Vital
Michel Rose, PrĂ©sident de la Ligue de l’enseignement – FĂ©dĂ©ration des associations laĂŻques en Mayenne, nous a fait parvenir ce texte. « Je couche sur papier ce que jâĂ©crivais dans ma tĂȘte depuis un bon moment, afin de remercier le personnel soignant du 7Ăšme C et du service de rĂ©animation du centre hospitalier de Laval qui mâont accueilli un dimanche dâavril 2021, mes poumons fort mis Ă mal par le virus du Covid-19. J’ai bien conscience qu’il s’agit d’un texte trĂšs personnel de façon peut-ĂȘtre impudique, ecrit Michel Rose, mais câest ma façon de rendre hommage Ă lâensemble de celles et ceux – mĂ©dicaux et para-mĂ©dicaux, des mĂ©decins aux cadres, aux infirmiĂšres et infirmiers, aux aides-soignantes et aides-soignants sans oublier tous les autres, personnel administratif et de service, femmes de mĂ©nage… – qui oeuvrent au quotidien pour nous soigner et nous accompagner de leur mieux. »
« Je leur dois dâĂȘtre en vie […], et une immense gratitude »
Par Michel Rose

Je n’avais rien demandĂ© et vous m’avez accueilli pendant un peu plus de trois semaines, l’an dernier car mis Ă mal sĂ©rieusement par le(la) Covid 19, du dimanche 4 au lundi 26 avril prĂ©cisĂ©ment, dont dix jours en service de rĂ©animation. Pendant tout mon sĂ©jour forcĂ©, j’ai pu apprĂ©cier votre professionnalisme, vos gestes attentionnĂ©s, votre bienveillance, vos paroles d’encouragement et de rĂ©confort. GrĂące Ă vous j’ai pu sortir vivant des griffes tenaces du virus qui enserraient mes poumons. Il m’a fallu insuffler des litres et des litres d’oxygĂšne pour survivre alors que jusque-lĂ je n’avais jamais mesurĂ© le bonheur de respirer de l’air, machinalement, sans me dire de temps Ă autre « ah c’est quand mĂȘme merveilleux cette mĂ©canique respiratoire qui nous amĂšne si facilement l’indispensable O2 dans nos alvĂ©oles pulmonaires !« .
J’avais envie de le crier aux passants et aux cyclistes que j’apercevais de loin sur le boulevard d’AvesniĂšres par la fenĂȘtre de ma chambre…. « Eh profitez bien de votre libertĂ© de respirer, profitez, c’est si bon vous savez…! Comme toute chose, c’est lorsqu’on en est privĂ© que l’on regrette de n’avoir pas su en profiter Ă temps« .
En Ă©crivant ces mots, en repensant Ă ces journĂ©es interminables et Ă ces nuits si longues pendant lesquelles l’esprit vagabonde entre la lune et les Ă©toiles, frĂŽlant les silhouettes des parents et des amis disparus (Philippe, les deux Jean-Pierre, Jean, Claude, Jeanne, Albert…) me remontent des larmes d’Ă©motion. AllongĂ© sur mon lit d’infortune, une nuit je me suis senti prĂȘt Ă les rejoindre… Mon cerveau en manque d’oxygĂšne, je commençais Ă m’envoler doucement vers un je ne sais quel ailleurs Ă©thĂ©rĂ©… En mon for intĂ©rieur, je m’en voulais terriblement de n’avoir pas su finaliser mon inscription vaccinale quelques semaines auparavant, ce qui m’aurait peut-ĂȘtre Ă©vitĂ© cette terrible Ă©preuve…*
Vous m’avez alors soutenu et aidĂ© Ă m’accrocher pour ne pas sombrer, pour ne pas cĂ©der, pour m’accrocher Ă vos bras et Ă vos sourires mĂȘme quand il me fallait supporter cette Ă©preuve de la prise de sang artĂ©rielle (pour les fameux gaz du sang) alors que mes bras viraient au violet.
