets Laval Virtual, volontairement, un peu à côté – même s’ils sont financés par Laval Agglo, principalement- , parce que là, c’est déjà une marque. Donc, il ne s’agit pas de la diluer. C’est un bon outil et un produit d’appel…

Leglob-journal : on a l’impression qu’on a géré un peu au jour le jour les affaires et qu’on a peut être effectivement beaucoup axé sur la recherche d’argent en vendant des biens, etc. Et qu’on n’a pas du coup fait autre chose. On n’a même raté, disent certains Mayennais, l’arrivée du TGV à Laval… Vous êtes d’accord avec ça ?

Vous avez vos biais cognitifs (sourires) … Non, on n’a pas joué au jour le jour, mais vraiment, j’insiste, il faut vivre de l’intérieur, un mandat de réparation, c’est dur. J’ai vu François Zocchetto en fin d’année avec cette interrogation : « Est ce qu’on boucle notre année de financement? » J’ai vu les fins d’année François Zocchetto mal dormir , j’ai vu physiquement son inquiétude de se dire, on a serré les boulons… Et puis, on a aussi continué d’avancer parce que quand même, oui, on a réparé !

Oui, on a fait des économies ! A quoi ça sert de faire ça si ce n’est pas pour préparer l’avenir ? Et malgré tout, on a finalisé le dossier de la gare, le dossier de l’écoquartier Férrié. Il a été lancé le projet du Conservatoire, la concertation sur le centre ville… Non, je n’ai pas le sentiment qu’on a géré au jour le jour, mais un mandat de réparation, c’est un mandat cruel parce que vous ne voyez pas les réalisations. Vous les voyez dans le mandat d’après…


« Laval, pour être complètement réparée, il faudrait mettre un million et demi tous les ans sur la voirie pour la remettre à niveau. » – © leglob-journal

Leglob-journal : Laval est complètement réparée maintenant, à votre avis ?

Non, parce que pour être complètement réparée, il faudrait mettre un million et demi tous les ans sur la voirie pour la remettre à niveau. C’est énorme parce qu’en fait, tout le patrimoine de la Ville de Laval, voiries, trottoirs, rues, bâtiments municipaux n’ont pas été, en réalité, entretenus depuis une vingtaine d’années. Tout le monde est responsable. Pinçon l’a fait et puis je pense qu’après… voilà… il y a eu des réalisations, le Théâtre, la Médiapôle à côté…

Globalement, on a dépensé ailleurs. On n’a pas changé les chaudières, on a limité les contrats d’entretien et à un moment donné, ça commence à craquer de partout. Dans ce mandat, quand il faut gérer ce qui craque, ce qu’il faut refaire clairement, on refait pas toutes les écoles en un mandat, ni d’ailleurs les gymnases… On a réussi à trouver un truc avec le département qui a mis en place une ligne spécifique pour les gymnases. Ça vient juste de commencer fin d’année 2019. Les successeurs vont avoir déjà une série de gymnases, avec des sols refaits, des chauffages refaits. Bon. Tant mieux… La voirie, c’est le bon exemple. Aujourd’hui, pour remettre à niveau, c’est presque un million et demi tous les ans. Là où on en met, aller, entre 700 000 et 800 000 euros…


La priorité aux grands chantiers


Leglob-journal : avec l’espace Mayenne que construit le Département, 40 et quelques millions d’euros, l’Agglo sera le gestionnaire : est-ce que ce n’est pas la porte ouverte à du déficit?

Le déficit, s’il y a, ne sera que sur du déficit d’exploitation. Il y a aussi des investissements qui ne sont pas forcément des investissements qui doivent être strictement rentables. La vente de patrimoine : quand vous avez des bâtiments qui ne servent à rien, qui ne servent plus, qui sont pourris et qui coûtent, il n’y a plus qu’à les vendre. St-Julien, on est co-vendeur avec l’hôpital notamment le petit jardin, c’est l’hôpital qui a vendu… et Corbineau, ce sont des grandes opérations. C’est à peu près 650 logements qui sont créés, avec toutes les cessions qui ont été faites. Mais à l’échelle d’une ville comme Laval, ces logements nouveaux mis sur le marché, c’est pas mal… On a surtout focalisé sur les gros dossiers…

Leglob-journal : Pourquoi la place du 11-Novembre, qui était une priorité du mandat de François Zocchetto au début, n’a pas été réalisée mais abordée simplement à la fin ?

