C’est ce qu’on appelle un acte de procédure judiciaire ; la perquisition « peut donner lieu à des saisies sur tous les objets relatifs aux faits incriminés et utiles à la manifestation de la vérité » dit le code de procédure pénal. Mardi 3 octobre 2023, cinq policiers du Pôle financier du SRPJ d’Angers ont passé une grosse partie de la journée au conseil départemental de la Mayenne à Laval. Objectif : la recherche d’éléments de preuve – Récit
Par Thomas H.
C’est ce qu’il faut bien appeler une perquisition historique. Historique car menée pour la première fois au Conseil départemental de la Mayenne. La police judiciaire basée à Angers a agit après ouverture d’une enquête préliminaire par la procureure de la République de Laval. L’objectif est de « procéder en son nom à des mesures d’instruction« , pour débuter une enquête autour de l’achat de la Maison de l’Habitat à Laval par la collectivité départementale à Samuel Tual, propriétaire. Rappelons que le rapport de la Chambre régionale des comptes évoquait à plusieurs reprises des suspicions de prise illégale d’intérêts et de favoritisme. Pas une remise volontaire de pièces aux policiers mais un acte contraignant, la perquisition s’est déroulée dans les locaux du Conseil départemental de la Mayenne.
Les cinq policiers en civils qui ne sont pas pour autant passés inaperçus sont arrivés tôt le matin à l’heure où habituellement se tient chaque semaine le Comité de direction qui préside aux destinés de la collectivité départementale. Le Directeur général des services assisté du Directeur de Cabinet, – le Président Olivier Richefou n’était pas présent au moment de l’intervention policière car il se trouvait à Paris – ont dû fournir selon nos informations toutes les pièces aux enquêteurs de la Police judiciaire. Des auditions ont eu lieu également sur place. D’autres devraient avoir lieu prochainement selon nos informations.
Au centre des investigations : la Maison de l’Habitat achetée par le Département à une société appartenant à Samuel Tual, vice-président du Medef national en charge de la trésorerie depuis juillet 2023 et PDG de Actual Leader Group, (nouvelle appellation de son entreprise depuis 2018), pour une valeur de 850 000 € net ; le prix de vente de cet immeuble qui avait hébergé pendant plusieurs années la chambre d’agriculture de la Mayenne avait été fixé initialement par le vendeur à 1 000 000 €.
« Des liens opérationnels et financiers importants »
Ce n’est pas tant la transaction qui en elle-même est dans le collimateur de la justice, mais les contours de celle-ci et les liens entre les deux hommes. Le rapport de la Chambre régionale des comptes écrit : « M. Richefou est président du conseil départemental depuis 2014. Avocat de profession, il a exercé au sein d’un cabinet en tant qu’associé de 1989 à 2019. Samuel Tual était un client important du cabinet d’avocat d’affaires d’Olivier Richefou qui dirigeait le cabinet d’avocats ZRA avec François Zocchetto (l’ex- maire de Laval) jusqu’à ce que ce dernier prenne du champs par sécurité judiciaire en allant « travailler à Paris pour éviter tout risque de conflit d’intérêts à Laval » comme il avait déclaré dans nos colonnes.
D’ailleurs, explique-t-on à leglob-journal.fr : « Dans son rapport la Chambre régionale des Comptes interroge clairement à propos de cette vente » . En effet, on peut y lire que « Le contrôle de la chambre a permis d’établir que le groupe Actual, dont le PDG est Monsieur Tual figure au nombre des clients du cabinet d’avocats [ZRA, dont Olivier Richefou était associé avec François Zocchetto, NDLR]. Cette situation a été vérifiée pour les années 2018, 2019 et 2020. […] Au regard des liens opérationnels et financiers importants entre les sociétés de Monsieur Tual et le Département [de la Mayenne] et compte tenu de l’absence de déport de M. Richefou lors des votes attribuant des concours financiers à ces sociétés, (…), cette situation est susceptible d’avoir occasionné des conflits d’intérêts. » .
