Des exploitants affiliés à l’entreprise de transformation du lait Faire France, dans l’Orne et la Mayenne ont soutenu ce projet porteur d’espoir. C’est l’histoire d’un bateau, le Saga, qui blessa gravement son constructeur en 1989 lors d’un transfert de chantier et qui, le 25 juillet 2020, a enfin abordé Ouistreham pour une aventure humaine dépassant les rêves les plus audacieux. Son nouveau destin est d’accueillir des personnes handicapées ou des exploitants agricoles en pleine tourmente. Des rencontres insoupçonnables aboutissent finalement à la mise en place d’un programme où les Hommes et l’Océan vont s’aider mutuellement pour retrouver leur équilibre.
Renaissance d’un rêve de voilier, recouvrance* à Ouistreham …
Par Marrie de Laval
Après trente-neuf ans de vie inachevée entre les mains de plusieurs propriétaires jusqu’à celles d’un passionné aquitain, voilà qu’une petite annonce de juin 2018 le fait revenir chez les descendants de constructeur : son fils, Éric Meunier, et sa petite fille, Florentine Leloup. Le fils veut achever le bateau, l’œuvre de son père qui lui a couté l’usage de ses jambes lors d’un accident causé par un haillon élévateur défectueux à l’occasion d’une manœuvre. A ce moment, la question son achèvement et de son usage se pose : hors de question qu’il reste dans un hangar, ce qu’il n’a cessé de faire depuis 1981. Dès le départ, l’idée de le mettre à disposition d’associations pour des sorties en mer caritatives ou scientifiques s’impose. C’est que le monde associatif n’est pas étranger à Florentine Leloup. Elle exerce auprès de la fondation de Maud Fontenoy, en faveur de la mer.
Eric Meunier et sa fille fondent alors l’association SAGA en septembre 2018, avec pour but de « réhabiliter le voilier familial ; le destiner à la promotion solidaire d’une région et de son environnement ; mettre le Saga à disposition d’associations, de groupes ou de particuliers pour des missions ponctuelles environnementales, humanitaires, sociales et éducatives » selon le descriptif-même de l’annonce de création de l’association parue le 29 septembre 2018, auprès de la sous-préfecture de Lisieux.
Les premiers soutiens seront les producteurs de lait via l’association des producteurs de lait indépendants, l’APLI, née d’une révolte à la suite de la crise du lait en 2009, et qui avait secoué la Mayenne. L‘APLI avec le lait Faire France et la laiterie de Saint-Denis-de-l’Hôtel pour la mise en brique du précieux breuvage. Curieux mariage de prime abord entre la terre et l’eau salée. Pour autant, puisque l’idée est de permettre à l’océan de réparer les personnes accidentées ou malmenées par la vie, pourquoi ne pas faire se rencontrer deux mondes si dépendants l’un de l’autre ?
C’est à cette fin que les statuts de l’association sont modifiés. Desormais, il faudra compter sur le but « de créer et animer un do tank (néologisme barbare pour un think tank agissant (en anglais “do » se traduit par faire par opposition à “think”, penser) embarqué au bénéfice du monde agricole et de l’océan, ainsi que l’utilisation solidaire d’un voilier au bénéfices d’associations, de groupes ou de particuliers pour des mission de sensibilisation à l’environnement, humanitaires, sociales, éducatives » selon les modifications statutaires publiées en décembre 2019.
Le ton est donné. Le projet va passer à la vitesse supérieure et se met en ordre de marche.
Faire Recouvrance à Ouistreham !
C’est pourquoi, le samedi 25 juillet, à Ouistreham, si le fils a fait la surprise de présenter le Saga achevé à son père de 80 ans, la petite fille permet, par la mise à l’eau officielle, de véritablement fournir la raison d’être d’un navire : voguer, et le plus longtemps possible.
Des membres de Faire-France, justement, se sont engagés en temps et en énergie pour ce projet. Ils représentent ce qu’ils appellent « une autre façon de produire« , dans le respect de « ceux qui font le lait ». Il s’agit de les rémunérer à juste proportion de leurs activités. Et il est à craindre que les temps à venir, déjà particulièrement durs depuis la dérégulation du marché européen et des quotas, ne vont pas être tendres.
Avec la crise du Covid-19, durant le confinement, des exploitations ont dû jeter le lait parce que certaines laiteries, compte-tenu des mesures de préventions de l’épidémie, n’ont pu, ni relever les tanks de lait, ni stocker en attendant l’emballage des produits bruts ou transformés, faute de débouchés (par exemple les services de restaurations collectives). Certains ne s’en remettront pas financièrement.
Par surcroit de malchance, certaines coopératives laitières suggèrent déjà des baisses de prix à l’exploitant pour tenter de se placer sur le marché international du lait et profiter des difficultés dans certaines zones du monde. Encore faut-il avoir les reins solides pour jouer.
Par un effet pervers, à force de se regrouper en coopératives, le trop grand nombre d’adhérents étouffe la voix des membres lors des délibérations. Et la structure coopérative, active sur les grands marchés tend parfois plus à raisonner en entreprise capitaliste, prête à baisser ses prix pour vaincre la concurrence. Plutôt que de permettre la production et la transformation du lait en produits à forte valeur ajoutée et servir à rémunérer les producteurs, l’argent reste dans la coopérative pour financer sa structure et tenir dans la guerre des prix.
La Terre va mal, c’est l’océan qui le dit, malade lui aussi. Heureusement, avec le Saga, il peut être permis d’espérer une recouvrance, même sur les quais de Ouistreham. ◼
* En référence à la Recouvrance, mot de vieux français pour recouvrement de la bonne santé mais aussi un quartier de Brest et la réplique d’une goélette du début du XIXe siècle