C’était aussi une priorité de Jean-Christophe Boyer, vous l’avez fait remarquer récemment … Toutes les priorités ne sont pas réalisées dès la première année. Ce n’est pas le gros morceau qui a été traité en premier, c’est clair ! C’était rendre enfin opérationnel la ZAC de la Gare, et lancer l’écoquartier de Ferrié et la ZAC Ferrié. On aurait pu faire comme avant, c’est à dire, cette ZAC ne nous plaît pas, on arrête tout et on recommence un dossier. Sauf que pour commercialiser il faut entre trois et cinq ans. S’ils n’avaient pas arrêté la ZAC mise en place par d’Aubert, la municipalité précédente de gauche aurait pu inaugurer la passerelle. Leur chère passerelle…

On a discuté avec le promoteur de cette passerelle, et on a fait une économie de 500 000 euros, même s’il a fallu faire quelques petits travaux complémentaires. C’était les priorités du moment parce que ces dossiers étaient lancés. Soit on les arrêtait et on perdait tout. C’est très chronophage et mobilisateur. Donc, c’était vraiment les deux premiers gros projets lancés et très vite (…) ça nous a pas empêché aussi de reconfigurer la Cité de la réalité virtuelle là haut, pour la mettre dans un endroit cohérent, et à moitié prix…

leglob-journal : Un projet bien réduit dans son envergure par rapport au projet initial tout de même…

Oui, oui, bien sûr, puisqu’il était question d’y mettre le CCSTI. C’était une bonne idée mais qui n’aurait jamais aboutie, simplement parce que la région aurait dû financer un CCSTI aussi important. Ça l’aurait engagée aussi sur l’ensemble des départements des Pays de Loire et ce n’était pas tenable.

Leglob-journal : 37 millions pour le Conservatoire, n’est-ce pas énorme pour un outil, nécessaire certes, mais qui va, selon Didier Pilon, concerner 4000 familles sur l’agglomération de Laval ? Si on se réfère au un million et demi d’euros chaque année que vous évoquiez, cela en fait des réfections de voiries !

Bien sûr, mais vous faites des belles routes pour que les gens viennent, d’accord, les rues sont bien, mais par contre, côté loisirs, on fait quoi?

Leglob-journal : Ce n’était pas possible d’installer le Conservatoire à Saint-Julien, dans une partie de Saint-Julien qui aurait été conservée?

Je vous rappelle quand même que concernant Saint-Julien, la Ville a acheté plus cher que ce qu’on a acheté le Crédit Foncier pour le Conservatoire. L’ancienne municipalité l’avait acheté avec un prêt in fine. Je l’achète et je paye plus tard. Il a fallu rembourser 2 millions et demi en une seule fois.

Ce sont des investissements importants. Ce sont des investissements lourds, longs pour l’avenir, structurants. Ce n’est pas délirant d’avoir un beau conservatoire pour une ville. Pour une ville comme Laval et son agglomération, c’est 4000 familles. C’est pas 4000 personnes, c’est trois fois plus.

(…) Toute décision municipale est une décision, un choix, une décision politique d’aménagement. Mais c’est encore moins cher que le projet St-Julien de la municipalité précédente, qui, lui, n’était pas financé.


« Mon travail, c’est de recueillir des notes techniques, des environnements juridiques, des choses comme ça, d’analyser tout ça… » – © leglob-journal

« Une aide à la décision »


Leglob-journal : Directeur de cabinet mais vous faites de la communication politique...

J’aime bien…

Leglob-journal : Directeur de cabinet, vous êtes très pointu sur tous les dossiers. Quel était le rapport que vous aviez avec François Zocchetto sur la gestion de la ville?

Il faut démystifier tout de suite déjà la fonction. Les hommes de l’ombre, etc. tous ces gens-là qui cultivent le secret, qui sont paranoïaques…Alors, je ne suis pas parano du tout, pour un sou. Je ne cultive pas le secret. Je n’ai pas à me mettre en avant. J’ai accepté cette interview aujourd’hui, qui sera publiée après mon départ…

Leglob-journal : Pourquoi vous accordez cette interview aujourd’hui au Glob-journal?

Parce que je pars, que vous m’avez sollicité et que je vous aime bien…

Leglob-journal :  Mais en même temps, est-ce que c’est un moyen de dire des choses que vous ne pourriez pas dire par ailleurs?

Oui… et Non. Ce n’est pas que je ne pourrais pas dire des choses, c’est quelquefois des choses qu’on a oublié de dire ou qu’on oublie de rappeler dans le quotidien. Par exemple on a évoqué la Chambre régionale des comptes et les projets. En fait, je me rends compte qu’à un moment donné, les élus disent des choses, mais on les a tout de suite oubliées. Et quand le sujet revient, on ne le recontextualise plus. Vos confrères ne le contextualisent plus. (…) La communication, c’est de la marteau thérapie. Il faut répéter, répéter, répéter, et répéter. Voilà tout.

Oui, je suis dans l’ombre, mais je ne cultive ni le coup politique, ni la paranoïa, ni tout ça. Le rôle du directeur de cabinet, c’est pour faire simple, c’est un proche, c’est le conseiller du maire. Mon métier c’est ça tel que je l’ai vécu là pendant six ans, avec un maire ultra respectueux de mon métier, de ma fonction et de ma personne, comme il l’est avec l’ensemble des équipes ici, de toute façon. Il s’agissait pour moi de lui apporter une réflexion, de décrypter des enjeux politiques comme élément d’aide à la décision.

Je ne suis pas un spécialiste en tout. Bienheureux celui qu’il l’est. Je n’ai aucune prétention là-dessus, mais j’adore apprendre. Donc, quand je ne sais pas, on a toutes les compétences dans cette collectivité.

