Le préavis de grève court jusqu’au 11 décembre 2020. Il a été déposé par la CFDT Interco qui annonce qu’ « une première réunion de dialogue social, s’est tenue en présence de la première vice-présidente Nicole Bouillon, du DGS et de la DRH. Une seconde réunion est programmée le mercredi 2 décembre 2020 en fin d’après-midi. » Dans la foulée une assemblée générale a eu lieu avec les agents pour que des prises de paroles puisent se faire autour de ce « mal-être récurrent ressenti depuis des années » dans les quatre composantes de la Direction de la Solidarité au conseil départemental de la Mayenne. (Protection maternelle et infantile, Protection de l’enfant, Insertion et logement, Action sociale de proximité). Des agents titulaires (et de plus en plus de contractuels) qui ressentent depuis des années « stress » et « épuisement », qui aboutissent « à des arrêts qui se multiplient, et un surcroît de travail » pour ceux qui restent. Que se passe-t-il ? Et que doit-on faire pour rendre attractif les métiers du secteur social en Mayenne ? Des réponses à travers des paroles de désespoir.
« Mon cerveau chauffe, (…) et la révolte gronde… »
Par des agents en charge de la Solidarité au Département
Travaillant en tant que référent éducatif (entre 10 et 20 ans) depuis plusieurs années, je suis en souffrance de voir la motivation et le bien – être de mes collègues se déliter de jour en jour.
Je fais partie de ces collègues qui aimons notre travail (car il est passionnant) et qui nous y investissons mais qui sont à bout…A bout d’essayer de faire du travail cohérent sans en avoir le temps nécessaire, A bout de faire des tâches administratives (la base même du travailleur social c’est la relation à l’autre), A bout de se réveiller la nuit en pensant à tout ce qui n’a pas été fait, A bout d’avoir la boule au ventre en arrivant au travail, d’avoir les larmes aux yeux pour un petit incident dans la journée mais qui semble insurmontable à ce moment-là…
Et à bout de ne parfois plus demander aux collègues comment ils vont car je sais que leurs réponses qu’elles soient positives ou négatives me renverront à ma propre souffrance …
J’aime mon métier et mes missions premières de référent éducatif mais je suis épuisé par les conditions de travail qui ne me permettent pas de l’exercer sereinement.
Témoignage d’une psychologue : « L’institution me dégoûte »
J’ai fait le choix de la fonction publique pour ses valeurs : l’intérêt général, la continuité du service, l’égalité de traitement et la neutralité. Depuis quelques années, je suis en colère, découragée, acculée à me résigner à ne pas faire mon travail comme je pense bon de le faire dans l’intérêt des enfants confiés, à ne pas pouvoir m’engager auprès des usagers à la hauteur de leurs attentes et de leurs besoins.
Comment chaque enfant de l’ASE pourrait avoir accès à la psychologue de leur secteur avec si peu de temps à leur consacrer ? Et un psychologue qui s’engage, qui accompagne, qui évalue et aide ! Je ne peux donc pas voir tous les enfants et encore moins leurs parents. Pourtant, ils sont accueillis à l’ASE, c’est bien qu’ils ont des soucis qui nécessitent l’intervention de professionnels…
J’adore mon travail et je suis dévouée à la cause des enfants en souffrance, qui méritent d’être accompagnés à grandir heureux. Je me vois comme un artisan du bonheur de ces enfants. Mais l’institution me dégoûte. Elle est plombante, frustrante, lourde, follement administrative. Elle devrait nous aider à les accompagner, nous guider, nous protéger, nous encourager à innover, à avancer… Mais en fait, elle nous assomme de tâches administratives, nous accule à rester derrière notre ordinateur, nous bride dans nos idées parce que cela coûte de l’argent, nous empêche d’aller à la rencontre des familles et des enfants parce qu’il y a sans cesse des urgences à gérer, trop de situations à accompagner pour chaque professionnel…
Nos innovations sont acceptées que sous le prisme de ce qu’elles coûtent à l’institution, pas dans l’intérêt des enfants. Mais ce sont d’enfants dont on parle, ces enfants qui deviendront des adultes et feront d’autres enfants et ne sauront pas comment faire, n’auront pas réparer les traumatismes relationnels de leur enfance parce qu’on n’aura pas eu le temps de les aider, pas eu les moyens de les rencontrer et c’est un cercle vicieux qui s’engage dans leur vie… Je ne suis pas satisfaite de mon travail, j’ai tellement de choses à faire et tellement de compétences pour les faire mais pas le temps…
Je ne peux pas continuer comme ça, mon cerveau chauffe, mes insatisfactions grandissent et la révolte gronde… Je dois mettre tout ça de côté pour continuer d’accueillir les usagers et mes équipes de façon la plus neutre et bienveillante possible… Jusqu’à quand ?
