Le Stade lavallois ou l’impossible remise en question – par E. J. Folliard

Le football, la politique, l’économie, tout est imbriqué en Mayenne nous dit l’auteur de cet article qui estime que le Stade lavallois, est un « objet politique, au sens noble du terme, qui en dit long sur l’état d’une partie de la société mayennaise ». Un club, avec une gestion « qui empêche toute remise en question » et qui a connu, ces derniers mois, un vrai turn-over au niveau des entraîneurs. « La bagatelle de sept » depuis 2016 a noté E. J. Folliard qui laisse transparaître une amertume certaine.

Le changement dans la continuité

Par E. J. Folliard


Il y a des modes qui à Laval semblent perdurer malgré les années. Ainsi comme l’année dernière, et la précédente, le Stade lavallois s’est à nouveau séparé, en cours de saison, de son entraîneur en offrant au passage un énième épisode au grotesque feuilleton qui passionne le monde du football français. Il est vrai que le club mayennais, historiquement connu pour son calme et sa proportion à s’inscrire dans la durée, est devenu en quelques années une nouvelle référence en terme d’instabilité et de faits divers. En 27 mois (entre le 5 novembre 2016 et le 5 février 2019), le stade lavallois aura donc connu la bagatelle de sept entraîneurs, soit en moyenne, un tous les quatre mois ; une série en tout point effrayante.

Nous ne reviendrons pas ici sur les circonstances qui ont scellé, définitivement, le sort de François Cicollini au soir de la victoire étriquée contre Drancy 4 à 3. Le technicien lavallois ayant déjà depuis des mois préparé patiemment sa chute en s’enfermant dans un rôle ubuesque qui semblait de plus en plus lui échapper. Nous avions, dans un récent article, pointé les limites mais aussi la grave complaisance des dirigeants à son égard.

Un «vaudeville»

Au-delà du cas personnel de François Ciccolini, ce qui à nouveau interroge dans ce énième limogeage ou fin de collaboration (nous laisserons les avocats des deux parties définir la terminologie exacte), c’est bien qu’il ne surprend plus vraiment personne et, surtout, ne remet toujours pas en cause la gestion du club phare du département. A croire qu’en Mayenne, on commence à s’habituer à ce vaudeville et à la fin progressive de ce qui fut l’un des plus beaux fleurons du département.

Et pourtant qu’on le veuille ou non, le Stade lavallois est un objet politique, au sens noble du terme, qui en dit long sur l’état d’une partie de la société mayennaise. La situation qu’il vit depuis quelques années n’est en rien le fruit du hasard, mais bien le résultat d’un entrisme qui touche des pans entiers du département et empêche toute remise en question, bien au-delà de la seule question du football qui intéresse les supporters.

Dans cette longue agonie que vit le stade lavallois, ces derniers pointeront sans aucun doute la responsabilité du président Philippe Jan depuis son retour aux affaires, lui qui avait promis, justement, le retour de l’ambition et des valeurs.

Il n’est pas ici le lieu d’instruire le procès d’un homme et de le condamner par une sentence lapidaire. Philippe Jan partira un jour comme son prédécesseur, qu’il avait d’ailleurs abondamment critiqué, mais malgré ses fautes incontestables, il ne saurait être l’unique responsable de ce naufrage. Comme le dit si bien Victor Hugo « Les fortes sottises sont souvent faites, comme les grosses cordes, d’une multitude de brins. » Ces brins, au stade lavallois, sont avant tout composés des différents actionnaires de la Société Anonyme Sportive Professionnelle (SASP), c’est à-dire des dirigeants des grandes entreprises du département.

Au Stade Francis Le Basser, à Laval – © leglob-journal

Comment en effet expliquer rationnellement, que ces dirigeants pourtant rompus à l’excellence et à la direction d’entreprises nationales et même internationales multiplient à ce point les erreurs grossières qui chaque jour précipitent le Stade lavallois vers un gouffre sans fond. Le 5 juillet 2018, lors de la seconde université d’été des entrepreneurs mayennais sur le site d’Echologia, intitulée pompeusement « Mayenne terre d’avenir », ils avaient offert à leur intervenant phare, le général Pierre De Villiers, un maillot du Stade lavallois floqué à son nom. Comme symbole de leur réussite et celle du département. Au regard de l’actualité récente du club depuis son intervention, l’ancien militaire doit être bien dubitatif en contemplant chez lui cette tunique Tango.