Il suffit de faire appel aux bonnes personnes. Un bon technicien, un agent va vous expliquer. Mon travail, c’est de recueillir des informations, et de faire des notes techniques, des environnements juridiques, des choses comme ça, d’analyser tout ça. Et puis de mettre ça en perspective pour avoir un projet municipal. J’ai toujours dit à mes équipes quand vous écrivez quelque chose, n’oubliez pas de faire le lien avec ce qu’était l’engagement en 2014. On a dit ça à un moment donné. Pourquoi on ne le fait plus? Pourquoi on le fait différemment? Jamais oublier ce lien et donc, c’est un peu ça, mon rôle… D’abord, c’est un métier de confiance. c’est un métier où on est très proche.

C’est un métier où on est connecté en permanence, téléphone, de visu, par SMS. J’allais presque dire 7 jours sur 7, presque 24 heures sur 24. Mais François Zocchetto était respectueux du week-end et des nuits. Sauf une urgence et un problème, un événement particulier.

Ce qui est intéressant, c’est justement de contribuer, d’être contributeur de l’aide à la décision. Ce que dit François Zocchetto, les décisions qu’il prend, ce ne sont pas les décisions de David Ouvrard …

Leglob-journal : Ce sont des décisions matinées de David Ouvrard?

Des fois, oui, parce que je lui apporte une argumentation ou un point de vue qu’il sollicite ou qu’il partage. Des fois, non ! Alors il fait autrement… Parce que c’est quelqu’un qui recueille des avis avant de décider. Je sais que j’entends dire : « il n’a pas l’air d’être quelqu’un qui décide« .

C’est aussi une manière de se protéger. Il ne cultive pas une image. Du coup, il n’apparaît pas, comme d’autres acteurs de la scène publique locale, comme étant le gendre idéal., Sympathique, souriant… c’est son tempérament et sa culture. Pourtant il décide, je suis témoin de ses décisions, petites, grandes, moyennes. Il écoute les avis et il fait son choix. En fait, il a besoin de consulter pour vérifier son intuition, partagée ou pas, ou en tout cas pour construire son opinion. Mais il y a une chose qu’il ne supporte pas, c’est d’être sous influence. C’est à dire que si vous avez quelqu’un qui fait un forcing monstrueux, individuel, personne physique comme personne morale, qui veut le pousser à faire quelque chose, alors là, celui-ci emploie la très mauvaise méthode.


L'image de Zocchetto s'en trouve brouillée...(Capture d'écran vidéo Reuters)
Lors de sa visite « secrète » en Syrie, l’image de François Zocchetto s’en ait trouvé brouillée…(Capture d’écran vidéo Reuters)

Syrie : « la diplomatie grise »


Leglob-journal : Vous avez dû gérer la fameuse Affaire Romaine en fin de mandat… Et puis cette affaire avec la Syrie en tout début, deux grosses affaires où François Zocchetto a été mis sur le devant de la scène « à l’insu de son plein gré« . Comment ça s’est passé? Racontez nous un peu…

Le premier sujet que vous évoquez, je n’ai été mis dans la confidence de son déplacement que la veille de son départ. Très très peu de personnes étaient au courant, pour des raisons de sécurité. On ne va pas refaire l’histoire, mais les autorités françaises au plus haut niveau étaient informées du déplacement…

Leglob-journal : Le ministère des Affaires étrangères…

La présidence de la République. Ils étaient informés. Moi, j’ai été prévenu qu’il ne serait pas joignable pendant trois jours ou difficilement. Je crois à l’époque que le président du Sénat avait constitué la mission des trois sénateurs… Je n’ai pas eu le détail de la visite.

Leglob-journal : comment avez-vous géré après, ce qui est apparu comme un très gros couac, finalement?

Je n’ai pas géré la communication de cet événement-là. C’était le sénateur Zocchetto qui agissait. C’est l’équipe du Sénat qui a géré les remous qu’on peut comprendre, mais le déplacement n’était pas juste un déplacement pour aller dire bonjour à Bachar al-Assad, C’était pour visiter les chrétiens d’Orient, et apporter du soutien ; mais la diplomatie et ce qui se passe dans le monde, ce n’est pas une affaire de Bisounours. C’est-à-dire s’émouvoir, oui, Bachar el-Assad est un triste personnage, – je n’ai pas de mots pour le qualifier – mais il y a des moments où il y a une diplomatie ouverte, officielle, et une pseudo ouverte : blanche, grise et noire. La noire, on ne sait pas, parce que là, c’est plutôt d’autres personnes qui sont dans la négociation autour du renseignement.

Leglob-journal : François Zocchetto était dans la grise ?…

Oui, dans le sens où ce n’est pas une mission officielle validée par le président de la République. Ils savaient très bien. ils ont joué un peu les vierges effarouchées, on peut dire ça comme ça…si il en ressortait quelque chose d’à peu près positif, feignons alors de l’avoir organisé sinon…cela fait un sujet presse …

Leglob-journal : Qu’est ce que vous lui avez dit bien après, quand il est rentré à Laval?

J’ai d’abord dit qu’il était courageux parce qu’arriver au Liban pour rejoindre ensuite la Syrie… Vous voyez ce que vous traversez ? Comment vous traversez et avec qui vous traversez ? Qui vous protège des risques, car il y avait un vrai risque…

Il y avait un vrai risque, même si il y avait autour de lui des forces sécurisantes.