Vous m’avez lavĂ©, vous m’avez nourri, vous m’avez piquĂ©, vous m’avez radiographiĂ©, vous m’avez pris dans vos bras, vous m’avez retournĂ© sur le ventre, vous m’avez dit bonne nuit, vous m’avez dit bonjour, vous m’avez rassurĂ©, mon corps ne m’appartenait plus, j’Ă©tais redevenu comme un petit enfant…
Et puis un jour vous m’avez sevrĂ© de cet oxygĂšne rĂ©parateur et j’ai alors eu peur ! Peur de manquer de cet O2 qui me maintenait en vie depuis de si nombreux jours… La saturation allait-elle atteindre le bon pourcentage, 95%, 96%, voire 97 ou 98% ? Ah cette fameuse saturation en oxygĂšne, le sĂ©same attendu pour se rassurer que mon sang transportait suffisamment de ce gaz vital ! On m’a pincĂ© l’index, l’annulaire, le majeur, et mĂȘme le lobe de l’oreille, guettant en tordant le cou l’affichage de ce fameux taux qui avait parfois du mal Ă atteindre la bonne norme. Et un jour vous m’avez dit de me lever pour pousser mes premiers pas dans la chambre entre la porte d’entrĂ©e et la fenĂȘtre, des premiers pas hĂ©sitants et mal assurĂ©s que je dĂ©nombrais Ă chaque fois pour marquer une progression lente mais rĂ©guliĂšre.
Puis un matin, vous m’avez annoncĂ© que nous allions nous sĂ©parer, qu’il Ă©tait l’heure de rassembler mes affaires et de nous quitter, pour retrouver heureux comme le poĂšte ma maison et sa cheminĂ©e, ma compagne et mes enfants, au terme de cette Ă©preuve qui fut comme un long voyage en pays inconnu. Peu Ă peu j’ai retrouvĂ© ma vie d’avant, soutenu et encouragĂ© par mes proches et mes amis, par les moineaux domestiques accompagnant mes pas de convalescent au-devant de la maison, mes poumons ouverts Ă l’air vivifiant des journĂ©es de mai. Mi-aoĂ»t j’ai reçu ma 1Ăšre dose du vaccin protecteur et ce vendredi 7 janvier 2022, ce sera la dose de rappel.
Ces mots de gratitude et de reconnaissance je vous les devais, je vous les dois et je vous les devrai toute ma vie. Et au-delĂ de vos paroles de soignantes et de soignants, resteront gravĂ©s Ă jamais en ma mĂ©moire vos gestes d’attention, vos sourires, vos visages. A chacune et chacun, j’adresse tous mes voeux de bonheurs partagĂ©s, de santĂ© et de rĂ©ussite dans vos projets personnels, professionnels et d’engagements divers… TrĂšs sincĂšrement,
Michel ROSE

*A quoi tient le fil d’une vie ? Cette question, je l’ai souvent ressassĂ©e dans ma tĂȘte mais sans jamais y trouver une rĂ©ponse qui puisse m’apaiser. DĂšs le mois de mars, je souhaitais me faire vacciner et j’avais effectuĂ© les dĂ©marches nĂ©cessaires via mon tĂ©lĂ©phone portable sur la plateforme Doctolib. Le samedi 20 mars je me prĂ©sentais en fin de matinĂ©e au centre de vaccination, salle polyvalente de Laval. ArrivĂ© au guichet d’accueil, la jeune hĂŽtesse m’informe que mon nom ne figure pas sur la liste ! Je lui indique que j’ai pourtant procĂ©dĂ© Ă une inscription en ligne. Elle recherche Ă nouveau, mais nĂ©gatif, et demeure inflexible, elle ne peut pas me laisser entrer et me dit de procĂ©der Ă une nouvelle inscription, n’ayant sans doute pas correctement finalisĂ© ma prĂ©cĂ©dente demande. Ce que je fais en rentrant chez moi avec un nouveau rendez-vous fixĂ© cette fois-ci Ă ChĂąteau-Gontier le vendredi 2 avril.
Le mercredi 24 mars je suis, sans le savoir, contaminé par le virus du Covid-19.
Dimanche 28 et lundi 29 mars premiĂšres alertes avec fiĂšvre et courbatures. Mardi 30 mars test antigĂ©nique positif, jeudi 1er avril test PCR positif. Il me faut annuler mon rendez-vous de vaccination du 2 avril. Dimanche soir 4 avril je dors dans une chambre d’hĂŽpital.
A quoi peut tenir le fil d’une vie ? Pour mon cas, Ă un oubli de clic ou Ă un mauvais clic au mauvais endroit… Si j’avais reçu la dose de vaccin Pfizer le samedi 20 mars, aurais-je Ă©chappĂ© Ă tout ce que j’ai subi ? Si j’avais insistĂ© prĂšs de la jeune hĂŽtesse d’accueil, m’aurait-elle finalement laissĂ© entrer dans la salle polyvalente ? Ces questions je me les suis posĂ©es chaque nuit d’insomnie (et si… ?), sans jamais pouvoir y rĂ©pondre.
Sinon me rĂ©pĂ©ter : « à quoi tient le fil d’une vie ? » âŒ