Témoignage d’une infirmière puéricultrice : « Svp, plus de prévention en amont »
Je suis Infirmière Puéricultrice de PMI. Mon travail est d’assurer la PREVENTION et la protection des enfants à domicile. Je ne peux plus exercer cette mission de prévention, où en tout cas autant que nécessaire car nous croulons sous les demandes d’enquête liées aux informations préoccupantes.
Un service dédié a été constitué il y a plus d’un an mais les demandes affluent encore plus qu’auparavant. Nous ne pouvons pas faire l’accompagnement, le suivi, la prévention et réaliser tous les rapports d’enquête dans de bonnes conditions dans les délais légaux. Les assistantes maternelles ne sont rencontrées que lors des renouvellements, demande d’extension ou contrôle. L’accompagnement ne peut avoir lieu faute de temps. Les actions collectives de santé publique ne sont pas la priorité non plus. Depuis plusieurs années, nous savons que si le travail de PREVENTION en amont était établi, il y aurait beaucoup moins de PROTECTION à assurer.
Témoignage infirmière puéricultrice : « pouvons-nous retrouver de l’humanité ? «
« Infirmière puéricultrice en Protection Maternelle et Infantile au conseil départemental de la Mayenne depuis 5 à 10 ans, les années passent mais je ne parviens plus à effectuer ma profession comme je souhaiterai le faire.
Passionnée par mon travail, je me sens malheureusement frustrée et insatisfaite des soutiens effectués auprès des familles que j’accompagne. En effet, la prévention devrait être une priorité afin d’éviter la dégradation du quotidien des familles rencontrant des difficultés et/ou demandant de l’aide. Par manque de moyens humains, il y a une impossibilité d’effectuer un soutien à la parentalité suffisant auprès des familles et leurs enfants.
Par conséquent, les situations fragiles basculent dans la protection de l’enfance. Des moyens humains supplémentaires sont indispensables pour améliorer ce dysfonctionnement.
Par ailleurs, de plus en plus de tâches administratives nous sont demandées : statistiques, création dossier individuel par enfant, archivage… Ces tâches demandées sont très chronophages. Le temps passé pour ces tâches est du temps en moins passé auprès des familles qui attendent du soutien, de l’aide.
Tous ces constats sont au détriment des familles qui ont eu le courage de passer la porte de nos locaux ou de prendre leur téléphone pour demander de l’aide. Depuis quelques temps, l’épuisement des équipes se fait sentir, les arrêts de travail se multiplient… Ainsi, que proposez-vous face à ces constats ? Nous sommes humains, nous travaillons avec l’humain, pouvons-nous retrouver de l’humanité ? »
Témoignage d’un professionnel de PMI : « la prévention est en danger »
Dans le contexte actuel, les actions collectives de prévention, la présence des professionnels de PMI sur les lieux fréquentés par les familles, ne sont plus possibles, faute de moyens humains. De plus, les missions attribuées à chacun se multiplient et ne permettent plus aux agent de proposer des actions de prévention, pourtant indispensables.
Il est également à noter un important mal-être au travail, des agents en arrêt ne sont remplacés qu’au bout de plusieurs mois, et leur charge de travail est ajoutée à celle des collègues présents. La Prévention est clairement en danger et les professionnels sont motivés mais à bout de force. »
Trois témoignages d’assistantes sociales : « Aujourd’hui notre maison brûle »
Je suis assistante de service social au sein de l’action sociale de proximité depuis 10 ans. Actuellement nos conditions de travail ne nous permettent plus d’engager un accompagnement régulier avec les familles. Nous ne faisons que répondre aux demandes urgentes sans travailler l’insertion durable qui permettrait aux personnes d’améliorer leurs conditions de vie et sortir de la précarité.