Après, c’est fait. Ça fait une tache dans la presse… Je crois qu’il l’a tout à fait assumée et il a répondu aux questions pour s’expliquer là-dessus.

Leglob-journal : Oui je me souviens l’avoir joint au téléphone à la Radio…Ça a été un épisode, selon vous, relativement facile à gérer?

Oui, ce n’était pas le plus compliqué…


Affaire romaine : « je n’ai pas rédigé le communiqué de presse »


Leglob-journal : Le plus compliqué, c’était le second, c’est-à-dire ce que leglob-journal a appelé l’Affaire romaine ?

Oui, ça… c’est compliqué à gérer. Parce que… Parce que ça touche à l’humain de manière violente…

Leglob-journal : De quel point de vue?

Pour lui, à travers lui… Moi la dame, je ne la connais pas. D’autres la connaissent, il y en a qui ont tenté Sciences Po-Rennes en même temps qu’elle…Ce que je veux dire par là, c’est que je ne veux pas commenter, comment s’est déroulée la situation. Je note juste l’opportunité… Ce n’est pas par hasard que ça arrive à ce moment là. La dame l’écrit elle-même dans son courrier qu’elle a rendu public. « Les élections municipales arrivent et j’interviens dans ce cadre là ».

C’est un moment difficile, je vous le disais, parce que vous êtes face à un homme sur qui tout tombe… et qu’il faut se relever d’une situation comme ça. Je l’ai vu dans une situation psychologique difficile. C’était fort.. Comme il ne se montre pas, comme je l’ai dit, c’est quelqu’un qui est beaucoup sur la réserve et qui est assez pudique. Vous êtes le collaborateur de l’élu à qui il arrive une situation comme celle-là. C’est compliqué de trouver le bon niveau, la bonne attitude à avoir. C’est d’abord l’écoute, les mots, puis il s’agit de l’accompagner autant que possible.

Leglob-journal : Ce n’est pas vous qui êtes à l’origine du communiqué de presse qui a été donné aux journalistes ?

 Non, je n’en ai eu que connaissance. Je n’ai pas rédigé ce communiqué de presse.

Leglob-journal : Vous ne l’auriez pas rédigé comme ça?

Je ne répondrai pas à cette question (sourires)… Non en fait, probablement pas… Vous savez, c’est toujours très simple de refaire l’histoire après coup. Dans une situation de crise, puisque c’est une situation de crise, la gestion de cet événement ce n’est pas quelque chose de simple. C’est pour ça aussi que quelquefois, on fait appel à des professionnels. là, il s’agissait pour lui de se protéger d’un point de vue juridique et donc la communication qu’il a faite a été travaillée avec ses avocats, ses conseils, parce que ne peut pas dire n’importe quoi, n’importe comment, même s’il n’y avait pas dépôt de plainte… Parce que ce que vous dites est toujours retenu contre vous… il a fait le choix à juste titre d’abord de consulter des avocats spécialisés pour savoir si on parle, et si oui ce qu’on dit et comment on parle. (…)

Vous êtes face à votre patron dans son bureau que vous voyez physiquement jour après jour, diminuer, se liquéfier physiquement, se transformer, c’est-à-dire… amaigri, des cernes, les joues creuses… Il a été atteint personnellement.. Moi, je vis professionnellement avec cet homme-là, je l’ai vu très affecté. Ce qui est très difficile à vivre aussi c’est le feuilleton, l’attente. Je suis désolé de dire que la temporalité n’est pas anodine et qu’on ne me dise pas le contraire puisque la dame, elle même, l’écrit dès le début de son courrier. Elle dit à Jean-Christophe Lagarde [Patron national de l’UDI, NDLR] « Vous l’avez investi pour les élections municipales… » Donc, il y a bien une visée temporelle.

Après, il faut le gérer ici à Laval. Qu’est ce qu’on en pense? Qu’est ce que les Lavallois en pensent? Quel regard ils portent sur lui? Tout ça, vous l’avez dans la tronche et le feuilleton est régulier.

On dit : « pourquoi il n’a pas dit ça à ce moment là, etc. » Le jour d’après. Qu’en pensent les Lavallois? Le jour suivant? Qu’en pensent les politiques ? Puis, c’est Madame Michut, son menuisier qui parlent… bon. Et il faut continuer le job de maire et de candidat quand même. 


Image de reconstitution de l’Affaire romaine – Complément d’enquête France 2

« Je n’ai pas les armes, ni la force »


Leglob-journal : C’est quelque chose, j’imagine, dont vous, en tant que directeur de cabinet, vous vous seriez bien passé… Même chose pour la Syrie, non?

Oui, vous savez, on passe six ans ensemble…

Leglob-journal : Vous saviez qu’il y aurait potentiellement un risque, si j’ose dire?

Non, non, non…

Leglob-journal : Un risque que ça arrive, que les choses soient révélées celle-ci et d’autres, peut-être et que éventuellement des noms sortent ?