Acheté un bien à un vendeur quand ce vendeur est client du cabinet d’avocats dans lequel l’acheteur émarge, cela ressemble à une prise illégale d’intérêt. C’est comme cela en droit que l’on peut qualifier la situation. La chambre tient d’ailleurs à rappeler en tout début de rapport ce qu’est le « conflit d’intérêts » : « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ».
La maison de l’habitat, 19 rue de l’Ancien Evêché achetée par le Département de la Mayenne à Samuel Tual rénovée à Laval – © leglob-journal.fr
C’est « La commission permanente du 8 juin 2020 [qui] a autorisé l’acquisition par le Département d[u] bien immobilier [situé]19 rue de l’Ancien Evêché à Laval et de places de stationnement à Laval pour un montant de 850 000 € net vendeur pour y installer la future Maison de l’Habitat. La délibération, votée à l’unanimité, ne mentionne pas, note le rapport de la Chambre régionale des comptes, l’identité du vendeur, lequel s’avère être la SCI D., propriété de Monsieur Tual. Elle ne précise pas non plus le montant estimé par le service des domaines, en contradiction avec les dispositions des articles L. 1311-9 à L. 1311-11 du code général des collectivités territoriales. La chambre relève le caractère lacunaire des informations apportées aux élus qui ont été tenus dans l’ignorance de l’estimation du prix et de l’identité du vendeur.«
Dans ses réponses au président de la Chambre régionale des comptes Bertrand Diringer suite aux observations de la Chambre, le président du conseil départemental de la Mayenne Olivier Richefou écrivait à l’époque : « (…) Il convient d’être précis afin d’éviter tout malentendu. La délibération [Concernant la Maison de l’Habitat, NDLR] a été votée à la Commission permanente du 8 juin 2020. À cette date, je n’étais plus dirigeant, ni associé au sein du cabinet ZRA et ce depuis le 11 mars 2019 soit depuis plus d’un an. »
Ce qui apparait comme exacte si l’on se réfère à la déclaration effectuée ci-dessous sur le portail de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) :
Sauf que le président du Conseil départemental émargeait comme salarié chez ZRA dont il avait avait vendu ses parts à Laurent Poirier un avocat angevin ; il y effectuait des « prestations de services à ZRA » (comme on peut le lire dans la capture d’écran de la HATVP ci-dessous), pour faire la transition et conseiller sur les dossiers des clients (dont « 95 % sont mayennais« ) au moment où la délibération était votée en commission permanente le 8 juin 2020 » . Comme quoi le diable se cache toujours dans les détails…
« Acheter, par exemple, deux fois moins cher n’aurait rien changé à l’affaire. » fait-on remarquer à leglob-journal.fr, la suspicion de prise illégale d’intérêts court. Le président du Conseil départemental avance au N°1 de la Chambre régional des comptes comme pour se dédouaner que « […] le bien en question a été acheté à 10 % au-dessus du prix de l’estimation des Domaines. Le coût net vendeur était de 850 000 euros, prix négocié et inférieur à celui proposé initialement par le vendeur qui était de 1 000 000 €. Le prix d’acquisition s’inscrit bien dans le strict respect de cette marge de négociation de 10 % octroyée aux collectivités locales, puisque l’estimation des domaines était de 770 000 euros. » explique-t-il, soucieux des deniers publics, et en guise de justification, ajoutant que « Nous avons répondu à l’époque au contrôle de légalité de la Préfecture de la Mayenne qui avait interpellé l’institution départementale. Le Préfet [ Xavier Lefort à l’époque, NDLR] avait pris acte de ces éléments de réponse. » avance simplement Olivier Richefou sans plus de détails.
Reste que les enquêteurs, dans cette affaire, devront avoir un certain nombre de réponses à leurs interrogations pour « la manifestation de la vérité » . Qui a pris la décision ? Par exemple. Est-ce l’administration, le Directeur général des services de l’époque ou un autre agent haut placé ? Ou bien l’exécutif, autrement dit le N° 1 de la collectivité ? L’enquête de la Police judicaire sur cette « situation […] susceptible d’avoir occasionné des conflits d’intérêts« , comme on peut le lire dans le rapport de la Chambre régionale des comptes, ne fait que débuter… ◼