L’accompagnement social pour qu’il soit efficient doit reposer sur un maillage partenarial fort sur les territoires. Aujourd’hui nous sommes de moins en moins nombreux, sur des territoires de plus en plus grands. Ce manque de moyens nous éloigne du terrain et ne nous permet plus de contribuer au projet social de territoire permettant un travail de prévention globale. »
Je suis assistante de service social, dans la direction action sociale de proximité depuis plus de 10 ans. Je suis inquiète de la création d’un service territorial d’insertion ne prenant en compte que la question de l’emploi. Or, un grand nombre de bénéficiaires du RSA éprouvent des problématiques associées : des troubles psychiques, des problèmes de logement, de santé, des problèmes familiaux. Pour ces personnes, quels moyens seront mis en œuvre pour les aider à s’insérer ? Le service territorial de l’insertion est créé sans qu’aucun moyen supplémentaire ne lui soit alloué mais seulement en transférant des postes, au détriment de l’accompagnement des personnes les plus fragiles. »
Je suis assistante sociale en polyvalence de secteur depuis 10 ans. Pour définir mon métier j’aime à dire que je suis « un médecin traitant du social ». J’aime profondément mon travail mais aujourd’hui je n’en peux plus ! Nos conditions de travail se sont détériorées et nous ne sommes pas écoutées.
Je présente tous les signes d’un « Burn Out ». Je me sens complétement débordée, inefficace. J’ai des insomnies, une perte de poids, de la fatigue, en réunion je suis souvent en colère, la boule au ventre sur le trajet domicile-travail, des palpitations, je pleure souvent…etc
Et avec tout ça, j’hésite encore à consulter mon médecin traitant ! Car si je suis en arrêt maladie 1 ou 2 semaines, 1 mois, je ne serais pas remplacée. Mes collègues traiteront les urgences de mon secteur mais tout le reste m’attendra à mon retour. Alors comment s’en sortir ?
Nous manquons de poste d’assistante sociale en polyvalence de secteur. Nos postes sont transférés car nous subissons constamment des réorganisations à moyens constant. Notre charge de travail de désemplie pas.
Nous alertons depuis longtemps déjà sens être écoutés. Notre Direction était fragile bien avant la COVID 19 alors forcément aujourd’hui elle brûle… Alors à quand un réel investissement pour le futur des citoyens Mayennais ? »
Mr le président je vous fais une lettre que vous lirez peut être… Depuis 20 ans, j’écoute les mal-aimés, mal-logés, mal-argentés, mal-insérés et surtout mal-considérés. Par mon engagement d’assistante de service social, mon expertise et mon écoute je les aide à relever la tête.
J’exerce au sein d’un service public qui devient une peau de chagrin, la prévention perd son sens. Près de 160 ménages accompagnés, l’accueil de stagiaires, la mise en place d’actions collectives chaque année… la complexité des dispositifs, le désengagement des institutions, l’accès aux droits qui relève d’une bataille, l’illectronisme…
Je suis frustrée, en colère, fatiguée par les réorganisations successives, les postes en polyvalence de secteur redéployés alors que le nombre de bénéficiaire du RSA explose, que des travailleurs précaires affluent, les personnes les plus fragiles décompensent.
La crise que nous traversons ne se situe pas seulement sur les plans économiques et sanitaires, elle arrive à un moment où les problématiques sociales se sont accentuées, amplifiées. Les travailleurs sociaux lancent un SOS. Mr le président, ma décision est prise, je rentre en résistance. »
Témoignage d’une référent éducative : « J’atteins mes limites »
En quelques lignes voici l’expression de mes sentiments vis-à-vis de mon travail que j’affectionne particulièrement (+ 5 ans d’ancienneté) mais pas dans ces conditions. J’avais pour projet professionnel d’intégrer l’Aide Sociale à l’Enfance de la Mayenne depuis mon entrée en formation d’assistante de service social.
Je suis très investie dans mon travail au quotidien et je ne compte pas mes heures, parfois au détriment de ma vie personnelle et familiale. Je suis entourée de professionnels tout autant investis dans leur travail.
Pour permettre un retour des enfants au sein de leur famille, nous devons rencontrer les enfants, leurs parents, leur famille élargie, être en lien avec les assistantes familiales, les différents lieux d’accueil, les écoles, les assistantes sociales, les éducateurs, les psychologues, le CMP, l’USISEA….
Nous avons beaucoup d’écrits à rédiger pour tendre vers une évolution des situations familiales : une augmentation des droits des parents ou une diminution en fonction des situations. Nous sommes parfois amenés à rédiger des écrits pour la Commission d’Examen de la Situation et du Statut des Enfants Confiés (CESSEC), là encore pour permettre une évolution de la situation des enfants.
Nous travaillons avec les juges qui nous demandent des écrits précis et détaillés sur le travail effectué en lien avec les familles. Nous devons en parallèle justifier régulièrement toute dépense au profit des enfants confiés à travers des fiches de liaisons…
J’aime ce que je fais, j’apprécie travailler auprès des familles, avec mes collègues, mes partenaires… mais je suis aujourd’hui fatiguée et inquiète quant au devenir de ma profession et par ricochet l’avenir des familles accompagnées. Le fait d’avoir exercé au sein de différentes directions du Département de la Mayenne me permet d’avoir ce recul : les conditions de travail nous mettent à mal, et je suis désolée d’avoir été témoin du départ de nombreux collègues compétents qui ne supportaient plus ces conditions de travail.