Très sincèrement, non… Après, les mots ont un sens aussi. Moi, je suis désolé, mais, j’entends la colère de la dame. Je peux comprendre, mais agressions sexuelles, le collage féminicide… Féminicide, ce n’est pas ça, c’est la mort!…

Donc, vous êtes près de quelqu’un qui avait programmé sa candidature pour des municipales et ce genre de choses arrive. Vous voyez la personne abattue et vous êtes auprès de lui. J’ai essayé de le préserver. Vous essayez de lui donner du réconfort et de lui dire de continuer d’avancer. Et voilà…je sais très précisément à quel moment il m’a dit qu’il n’allait ne pas se représenter.

Leglob-journal : Et vous lui avez dit « c’est une bonne chose…»?

Non, Je lui avais dit avant, « je pense que cette idée vous traverse la tête ». Et il a fallu le décider. Je suis candidat ou, non je ne suis plus candidat. Assez vite on s’est dit : s’il vous faut continuer, tout ça sera forcément instrumentalisé pendant la campagne, mais on essaiera de faire face et on déroulera le sujet réel de la campagne des municipales… Ou c’est non, « je ne vais pas avoir la ressource physique et/ou mentale pour conduire une campagne »… Face à cette dernière situation, il fallait aussi dire vite, « je ne vais pas y aller » et organiser la suite, la succession…

Leglob-journal : Il a compris très vite ?

Il a mis un peu de temps à réfléchir sur le sujet, mais je lui ai dit une chose : « vous ne démissionnez pas de votre mandat de maire« . Que vous disiez « je ne serai pas candidat aux municipales », mais souvenez-vous que vous avez un engagement avec les Lavallois depuis le début.

On a déjeuné ensemble et il m’a dit « J’ai pris ma décision, parce que je ne réussirai pas à trouver toutes les armes et toute la force pour mener la campagne comme ça »… j’ai vu réellement quelqu’un d’abattu, à cette occasion là… A partir de ce moment-là, je me suis dit maintenant, il faut être organisé et comment on dit tout ça aux colistiers, à l’ensemble de l’équipe municipale, etc.

Leglob-journal : Il n’imaginait pas que ça pouvait sortir à nouveau cette affaire ?

Je crois qu’il n’y pensait même pas, surtout. Je pense qu’il ne pensait même pas à cette soirée là…

Leglob-journal : il vous a expliqué ce qu’il avait fait ce soir-là. Il s’est confié à vous ?

Il m’a donné la lettre. Il a lu la lettre d’ « Audrey »… Qu’est ce que vous voulez que je fasse ? Mon métier , c’est directeur de cabinet ? Je ne suis pas son copain. Je ne suis pas son confident. Moi, je dois assurer ce travail à côté de lui. Donc, évidemment, oui, ce genre d’épisodes dans un mandat, ce n’est pas évident, d’autant qu’on pensait que six nouvelles années, avec un peu d’espoir, pouvait se renouveler. En plus tout le monde semblait dire que ça ne paraissait pas très compliqué, sa réélection…

Et il a décidé de passer à autre chose. Après toutes ces années d’engagement, il a fait ce choix qui n’est pas un choix facile parce que c’est quelqu’un qui aime profondément sa ville. Vous savez, s’il n’aimait pas Laval, si ça l’avait emmerdé, il avait une solution ultra facile. Il se représentait aux sénatoriales et faisait valoir la loi sur le cumul des mandats. J’ai déjà entendu François Zocchetto me confier, que le président du Sénat lui avait dit «  Mais non, ne pars pas. J’ai besoin de toi… » Commission des lois au Sénat, c’est un poste éminent, prestigieux. Cela veut dire que vous terminez de manière peinarde votre carrière politique, si tant est que ça soit une carrière.


Le bureau vide où David Ouvrard a passé six ans à la mairie – Photo D. Ouvrard

«Mais Monsieur, vous me payez pour me déranger»


Leglob-journal : Comment était-il quand vous êtes arrivé à Laval ?

Au tout au début, ce qui m’impressionnait, c’est qu’il frappait à la porte de mon bureau avant d’entrer et disait « David, excusez moi de vous déranger… »

Je lui répétait «mais Monsieur, vous me payez pour me déranger »… Je trouve que c’est une forme d’élégance et de prévenance et de respect des autres. Il n’aime pas se mettre en avant, il n’aime pas faire des selfies partout et il n’utilise pas les réseaux sociaux. Il a des comptes, mais ils sont administrés sous réserve de validation par lui de ce qui est publié. Il n’est pas dans cet exercice-là d’images. Donc, du coup, quand vous avez sur la scène locale, d’autres qui se comportent différemment, ou qui sont différents dans leurs attitudes et dans leurs tempéraments, on ne manque pas de faire remarquer la différence. Il est sympathique d’un coté, François Zocchetto est distant de l’autre.

Leglob-journal : Il a été peu présent malgré tout dans les quartiers. Les habitants de Saint-Nicolas ou des Pommeraies disent « on ne l’a pas vu beaucoup.. ».

C’est marrant parce que, si il y a des quartiers dans lesquels il est allé le plus en six ans, – invitations, soirées et animations des maisons de quartier -, c’est bien ceux-là.

Leglob-journal : A quoi ça tient alors selon vous?

