Légalisation du cannabis : « un vrai débat plutôt qu’une pseudo-posture d’autorité » 🔓

Plantation de cannabis
La problématique de la légalisation du cannabis. Alors que des maires en France, et notamment issus de Les Républicains (LR), ont appelé à une réflexion sur la légalisation contrôlée du cannabis, le gouvernement s’y est opposé, soutenu en cela par 80 parlementaires LR, dont Guillaume Chevrollier, le sénateur de la Mayenne, signant ensemble un texte dans Le JDD. Deux partis mayennais, EELV et PRG-Le centre gauche produisent à leur tour une tribune en réponse à «  la prise de position d’un parlementaire local, peu documentée«  et face à ce qu’ils considèrent véritablement comme un dossier digne d’ « un débat national ».

« Dépassons les postures idéologiques confortables »

Par Michel Neveu et Maël Rannou*


Début septembre le maire LR de Reims Arnaud Robinet a ouvert le débat pour une expérimentation de la légalisation du cannabis dans sa ville. Plusieurs maires de droite lui ont emboîté le pas, affirmant une position pragmatique, de terrain, défendant la santé publique. Le ministre de l’Intérieur leur a fermé la porte, soutenu par une tribune signée par 80 parlementaires LR, dont le sénateur Mayennais Guillaume Chevrollier. Une position idéologique purement identitaire, faisant le jeu des trafiquants et à rebours des questions de santé publique comme d’ordre public pour Maël Rannou et Michel Neveu, représentants d’Europe Écologie – Les Verts et du Parti Radical de Gauche – Le Centre gauche en Mayenne.

Lorsque nous avons lu la tribune de parlementaires LR prônant la plus stricte interdiction du cannabis, notre première réaction était de lever les yeux au ciel, voire de rire face à tant de prévisibilité : la droite idéologique fait un pseudo-discours autoritaire à bas coût, les vaches sont bien gardées. Après cette réaction naturelle, un sale goût vient tout de même en bouche. Quand nous avons vu le sénateur mayennais Guillaume Chevrollier se vanter de sa signature en indiquant une « ferme opposition » à la légalisation contrôlée, et conclure la tribune par une caricature grotesque des positions de ceux qui défendent la santé publique, il y a de quoi être énervé.


Une tribune signée par défenseurs de l’industrie du tabac ou du vin


« Il n’y a pas de drogue douce. La drogue est un poison, un fléau que nous devons combattre » dit la tribune, un constat que l’on peut partager. Nous passerons sur l’ironie de voir chez les signataires de cette tribune nombres de défenseurs de l’industrie du tabac ou du vin, c’est un classique. Penchons-nous sur ce texte qui se veut combattre un fléau.

Oui, il n’y a pas de « drogues douces », il y a cependant des usages réels et l’on ne peut considérer que tout fumeur de cannabis est un consommateur d’héroïne en puissance. Si le fait que les consommateurs de drogues dites dures ont quasiment toujours consommé du cannabis est une réalité, la tribune « oublie » de préciser que la quasi-intégralité des mêmes études sur le sujet indiquent que cela concerne une très faible part des consommateurs de cannabis. Voir par exemple Karl-Heinz Reuband, Évolution des modes de consommation des drogues et effets limités des politiques pénales : le cas de l’Allemagne, dans Déviance et Société, lisible ici. « Seul un faible pourcentage d’usagers finira par prendre des drogues de pharmacodépendance (héroïne par exemple) ou s’en injecter. Plus le sujet se trouve impliqué dans la consommation de cannabis et d’autres drogues, plus grande sera la probabilité qu’il saute le pas (Reuband, 1994 ; Kleiber, Soellner, 1998). Mais il ne s’agit en aucun cas d’un processus inéluctable. ».

Sur un sujet aussi grave, il ne peut s’agir que d’une mécompréhension du sujet, à moins d’imaginer que les élus LR préfèrent oublier l’honnêteté intellectuelle pour affirmer une vision d’apocalypse, servant certes une affirmation identitaire, mais pas vraiment la santé.