J’espère ne pas avoir à quitter moi-même mes fonctions pour ces mêmes raisons, sachant que je constate que je suis en train d’atteindre mes limites. »
Témoignage assistante d’accueil socio-administrative : « les plus fragiles sur la touche »
J’accueille, oriente, écoute un public divers et varié, mais depuis 5 ans mes conditions de travail et donc les réponses que je peux apporter aux publics se dégradent, « je suis en mode dégradée ». (10 ans d’ancienneté)
En milieu rural la plupart des organismes publics désertent, laissant les plus fragiles sur la touche. De notre côté on fait au mieux pour les accompagner mais avec un turn over de professionnels, des démarches administratives qui se complexifient, se multiplient au niveau du secrétariat mais sans moyen supplémentaires, des délais de réponses de plus en plus longs, un public parfois agressif ne trouvant plus de sens à toutes ces démarches, aujourd’hui je me questionne sur l’avenir de notre travail mais aussi sur l’avenir des personnes les plus fragiles… Comment peut-on les accompagner si nous n’avons pas les moyens humains nécessaires ? »
Témoignages d’assistantes sociales : « Nous faisons des rencontres formidables »
C’est un métier passionnant, sans routine. (15 ans d’ancienneté). Nous faisons des rencontres formidables avec des personnes ou des familles fragilisées par leur parcours de vie. Contacter nos services ou accepter notre intervention n’est pas simple pour bon nombre d’entre eux. C’est avant tout un métier relationnel ou la confiance est le premier moteur.
Pour que ça fonctionne, ça nous demande d’être à l’écoute au moment où c’est difficile. Nous perdons toutes crédibilité auprès du public quand les délais d’intervention sont trop longs. Je ne fais pas partie du service de l’aide sociale à l’enfance et pourtant la protection de l’enfance est une de mes missions prioritaires. Je contribue aux évaluations sociales sollicitées par la Cellule de Recueil d’Informations Préoccupantes (CRIP). Il se passe actuellement plusieurs semaines voire mois, entre la réception de l’information reçue et le premier rendez-vous pour l’évaluation.
Plus dommageable encore, il se passe des mois avant que le soutien proposé ne se mette vraiment en place du fait du manque de moyen humain que ce soutien soit demandé ou accepté par les familles mais aussi quand le juge des enfants l’impose. A un moment T nous préconisons tel soutien mais dans la mesure où celui-ci ne se met en place que des mois après, la situation s’est bien souvent dégradée entre temps et le soutien préconisé ne correspond plus aux besoins.
Si ce que l’on fait n’a plus de sens pour nous, comment rester moteur dans l’accompagnement des personnes ? le risque d’épuisement professionnel est important. »
Depuis des années au département, j’ai vu le temps d’accompagnement auprès des personnes diminuer irrémédiablement. Les tâches se sont multipliées, diversifiées, complexifiées et disséquées, de la demande d’une personne aux réponses qui sont apportées par l’assistante de service sociale. Chaque tâche est encadrée par un protocole, une façon de faire unique et conforme. Et cela prend beaucoup de temps. L’informatisation a rajouté d’autres obligations avec là aussi davantage de temps à y consacrer.
Les différentes réorganisations parfois nécessaires, des services qui sont en perpétuel changement prennent du temps et des postes. Elles nous font miroiter une décharge de travail au bénéfice des personnes. En réalité, c’est pire : des impératifs s’ajoutent et la charge augmente. Pour exemple : la mise en place de la CRIP et bientôt le Service territorial d’insertion (STI) en janvier 2021.
Le confinement a eu aussi son effet. Nos pratiques vont encore devoir changer : à l’avenir, on nous encourage à remplacer certains entretiens au bureau ou à domicile par des entretiens par téléphone pour prendre moins de temps et ainsi justifier la non création de postes. Perte de sens, mal-être et burn-out pour les professionnels. »
Témoignages de référents éducatifs : « nous avons besoin de considération et de reconnaissance »
Je pense aimer mon travail. Je l’ai choisi. (entre 10 et 20 ans d’ancienneté). J’aime le contact, la relation d’aide, le partage des émotions…
Au fil des ans, j’ai constaté un délitement de nos misions pour une demande toujours plus exigeante vers des démarches administratives. Des bilans toujours plus nombreux, des notes, des dossiers MDA (Maison départementale de l’Autonomie), des fiches d’évaluation, d’orientation, de commissions à en perdre la raison.