Toujours peut-être ce rapport à l’image. Je me mets un peu à distance. Je ne vais pas taper dans le dos et boire des coups. Ce n’est pas du tout un manque d’empathie parce que c’est quelqu’un qui, justement, a un respect de l’humain et une sensibilité…

On est une ville de 50.000 habitants Et je trouve qu’elle fonctionne comme un gros bourg, comme un gros village. On voudrait voir le maire tout le temps, tous les jours, partout. C’est impossible d’honorer toutes les invitations que reçoit le maire de Laval. J’en ai donné quarante ce matin à Bruno Bertier, que j’ai rencontré, pour le futur maire Florian Bercault.

Il ne peut pas être partout. En même temps, on met en avant tout le temps, la délégation, les adjoints, les représentations, les élus de quartier… On met d’abord au premier rang l’élu référent de quartier, l’adjoint référent avant lui. C’est peut être une erreur stratégique… Mais en tout cas, c’est un choix de gouvernance.

Et puis, ce qu’on ne sait pas, c’est qu’il s’agit d’un maire qui est aussi président d’Agglo. Avec la conduite de dossiers assez lourds, on est très, très, très vite absorbé par des réunions techniques, de l’arbitrage, de la conciliation. Et là, ça enferme. L’agenda se remplit très, très vite. Vous y mettez les instances obligatoires, les bureaux municipaux, le conseil municipal, le bureau communautaire, le conseil communautaire, des réunions de commissions, le préfet, le président de département, des associations, la rencontre avec les services techniques sur une problématique. En fait, vous êtes très, très, très vite absorbé. Ça parle pendant deux heures… Mais parfois cela pourrait être réglé en une heure maxi…


L’entrée de la mairie de Laval vue par D. Ouvrard

Leglob-journal : Maintenant vous allez réfléchir à cette question sur la Gauche qui est aux manettes comme on dit ? Qu’est ce qu’elle a intérêt à faire pour ne pas « se planter » selon vous ? Je vous laisse un peu de temps pour réfléchir… Mais avant, je voudrais que vous me disiez concernant l’attractivité, quels étaient vos rapports Ville-Département? Est ce qu’il y avait de l’huile dans les rouages? Est ce qu’il y avait un peu d’eau dans le gaz ?

Il faut des rouages pour mettre de l’huile.

Leglob-journal : Ça veut dire quoi ? Il faut des rouages ?

Il faut qu’on se parle… Pour les raisons que j’ai expliquées tout à l’heure, nous, on n’était pas organisé, c’est ce que j’appelle « les petites chapelles » : pas de stratégie commune. L’institution Département qui veut engager une réflexion et une politique d’attractivité et d’image de marque a l’obligation de travailler avec tout le monde sur son territoire et ne pas faire de différence. Maintenant, Ville et agglo ne peuvent pas non plus être traitées comme un territoire rural. Ce n’est pas la même chose. Donc, on doit être considéré. Pour être considéré, il faut également qu’on soit nous aussi structuré, organisé et solide. J’ai dit tout à l’heure qu’on ne l’était pas. Fort de ça, on n’a pas vraiment parlé…

Donc, le Département a déroulé sa réflexion et son action sur l’attractivité, nous n’étions ni associés, ni rejetés, ni dedans ni dehors ; et malheureusement, un peu à côté. Il faut bien le dire. En fait, c’est ça…

Mais en réalité nous avons pas mal d’atouts et finalement, comme on n’est pas organisé pour le faire savoir, ses atouts sont absorbés par le Département qui les utilise, et il a raison de le faire. Le Département qui veut mettre en avant Laval Virtual quand il travaille sur l’innovation, sur le truc moderne, la tech’, etc. il a tout intérêt à récupérer la French Tech, le label virtuel et puis dire ensuite : c’est ça la Mayenne ! Stratégie d’attractivité et de communication, on se sert de produits d’appel en fonction des cibles, c’est du marketing. On veut attirer du quadra ? On sort la French Tech ; on travaille sur le tourisme, on met en avant la douceur mayennaise, la rivière, le slow, etc. C’est normal qu’il fasse ça, d’ailleurs.

En principe, ce n’est pas toujours le Département qui enclenche une démarche de marque territoriale. A l’intérieur de certains départements français, vous avez une grosse agglomération, une grosse métropole, et donc c’est elle qui porte une marque, en réalité…

Leglob-journal : Alors pourquoi ce n’est pas Laval Agglo qui…?

Parce qu’on n’est pas une grosse métropole ! En même temps, c’est vrai aussi qu’on n’est pas un morceau banal de la Mayenne. Un tiers de la population. La moitié de la richesse et de l’activité économique, c’est ici, dans Laval Agglo… Mais oui, mais, c’est que nous ne sommes pas organisés !

Leglob-journal : C’est un problème de fond ?

Non ! Ce n’est pas un problème, c’est qu’on ne l’a pas fait. Pas parce qu’on s’en fiche, mais parce qu’il y a eu plein de dossiers, d’autres priorités… Pour financer l’attractivité, j’ai proposé des choses à réaliser, et puis voilà, ça n’a pas été traduit dans les faits parce que déjà, premier étage pour moi, il fallait mutualiser. C’était le premier étage de la fusée qui n’a pas pu fonctionner.