Dessin de RAF pour leglob-journal
Dessin de RAF pour leglob-journal – © leglob-journal

Répression rime avec taux élevé de consommation


La drogue n’est pas une belle chose, les dégâts sur le cerveau des mineurs sont documentés et la manière dont les élus LR répondent à une tribune courageuse d’élus locaux de droite ouvrant ce débat montre qu’ils n’ont pas vraiment envie de poser le fond du sujet. La France est un des pays d’Europe qui a les politiques les plus sévères d’Europe sur le cannabis, et le résultat est éloquent : notre pays est celui qui a le plus haut taux de consommation du continent, notamment chez les mineurs. Comment s’en satisfaire ? Comment l’accepter ?

Au lieu de caricaturer, comme le fait la conclusion du texte, les défenseurs d’une légalisation contrôlée en personne peu cohérente, posons plutôt le miroir à ces élus : comment acceptent-ils que leurs politiques soient en échec complet ? Comment assument-ils d’être les alliés objectifs, les idiots utiles, du trafic de drogue ? De la même manière que de plus grandes restrictions de contrôles aux frontières enrichissent les passeurs, les sanctions de plus en plus grandes sur les consommateurs ne font que rendre le cannabis plus cher sur le marché noir, sans endiguer quoique ce soit, un drogué ne pouvant se passer de sa drogue. Avec une pseudo-posture d’autorité, on en vient donc à créer encore plus de risque, d’insécurité et de détresse – les études sur la dépendance montrant bien que pour sortir d’une addiction, avoir une stabilité sociale et financière est nécessaire…

En parallèle de cette tribune, les élus de droite luttent pour empêcher toute régulation protégeant le climat, se moquant de milliers de morts directement liés à la pollution, et soutiennent fortement le secteur de la publicité, notamment d’alcool, deuxième cause de mortalité évitable dans notre pays (après le tabac… loin devant le cannabis). Dans notre département, Monsieur Chevrollier est d’ailleurs bien silencieux face aux subventions que le conseil départemental de notre département offre à un bateau du Vendée Globe dont le flocage affiche une publicité géante pour une boutique d’alcool [En l’occurrence, VandB dont le siège national est à Château-Gontier, NDLR].

Si sa lutte contre les addictions est sincère, qu’attend-il ? Signer cette charge peu documentée, en contradiction avec toute la littérature scientifique et les expériences politiques voisines, apparaît ainsi non seulement d’un autre temps, mais aussi hypocrite et dangereux. Voir notamment cet entretien avec João Goulão, médecin coordonnant la politique antidrogue du Portugal, où toutes les drogues ont été décriminalisées 


Dessin de RAF pour leglob-journal
Dessin de RAF pour leglob-journal – © leglob-journal

« Ecouter avec bienveillance les élus locaux »


Combien de temps resterons-nous sans rien faire et à se voiler la face ? De longue date, nos deux partis défendent la légalisation du cannabis, avec une production et une distribution publique afin d’en contrôler la vente et d’éviter de rajouter du risque au risque avec des produits trafiqués et encore plus dangereux, que ce soient pour les consommateurs ou la sécurité de nos villes. Le minimum aurait été d’écouter avec bienveillance les élus locaux qui affrontent les ravages de la drogue au quotidien et demandaient une expérimentation de légalisation contrôlée dans leurs communes. Ce groupe de parlementaires a préféré le confort des propos d’estrade, et se drape ainsi dans une morale déconnectée du réel prônant un discours de prohibition qui, les USA nous l’ont montré dans les années 20, est totalement contre-productif.

Pendant ce temps, les trafiquants se frottent les mains, l’addiction augmente, les contradictions sont multiples, la justice embouteillée, mais les parlementaires LR peuvent fièrement arborer une position de principe. Une soi-disant « guerre à la drogue » purement idéologique, qui ne fait en réalité que perpétuer une dramatique guerre aux drogués.


*Respectivement Président du PRG-Le centre gauche en Mayenne et coordinateur EELV-53


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