Ce n’est pas un simple jeu de mots, car la raison en effet, est ébranlée à force d’être sollicitée par les mails, les sms, les appels… Le toujours joignable et hyper connecté a eu raison de nos missions.
Je comprends et je partage les ressentis de certains de mes collègues. Cela me bouleverse d’être si près et si peu disponibles pour eux. Nous sommes piégés, enfermés dans nos urgences.
Moi aussi, je me réveille la nuit, plusieurs fois par semaine et je refais la liste, cette liste jamais achevée des multiples tâches à effectuer, les rendez-vous à prendre, les mails à répondre, les rapports en retard…
Souvent la culpabilité me prend, m’enserre et je m’en veux d’avoir promis à cette jeune fille, à cette famille, à cet enfant que nous allions ensemble avancer dans son projet. Nous n’avons plus le temps de mettre en place les objectifs fixés. Nos actions sont limitées, frustrantes, épisodiques et discontinues le plus souvent. Je me demande parfois, à quoi sert cette énergie déployée, ces bilans effectués dans l’urgence, ces sms répondus tard dans la soirée pour calmer et apaiser les angoisses des gens. Mais je sais que ce sont à mes propres angoisses que je réponds, celles de ne plus répondre aussi surement et avec respect aux attentes des usagers.
Comme mes collègues, je crois être consciencieuse et je suis contente d’exercer ce travail que j’ai choisi. Je n’ai pas choisi par contre de travailler ainsi. Je n’y parviens plus ou du moins beaucoup moins bien.
Au fil des ans, j’ai vu des collègues formidables, motivés, impliqués et dévoués, flancher, s’épuiser et se perdre. Certains ont changé de voie alors qu’ils étaient habités par leurs missions. Nous souvenons d’eux ? Est-ce qu’on s’en émeut ? Les choses évoluent t’elles ? NON, car l’urgence est toujours là, toujours plus puissante. Moi aussi, je suis parfois vidée, quelquefois aussi blasée, désinvestie. Et cela, je ne pensais pas un jour le ressentir.
Comme mes collègues, j’alerte sur la souffrance de certains professionnels et sur l’aspect de plus en plus déshumanisé de la fonction de référent à l’ASE. La CHARGE MENTALE est lourde, trop lourde… Pouvons-nous continuer ainsi, jusqu’où irons nos limites ? »
Cette lettre ouverte [Au président Richefou, NDLR] n’est en aucun cas le moyen de jeter la pierre à qui que ce soit mais plutôt le moyen d’alerter sur le mal-être d’un service et de ses professionnels…
Travaillant en tant que référent éducatif depuis maintenant plus de 10 ans, je suis actuellement et depuis un certain temps attristée, peinée ( et c’est un faible mot) de voir la motivation et le bien – être de mes collègues se déliter de jour en jour.
Je fais partie de ces collègues, qui aimons notre travail (car il peut être passionnant) et qui nous y investissons mais qui sont à bout… A bout d’essayer de faire du travail cohérent mais sans en avoir le temps nécessaire,
A bout de faire des tâches administratives, je suis travailleur social, la base même de mon travail c’est la relation à l’autre, passer du temps au bureau ce n’est pas ce qui me plait…
A bout de me réveiller la nuit en pensant que je n’ai pas fait telle tâche, que je n’ai pas eu le temps de voir telle famille, d’y penser le soir, le weekend…
A bout d’avoir la boule au ventre en arrivant au travail car je sais que je n’arriverais pas à faire tout ce que je dois faire et qu’il y a toujours des imprévus à gérer, d’avoir les larmes aux yeux pour un petit incident dans la journée mais qui semble insurmontable à ce moment-là…
Et à bout de ne parfois plus demander aux collègues comment ils vont car je sais que leurs réponses qu’elles soient positives ou négatives me renverront à ma propre souffrance …
Alors je pense, comme d’autres, à changer de profession, à trouver un poste moins stressant, avec moins de pression, qui me permettra de rentrer l’esprit léger chez moi… Et puis je pense aux enfants, aux familles, aux assistants familiaux et je me dis que je n’ai pas envie de leur infliger un nouveau changement, une rupture dans un parcours déjà chaotique… et j’arrive aussi à la conclusion que j’aime mon travail et mes missions premières de référent éducatif mais je suis épuisée par ces conditions de travail qui ne me permettent pas de l’exercer sereinement.