Donc, ça ne veut pas dire qu’on ne travaille pas ensemble. A chaque édition de Laval Virtual, le Département, la CCI, la Ville, l’Agglo, Laval Mayenne Technopole, on avait une entité commune, un stand. Laval Mayenne Connections, on appelait ça comme cela, un stand en commun. On a travaillé ensemble, mais effectivement, la démarche d’attractivité de marque engagée par le Département, en réalité : le département porte ça tout seul…


Une salle de réunion en mairie avec une oeuvre du Mayennais Robert Tatin – Photo D. Ouvrard

Leglob-journal : Ce n’est pas un problème d’hommes, de relations entre les hommes ?

(Sourires) Peut-être. Il est possible qu’on n’ait pas tout à fait la même vision de la manière de conduire une démarche d’attractivité. Pour moi, l’idée est très bonne. Il était temps que quelqu’un, une institution, se préoccupe et prenne en charge cette dimension sur l’attractivité. Donc, vous m’entendrez pas dire que le Département déconne sur toute la ligne, en faisant ça, bien au contraire. Et que sur un petit département en population, il est légitime que ce soit le conseil départemental qui engage cette démarche parce que lui seul a une vision sur l’ensemble de son territoire, il a les moyens de le faire, et il peut tout à fait être le leader et entraîner des acteurs publics ou privés. Et ce qu’a fait le département de la Mayenne, voilà, je le dis, c’est très bien…

Bon, moi, j’aurais fait peut être différemment dans la méthode. Maintenant, est-ce qu’on doit discuter des heures, d’une différence d’appréciation ou de conduire une réflexion pour arriver au résultat d’aujourd’hui, puisque l’important, c’est le résultat… si les Mayennais sont fiers de dire M comme Mayenne, si les Mayennais sont fiers d’aller à l’Espace M à Montparnasse, si les Mayennais sont fiers d’avoir le gâteau mayennais… Et bien, c’est réussi. Sinon…

Leglob-journal : Alors c’est réussi selon vous ?

Moi, je ne mesure pas l’état du Mayennais… Je ne suis pas Mayennais d’ailleurs… Il faudrait faire un sondage peut-être pour savoir si cela fonctionne…J’ai le sentiment que l’appropriation arrive, parce que ce n’est pas un sondage scientifique, c’est juste un reflet, un bruit. Vous regardez un peu sur les réseaux sociaux… Au moment du gâteau, il y avait une fierté à dire, j’emmène le gâteau chez moi! Maintenant…

Leglob-journal : Mais vous savez très bien qu’il y a un déficit de notoriété tel que les Mayennais en contrepartie mettent en avant qu’ils sont fiers pour tout…

Oui peut-être, vous avez raison. Mais une stratégie d’attractivité et une marque ne vivent selon moi que sur deux piliers : Un : Elle est partagée et deux : Il y a des ambassadeurs. S’il y a les ambassadeurs, et bien cela fait le bruit… En tout cas, s’il y a plus de personnes à exprimer qu’ils sont fiers quand ils vont chez des cousins, chez des copains, dans le Morbihan, à Paris et qu’ils font une photo clic-clac sur Instagram, sur Facebook et sur Twitter en disant mon gâteau M comme Mayenne, c’est qu’ils sont fiers… Et j’allais dire : ça fonctionne…


« Je ne suis pas directeur de la com’ et de l’attractivité »


Leglob-journal : Si vous étiez directeur de la communication et de l’attractivité au département comment auriez-vous fait ?

J’aurais peut-être travaillé un peu différemment dans la concertation… Mais encore une fois, c’est moi, David Ouvrard, qui dit ça. Je ne suis pas directeur de la communication et de l’attractivité… Ce n’est pas mon métier premier.

Leglob-journal : Un mot sur le centre-ville et la Place du 11 novembre sur la priorité oubliée.. comme ça avait été le cas pour Jean-Christophe Boyer…

Aujourd’hui la nouvelle équipe municipale va engager son propre projet et globalement, toutes les études sont faites : sol, parking, circulation, mobilité, commerce, végétalisation. Les outils d’aide à la décision, c’est fait et ça a été fait en même temps que la concertation. Ceux qui ont un temps été les ardents thuriféraires de la concertation, l’association L’autre concertation, par exemple ont été eux-mêmes acteurs de la concertation. Je vous invite à retrouver le premier film du bilan de la première phase de concertation. Vous y verrez des militants ravis !

Moi, je considère que sur un dossier aussi important, ce n’est pas la peine de se précipiter. Ce qui est important, c’est de donner un tempo. Un sujet comme ça, c’est important, ça touche à plein de choses. Vous faites une consultation d’architectes, vous faites une grande réunion publique. Il y avait trois choix. Le premier c’est de dire « On a choisi ça. Ça va se faire. Il y aura un parking et là, il y aura des vélos. Là, les bus passeront là, etc. » Aujourd’hui, vous ne pouvez plus faire comme ça, on vous dira « mais vous n’avez pas concerté ! » La concertation, c’est quoi ? Une réunion publique ouverte à tous, où ne viennent que les professionnels de la parole publique, que ceux qui ont l’habitude de ce genre de réunions qui inondent, accaparent pour eux et leurs intérêts, ce qui représente le débat.

