L’Oribus Spécial Pontmain : 150 ans de croyance surnaturelle 🔓

Les quatre voyants de la Vierge à Pontmain en Mayenne

Rétractation

C’est « un numéro à thème unique », comme les affectionne L’Oribus, la revue « Histoire et Société en Mayenne ». Entièrement consacré à un phénomène patrimonial, historique et cultu[r]el que constitue l’apparition de la Vierge à Pontmain, il y a 150 ans. Une date anniversaire qui fera l’objet d’ailleurs d’un colloque* (les 13 et 14 janvier 2021) organisé notamment par les Archives départementales de la Mayenne. La réédition, entièrement revue et corrigée du numéro 25 paru en décembre 1987 qui traitait déjà du « phénomène » sort, 84 numéros plus tard, mi-janvier 2021. Leglob-journal vous en donne un avant goût…


Apparition, révélations, mystères et zones d’ombre

Par Thomas H.


La belle lettre i

Il y a presqu’un quart de siècle, le « spécial Pontmain » , fort de plus de 80 pages avait fait sensation. Michel Ferron que leglob-journal a rencontré dernièrement en était déjà l’auteur, dans le cadre du travail collectif de L’Oribus qui s’intéresse à mettre en avant une autre façon de concevoir la réalité de l’Histoire locale. Et Dieu sait si en Mayenne être légèrement décalé, c’est parfois difficile à concevoir.

En 1987, la livraison de l’Oribus qui relatait par le menu « un morceau de la France profonde de cette fin de siècle, (…) révélateur d’enjeux et de conflits qui ont rapidement dépassé le village de Pontmain (…) » avait été l’objet de quelques critiques de la part de l’Evêché, en raison d’une trop grande insistance sur le contexte idéologique de l’époque…

Pourtant, « Dans ce hors série de l’Oribus, consacré à ce phénomène, il n’y a pas de volonté de déboulonnage… avance au Glob-journal, Pierre-Marie Meignan, le président de l’Association L’Oribus. Pierre-Marie Meignan qui ajoute : il n’y a que des faits, et notre credo c’est de parler de la Mayenne, de tout, tout en se renouvelant. Et Pontmain est un bon sujet emblématique de la Mayenne, historique et sociétal… » L’irruption du surnaturel dans l’univers quotidien d’un village d’une petite centaine d’âmes, c’est en effet pas banal. « Une apparition providentielle ancrée dans l’histoire » , c’est le titre de ce numéro à thème unique.

Un « bon sujet » effectivement. Car « Pontmain, c’est 300 000 pèlerins par an, en terme de fréquentation, on ne le dit pas, mais c’est un chiffre qui place Pontmain devant le Refuge de l’Arche … » avance encore le président de L’Oribus. Un bon filon, même si journalistiquement et localement, on ne parle de ce qui se passe à Pontmain tous les ans que par le biais des pèlerinages. « Vos confrères se contentent, en effet, et à juste titre, d’évoquer la ferveur, sans s’attacher au fond de ce qui fait le rassemblement des pèlerins, le point de départ lui-même… Ils en font uniquement un traitement consensuel… » , note Michel Ferron, l’auteur de cette somme sur l’apparition de la Vierge. « Sait-on par exemple, ajoute Pierre-Marie Meignan que le chemin de fer a été créé pour aller à Pontmain, une sorte de virgule de Pontmain avant l’heure » , dit-il en souriant…


Le village de Pontmain pendant l'apparition qui dura très longtemps

Pendant « l’apparition » avec les villageois – Tableau de Pierre Machard

Pontmain. 1871, nous sommes dans le tout petit village de 80 habitants où tout le monde se connait, s’observe, et se regarde vivre… L’évènement arrive dans un « contexte historique précis : effondrement du Second Empire et guerre franco-prussienne » écrit Michel Ferron. 38 jeunes étaient partis au front. Pour l’auteur du n° spécial « L’abbé Guérin, monsieur le curé du village, a amené la Vierge sur un plateau… » dit-il au Glob-journal. « Dans l’église, l’ecclésiastique avait en effet voué un culte marial très prononcé (…) l’apparition au dessus de la grange a été perçue comme un témoignage de la protection de la Vierge Marie ... » Il faut bien admettre que les troupes prussiennes allaient être arrêtées aux portes de Laval à Saint-Melaine ce 17 janvier 1871, mais pour de simples raisons de stratégie militaire…


« Une belle dame dans le ciel »


Ce soir là, « des faits sont concomitants note Michel Ferron, une aurore boréale, un mini tremblement de terre attesté par la suite… C’est vers 18 heures, ce 17 janvier 1871 qu’une belle dame apparait dans le ciel …diront les deux frères Eugène et Joseph Barbedette, qui deviendront ensuite deux des voyants officiels après des interrogatoires effectués pendant des mois, une foule d’enquêtes canoniques, quatre médecins dont un lavallois qui concluront à une santé mentale correcte ajoutée à une limpidité du témoignage . » Le récit sera même « figé« , un mois après les « trois longues heures » d’apparition de la Vierge (chiffre officiel de l’Eglise) dans le ciel de Pontmain, on rejoue sur place la scène avec tous les protagonistes, comme dans une reconstitution liturgique. « Comme une mère, elle semblait plus heureuse de nous voir, que nous ne l’étions de la contempler. » pourra-t-on lire dans les propos que tiendra Joseph Barbedette, l’un des enfants…

La « narration est très vite codifiée et sacralisée » indique Michel Ferron. Il est question de donner à voir à ceux qui n’ont pas vu… La Vierge, pourtant invisible en temps normal, est ensuite représentée avec sa mandorle, un cercle ovalisé pour la circonstance qui l’entourera constamment par la suite dans l’iconographie symbolique de ce moment de l’histoire religieuse de la Mayenne. Elle sera vêtue d’un manteau bleu avec des étoiles dorées, des éléments qui réapparaîtront des décennies plus tard, hasard ou pas, sur le drapeau européen. « En 1872, soit un an après les faits, Mgr Wicart, évêque de Laval proclame alors officiellement : oui ! La Vierge Marie est bien apparue… à Pontmain… L’évènement religieux, le miracle, dépassera rapidement en notoriété l’apparition de Fatima au Portugal » , reconnait Michel Ferron.