Nous avons besoin de considération et de reconnaissance (mais qui n’en a pas besoin ?) pour avancer et continuer à travailler avec optimisme. Notre service pourrait fonctionner, il a des professionnels compétents et motivés, le département de la Mayenne propose des choses innovantes et pertinentes mais qui ne peuvent fonctionner sans un minimum de moyens et de réflexions.
Cette lettre n’est pas non plus dans l’idée de refuser des évolutions (il y en a eu et à chaque fois nous avons essayé de nous adapter tant bien que mal), mais d’y donner du sens et de réfléchir aux priorités que devons donner à notre travail. Je vais finir par une dernière question, qui me semble primordiale, comment des professionnels en souffrance peuvent-ils accompagner convenablement des familles et enfants en souffrance ? »
Témoignage d’une assistante d’accueil socio-administrative : « Loin du sens même du service public »
Je suis AASA (secrétaire) depuis plus de 10 ans, sur une petite équipe. De mon côté je ne m’y retrouve plus depuis à peu près 5 années, ce qui correspond au début de la réorganisation.
Une réorganisation qui s’est faite de manière principalement descendante, même s’il y a eu des groupes de travail, pour beaucoup, les décisions étaient déjà prises. Décisions souvent bien éloignées de la réalité du terrain.
Je suis « en première ligne » et je travaille « directement avec l’humain », je suis constamment (sans évoquer les diverses tâches que je dois faire de façon simultanées, par manque de moyens) sans cesse dans de nouvelles procédures/protocoles qui affectent la qualité de mon travail et m’éloigne du sens même du service public et de ses mission premières et essentielles.
Témoignage d’un agent administratif : « On subit remarques, remontrance »
Très profondément attachée au service public, j’ai toujours eu à cœur de travailler au sein d’un service social (entre 10 et 20 ans d’ancienneté). L’humain au cœur de nos missions ; l’intérêt des usagers en difficultés me semblent bien éloignés aujourd’hui…
J’ai le sentiment comme beaucoup de collègues de travailler « des dossiers » voire des listes afin de satisfaire une commande. Peu importe les freins, il faut faire baisser les chiffres. Comme si nous étions responsables de la crise sanitaire et économique. Les usagers ne sont pas tous des profiteurs du système, qui ne veulent pas aller travailler. On multiplie les procédures les unes empilées sur les autres, ce qui rend notre système très complexe.
Nous sommes sous pression, dévalorisés, on nous atteint dans notre identité d’agent sur la qualité de notre travail, nos compétences… Cela finit par nous ronger, pas le temps de faire une pause déjeuner correcte, sommeil perturbé (ai-je commis une erreur, ah il faut que je pense à faire ça et ça demain…)
Nous devons produire sans cesse des statistiques avec les moyens du bord. On peut subir remarques, remontrances « tu n’as pas encore fait ça? …Il faut que tu fasses ça… »
Beaucoup de collègues pensent à un arrêt de travail, mais pourquoi faire ? il faut revenir et retrouver son travail, plus l’accumulation du retard… s’entendre dire que l’on est faible…
Chercher un poste ailleurs, beaucoup l’envisagent en dehors même de l’institution, alors que la plupart s’y sont dévoués et n’auraient jamais envisagé une telle option…
Du fait du manque d’agents, il faut là aussi faire avec les moyens du bord. Ainsi, certains agents se voient attribuer des missions qui n’ont pas forcément sens avec l’ensemble de leur fiche de poste, mais il faut bien que quelqu’un le fasse… Cela amène aussi à des situations parfois ubuesques, on se retrouve avec 2 – 3 « binômes » sur sa fiche de poste (en cas de nécessité de remplacement), un binôme par mission… ?? prendre un jour de congé peut s’avérer tellement compliqué dans la mise en place, qu’on préfère les cumuler.
Cela déstabilise, provoque une incompréhension. Lorsque nous exprimons nos craintes, nos inquiétudes, elles sont vite balayées, « c’est comme ça, on n’a pas le choix… » Il devient difficile de maintenir malgré tout notre motivation. »
Témoignages d’agents de la Direction insertion et logement : « Les agents n’ont plus de repères »
Nous vivons tous un contexte de travail difficile, lié à la crise sanitaire et la crise économique. Il est constaté une hausse importante des bénéficiaires du RSA, mais il faut faire baisser leur nombre. Une nouvelle organisation a donc été pensée, sa mise en place a eu lieu le 1er avril 2020 pendant le confinement.