C’est très bien de discuter avec les différents groupes d’intérêts, mais une réunion publique classique, où on vous présente le projet. Qu’est ce que vous en pensez? on a que les petits lobbies locaux, qui monopolisent le débat au détriment de la vraie parole d’usage, celle des habitants. Donc, l’expertise d’usage est à mon avis, essentielle pour la réussite d’un projet d’aménagement, quel qu’il soit. Du coup, on a décidé qu’on allait ne pas faire des réunions comme ça. On a procédé d’abord par un tirage au sort sur les listes électorales. Une Première : plus de 1000 personnes ont répondu favorablement. Et on les a tenu pendant un an et demi. Ils ont fait des réunions publiques sur des sujets, larges, séquencés, en ateliers : vélo, aménagement du paysage, animation, etc. Alors, bien sûr, ça prend du temps, la concertation…

Leglob-journal : Pourquoi un an et demi et pas trois mois ou six mois, c’était peut être suffisant ?

On aurait mis six mois pour décider, c’est à dire fin 2018, globalement, on nous aurait dit « vous n’avez pas assez concerté ! » Vous faites quelque chose, on vous dira que c’est pas bien. On ne fait rien. Bon…C’est toujours pareil.

Leglob-journal : C’était un temps utile selon vous, mais qui ralentissait la prise de décision…

Et alors?

Leglob-journal : Vous ne vouliez pas rénover la place faire sur la fin du mandat ?

Non, rien à voir ! ce qu’il ne fallait pas, c’est que l’on aille trop vite, qu’on bâcle du temps de concertation. C’est important, parce que si vous précipitez le truc juste avant les élections pour faire un coup politique, c’est pas bon. C’est tout de même l’avenir du centre ville ! Si c’est bien porté, politiquement, c’est bien. Si c’est mal parti, c’est casse gueule…


« Je me garderai bien de donner des conseils à aux successeurs »


Leglob-journal : avec cette affaire de la Place du 11 novembre, est-ce que vous n’avez pas donné du grain à moudre, à la gauche qui s’est emparée du sujet ?

Si François Zocchetto n’avait pas été courageux pour porter le dossier, on arrêtait très vite le débat. Si on avait eu peur de la campagne…On a fait un truc qui ne s’est jamais fait ici, une « annexe citoyenne », quand on a consulté pour avoir des idées, sur ce que pourraient faire des aménageurs commerciaux sur cet espace. On leur dit : «Aattention, on a une annexe rédigée par les citoyens. »


La salle d’honneur de la mairie où se tiennent les conseils municipaux – Photo D. Ouvrard

Nous étions dans la transparence, justement, pour ne pas jouer la carte municipale, etc. Evidemment qu’il y a un risque de lancer un grand projet avant les élections municipales. Je trouve que c’est assez injuste et qu’on oublie assez vite tout le travail que nous avons fait. Je suis désolé, quand on entend dire que la concertation est nulle, eh bien, en fait, on insulte les Lavallois qui ont participé activement, volontairement, avec des contributions, tous ces gens qui ont envoyé des idées, qui sont revenus, etc. Eux peut-être, sont déçus que ça n’avance pas assez vite.

Dans ce dossier et bien d’autres, ce sera la responsabilité des successeurs auxquels je me garderai bien de donner des conseils.

Leglob-journal : Mais la gauche qui arrive aux responsabilités par la volonté du peuple, qu’est-ce qu’elle ne doit pas faire pour ne pas se tromper et décevoir selon vous ? Revoilà la question posée tout à l’heure, vous avez pu y réfléchir…

 Elle ne doit pas transiger sur les valeurs républicaines.

Leglob-journal : C’est-à-dire?

Moi, quand je regarde certaines prises de position de membres de la liste, quand je connais un certain nombre de choses sur des membres de cette liste, c’est bien une variété d’expression, mais des gens qui expriment assez fortement une vision communautaire des choses. Cela me gène.

Leglob-journal : communautaire ?

Oui, le communautarisme… Quand on n’est pas à l’initiative, mais quand on est très proche des organisateurs, de la volonté d’implanter Extinction Rébellion à Laval [Extinction Rebellion est un mouvement mondial de désobéissance civile, lancé en octobre 2018, NDLR] et qu’on y est membre d’une liste républicaine, il y a quelque chose qui me dérange personnellement. Je dis ça. Donc attention à cette grande vigilance qui ne sera pas une difficulté uniquement liée aux idées ou aux idéologies de certains membres de cette liste, mais qui est quand même aussi dans le débat public en ce moment. Les valeurs républicaines sont contestées dans la rue, aussi aujourd’hui. Il y a une responsabilité, de mon point de vue, des élus, y compris des élus municipaux, de faire attention à en être garant.


*Cet entretien a été réalisé le jeudi 2 juillet 2020, dans le bureau de David Ouvrard, qui avait été vidé. L’ex-directeur de cabinet de François Zocchetto devait cesser ses fonctions le soir-même. On ne sait pas encore, au moment où nous écrivons ces lignes, qui lui succédera, en mairie de Laval, à ce poste important.


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