« Pays de sorcellerie »

Même si la Mayenne est un pays de sorcellerie, l’explication de ce naufrage collectif des décideurs mayennais n’est en rien dû à un quelconque mauvais sort qu’il leur a été jeté, mais juste à un mode de fonctionnement qui montre chaque jour ses limites. Ce capitalisme mayennais, basé sur de grandes entreprises de type familial souvent aux mains de leur propriétaire depuis des générations et dont il convient de féliciter le dynamisme et la propension à créer de l’emploi, a toutefois un côté sombre. Ces chefs d’entreprises se connaissent parfaitement, se fréquentent à travers de nombreux réseaux, s’auto-congratulent au travers par exemple du prix de « Manager de l’année », tutoient les politiques et leurs collaborateurs, se croisent et se recroisent dans diverses institutions ou conseils d’administrations dont celui de la SASP du Stade lavallois.

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Ils pensent la même chose, ont les mêmes convictions comme des clones au sein d’une même caste. Cette « solidarité entre entrepreneurs » en Mayenne – comme la décrit très bien la journaliste Anne Nivat dans son livre Dans quelle France on vit (Éditions Fayard) – qui constitue une force est devenue au fil du temps un entrisme mortifère qui les rend imperméables à toute remise en question. Ils sont La MAYENNE et rien ne saurait les faire changer d’avis même pas le ridicule qu’a atteint leur gestion du Stade lavallois. Ils en sont les actionnaires et peuvent à leur guise casser leur jouet, tel des enfants gâtés.

Toutes voix discordantes, critiques sur leur action n’est que jalousie, anti-entreprenariat primaire ou crime de lèse-majesté contre le département de la Mayenne. Il suffit de les côtoyer lors d’un match à Le Basser pour comprendre ce monde fermé qui se pense ouvert dès lors qu’il porte des costumes cintrés ou des cravates fines. Les mêmes qui souvent brocardent les technocrates parisiens feraient passer ces derniers pour de dangereux révolutionnaires.

« Excommunication »

Rien ne doit bouger en Mayenne sans leur assentiment. Le débat sur l’attractivité voulu par le président du conseil départemental, débat qu’il ne faut surtout pas critiquer sous peine d’excommunication, a ainsi accouché de sa première mesure phare qui, comme par hasard, est à leur avantage : la fameuse location d’un espace de coworking (il faut bien faire moderne…) au sein de la Tour Montparnasse pour un loyer, annoncé, de 250.000€. Ce qui a fait couler beaucoup d’encre.

A ses grandes heures, le Stade Lavallois était dirigé par l’un de ces entrepreneurs, membre du CNPF (ex-Medef) Henri Bisson mais dans un contexte bien différent. Le statut associatif du club de l’époque avait obligé le Président à composer avec un comité directeur bénévole de 34 membres aux profils divers, issus de ce qui faisait la réalité lavalloise et mayennaise : instituteurs, ingénieurs, médecins, employés ou cadres.

Comment renouer avec le chemin du Stade lavallois? – © leglob-journal

Le vote historique du 14 juin 1976 sur l’accession du club en Division 1 après d’âpres discussions fut la preuve de la vitalité démocratique du club mayennais. Vitalité démocratique que côtoyait également le Président Bisson dans ses fonctions au sein des mouvements d’éducation populaire comme la Fédération des œuvres laïques de la Mayenne ou les Pupilles de l’enseignement public.

Aujourd’hui, les instances dirigeantes du club ne sont plus que des cénacles sans oxygène, ou chaque membre ressemble à son voisin et pense la même chose. Incapable d’imaginer de pouvoir fonctionner différemment, de s’ouvrir à d’autres réalités, espérant collectivement que le salut viendra comme toujours de l’un d’entre-eux. Le grand débat national peut se dérouler sans encombre en Mayenne, les gilets jaunes peuvent défiler, jamais cette partie obscure du petit monde mayennais n’évoluera.

Pour ce qui est du Stade lavallois, le pauvre, il continuera son long déclin en multipliant les mesures cosmétiques et les changements d’entraîneurs. Et puis comme l’a magnifiquement dit dans une interview à Ouest-France le président Philippe Jan, pour le Stade lavallois « perdre le statut pro, ce ne serait pas un drame, mais une fatalité ». La fatalité, voilà peut-être, en effet, ce qui tuera définitivement ce club.


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