Il a été difficile de comprendre ce choix de maintenir cette date du 1er avril concernant la mise en application de ce nouvel organigramme dans un contexte plus large de réorganisation de l’accompagnement des Bénéficiaires du RSA avec la mise en place d’une expérimentation. La mise en place de cette réorganisation avec le choix de prendre des moyens notamment par des glissements de postes de l’Action sociale de proximité (ASP) vers la DIL n’a pas facilité sa mise en place.
Il y a des attendus fort des résultats dans un délai court, voire avec une injonction d’immédiateté dans un contexte difficile. Nous constatons un manque de moyens face à l’augmentation des personnes au RSA alors même que nous avons connu des suppressions de postes lorsque leur nombre avait diminué.
Les professionnels de la DIL subissent une forte pression institutionnelle ; vécue comme de la maltraitance pour certains au regard de certains propos tenus au sein de différentes instances. Nous constatons et ressentons un manque de reconnaissance, de considération par notre institution et de soutien par notre hiérarchie.
Le nouvel organigramme nous a été présenté comme devant permettre de favoriser la cohésion au sein des équipes et de facilité la transversalité entre les services. Or, à ce jour, les agents ne s’y retrouvent. Nous constatons toujours un manque de communication, de transparence, sans réunion de service.
La multiplicité des réorganisations ces dernières années, l’empilement de procédures mouvantes et de plus en plus complexes finissent par désorganiser notre direction. Les agents n’ont plus de repères et cela accroit l’insatisfaction générale.
Nous répondons sans cesse à des commandes institutionnelles au gré des insatisfactions exprimées sans avoir de réel cap à tenir, de projet de direction et en menant un nombre important de chantiers en même temps. La verticalité est notre quotidien avec un manque de concertation, d’écoute et plutôt une attente d’exécution de la commande.
Nous constatons également un turn-over important sur certains postes, des agents non remplacés avec la répartition des tâches sur d’autres agents déjà bien occupés à effectuer leurs missions, (des agents partis en retraite et non remplacés, ou des nouveaux arrivants qui arrivent plusieurs mois après des vacances de postes). Ces dernières années la DIL a connu des départs de postes non négligeables (un poste de chargé de mission, un poste d’animateur à l’insertion, un poste de gestionnaire administratif, un poste de chef de service)
L’installation de certains STI (Service territoriale d’insertion), dans des locaux extérieurs où les agents se retrouvent seuls, ne favorise pas la cohésion de notre direction, ni le travail en transversalité avec les autres services ou Direction et les partenaires extérieurs.
Pourtant malgré tous ces éléments, tous les agents de la DIL restent fortement mobilisés pour mener à bien leurs missions. Nous sommes impliqués mobilisés, avec le souci de répondre au mieux aux besoins de l’usager. Il nous faut avoir de très grande capacité d’adaptation face à tous ces changements incessants. Toutefois, actuellement, la morosité, le découragement, la perte de motivation et de sens, le mal-être gagnent du terrain, sans voir d’issue. »
Je suis assistante de service social en polyvalence de secteur depuis un peu plus de 14 ans. Et depuis 2014, date de la réorganisation de l’action sociale de proximité, la qualité du service apporté aux personnes s’est largement dégradée.
Nous avons eu des postes qui n’ont pas été renouvelées et deux postes qui vont glisser, l’un vers la CRIP et l’autre vers le STI sans compensation. L’aspect humain de notre travail est de moins en moins reconnu. L’institution nous demande toujours plus avec de moins en moins de moyens humains, si bien que lors de certaines réunions d’équipe, nous sommes en train de sérier les priorités pour tenter de faire à moyens dégradés. Lorsque l’on est en arrêt la variable d’ajustement a toujours été de différer les CER-RSA (Contrat d’Engagements Réciproques) concernant le RSA. Et du coup aujourd’hui on en est à une réorganisation de ce service parce qu’il n’y a pas assez de bénéficiaires du RSA à aller vers l’emploi. C’est le serpent qui se mord la queue. Arrêtons de déshabiller le service de l’action sociale de proximité. Nous sommes l’un des derniers services de proximité sur le territoire. La plupart a déserté faute de moyens. Arrêtons le massacre et redonnons les moyens humains à l’action sociale de proximité.
Qu’est-ce que ça veut dire d’envisager qu’une antenne solidarité fonctionne avec trois assistantes sociales ? Comment allons-nous pouvoir faire pour être toujours deux présentes sur le site ? Est-ce à dire que nous n’aurons plus de jours de repos ?… »
J’ai actuellement quatre accueils, deux qui sont à mon domicile familiale depuis le début de ma fonction d’assistante familiale (5 à 10 ans d’ancienneté), deux autres depuis moins longtemps.