Une vue de l'intérieur de la grange à Pontmain

Une vue de l’intérieur de la grange à Pontmain, en face de laquelle la Vierge serait apparue…

En terme de miracle, il y a toujours une part de mystères obligatoires, intangibles et inscrits dans le marbre qui masquent aussi une dose d’ombre, insidieuse et qu’on peine à avouer. Ainsi l’épisode de la rétractation tardive de Jeanne-Marie Lebossé, une des « quatre voyants » , qui « devint religieuse de la Sainte Famille de Bordeaux et mourut près de cette ville en décembre 1933« . Ayant témoigné, à l’âge de 9 ans, avec « vivacité et assurance » qu’elle avait « vu la Vierge » , elle se rétractera, alors âgée de 49 ans, devant l’évêque de Laval en 1920, déclarant n’avoir vu que les « étoiles dans le ciel »… Convoquée à ce deuxième procès, il aura fallu insister pour qu’elle vienne témoigner.


Une rétractation cachée jusqu’en 1971


Quarante-huit ans après le premier, c’est donc un second procès canonique qui est convoqué par Mgr Grellier. Il a lieu d’avril 1919 à février 1920. Il se déroule à Laval. On imagine, cet épisode assez unique, convenez-en ! Avec tout ce que cela comporte de gros plans possibles sur les visages des « acteurs de l’apparition » ; les lumières des cierges, les dialogues et les pompes austères de l’Eglise, à huis clos, pour un procès dans cette histoire religieuse. Cela pourrait inspirer des réalisateurs…

Michel Ferron relate : « Au tribunal installé à l’abbaye de la Coudre, des sœurs cisterciennes trappistes se trouve dans le jury, un mayennais natif de Brains-sur-les-Marches, un certain Abbé Suhard, qui deviendra par la suite cardinal et archevêque de Paris, à partir de 1940… » Il sera d’ailleurs éconduit par le Général de Gaulle en Août 44 qui lui interdira l’entrée dans la cathédrale de Paris… Pour cause de collusion trop forte avec les autorités d’occupation…

Dans la salle de l’Abbaye, la stupéfaction envahit l’espace, tout d’un coup : Jeanne-Marie Lebossé explique simplement « Non, je n’ai pas vu la Vierge!… » Le temps est comme suspendu… Avec l’âge et en grandissant, il est certain, relatent les spécialistes, que l’on perd l’évidence du souvenir et qu’il s’estompe… Alors, a-t-elle menti en 1871 ? A-t-elle été influencée et parlé pour dire comme les autres ? Était-elle sous la coupe mentale de l’abbé Michel Guérin ?

« Dès le lendemain de l’apparition, la plupart des habitants de Pontmain estiment devoir cette grâce extraordinaire au curé du village, l’abbé Michel Guérin« . Ce dernier fait depuis quelques années l’objet d’une enquête post mortem, un « procès en béatification » ici. Mgr Billé, alors évêque de Laval avant de devenir Primat des Gaules, avait dit de lui qu’ « il avait été placé à Pontmain par Dieu pour préparer une paroisse à accueillir le don inestimable de l’apparition« …


Jeanne-Marie Lebossé qui s’est retractée parmi les quatre « voyants » – Images site Sanctuaire de Pontmain

Cette « rétractation » qui casse un peu le mythe du miracle sera gardée cachée jusqu’en 1971. En acceptant qu’elle fût divulguée par René Laurentin un historien qui travaillait sur l’énigme de Pontmain pour le centenaire de l’appariation, « l’évêque de Laval ne prenait pas grand risque, car cette rétractation reste peu connue… estime Michel Ferron, mais il est vrai que sur le plan de l’Histoire, l’Eglise a toujours entretenu le culte du secret », surtout quand cela l’arrange. Après tout, un témoignage en contradiction par rapport aux trois autres, la balance était déséquilibrée en faveur du dogme. Et il n’a pas été question d’une remise en cause de la reconnaissance officielle de l’apparition mariale. Le site officiel de l’apparition de Pontmain créé par l’Eglise n’en fait d’ailleurs aucunement mention, ici.

Il est nécessaire de chercher à critiquer, au sens noble du terme, ce qui est érigé en institution, en affirmation péremptoire, c’est-à-dire ce qui détruit d’avance toute objection et contre quoi on ne peut rien répliquer. Michel Ferron, dans ce numéro hors série, réactualisé en raison du 150ème anniversaire de ce phénomène qui a largement dépassé les petites frontières de la Mayenne, a réalisé une étude laïque complète et documentée sur « le message de Pontmain… On y apprend beaucoup. Par exemple, sur les premiers pèlerinages, la construction du sanctuaire, ou bien les « exploitations idéologiques et politiques » et patriotiques de Pontmain. « Pour qui tente de retrouver, derrière le caractère exceptionnel d’un évènement « surnaturel », l’histoire ordinaire des hommes et de leurs angoisses« , ce numéro de L’Oribus à venir est à découvrir. ◼


*Colloque les 13 et 14 janvier 2021 organisé par les Archives départementale de la Mayenne, en partenariat avec l’UCO de Laval et l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre. « Textes, contextes et interprétations » avec notamment « 1870-1871 : une guerre oubliée  » et bien évidemment « l’apparition du 17 janvier 1871« .


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