Ce métier est enrichissant, passionnant, il nous implique à temps complet et emmène toute notre famille dans cette aventure. C’est aussi pour cette raison qu’un temps de repos mensuel nous est nécessaire. Notre métier peut peser sur nos conjoints et sur nos enfants, qui eux ont aussi une autre vie et d’autres contraintes. Permettre de souffler une fois par mois aide à pérenniser un métier au combien extraordinaire, mais aussi au combien atypique. C’est aussi la possibilité qui peut être offerte aux jeunes placés d’avoir d’autres liens, d’autres attaches possibles pour être épaulés durant leurs vies d’adulte. »
Je suis assistante familiale pour le conseil départemental de la Mayenne, j’accueille trois enfants. Je parcours 900 km par semaine pour les visites et rendez-vous médicaux des enfants que j’accueille. C’est une charge assez lourde car je peux passer deux heures minimum dans ma voiture à attendre les enfants pendant les visites.
Avec le trajet, cela peut représenter quatre heures de voiture au minimum par jour voir deux fois par jour. Pendant ce temps il faut gérer l’intendance : ménage, repas pour 7, linge, courses, devoirs scolaires, éveil des enfants et j’en passe…
Bon on va dire que ça fait partie de notre travail, ce qui est totalement vrai et je ne rechigne surtout pas. Par contre, comment accompagner un enfant correctement sans repos ? Car c’est le paradoxe de mon métier je suis embauchée 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24.
Un week-end par mois c’est très peu pour se ressourcer mais c’est déjà très bien. Nous retirer ce moment est impensable, inhumain pour nous mais également pour notre famille. Il est dit que nous sommes une famille, c’est pourquoi les enfants que nous accueillons doivent rester en permanence avec nous. Pourtant, on nous rappelle très souvent que ce ne sont pas nos enfants. Que l’accueil est un travail…. Qui dit travail dit repos? non
Quand vous accueillez des enfants dits complexes, des enfants qui cassent tout chez nous ou chez nos amis ou famille…. Des enfants qui volent, des enfants violents, des enfants aux aguets de la vie intime du couple de la famille d’accueil, comment faire pour se reposer, se ressourcer avec nos propres enfants ? Notre famille proche ? Nos amis qui ne veulent plus nous recevoir ?
Ce métier je l’aime, je le fais avec passion. Je suis toujours prête à aider un enfant. Par contre ma vie de famille n’a pas de prix. Je ne sacrifierai pas mon mari, mes enfants, ma famille pour mon métier. Ma famille est et restera ma priorité.
Le discours que l’on entend est que le Conseil départemental accueille les enfants en danger trop longtemps, qu’il est trop frileux pour remettre les enfants dans leur propre famille… Mais quand dans certaines familles? il se passe des choses ignobles tel que le viol, les abus sexuels, les séances cinéma de films pornographiques en famille…
Quand vous accueillez un bébé qui se prive de sommeil et nourriture à chaque fois qu’il voit ses parents, des parents qui annulent visite sur visite, qui voient leur bébé quand ça leur chante, que nous nous rendons aux visites et finalement les parents ne sont pas là… Mais que la loi dit qu’il faut garder le lien familial. Qu’ensuite on ne dort plus car il faut garder bébé dans les bras toute la nuit ? Comment ne pas perdre pied avec ce manque de sommeil qui est également valable avec des enfants plus grands, psychotiques, qui ne dorment pas et qu’on doit surveiller pour leur sécurité et la nôtre ?
Qui est capable de travailler jour et nuit, 7 jours sur 7, et 24 h sur 24, sans repos ? Personne n’est superwarrior. C’est notre mort petit à petit, la mort de notre métier qui peut être si merveilleux quand il est bien fait. Les enfants d’aujourd’hui sont l’avenir de demain. Comment les accompagner si on en a plus la force, si les référents éducatifs s’épuisent tour à tour ? C’est un appel au secours…. Il nous faut du repos, une reconnaissance de notre travail. »
Quelques repères…
La direction de la Solidarité au conseil départemental de la Mayenne – le social est une des compétences de la collectivité – est composée de quatre directions : la DPMI qui s’occupe de la protection maternelle et infantile, la DPE qui a en charge la protection de l’enfant (ex DASE : aide sociale à l’enfance), la DIL qui oeuvre pour l’insertion (RSA) et le logement (Impayés, aides, etc.), enfin la DASP , la direction de l’action sociale de proximité.
Nombre d’agents au sein de la Direction de la Solidarité (source bilans sociaux)
En 2016 : on comptabilisait 353 agents et 270 assistants familiaux. En 2019, l’effectif s’accroît avec 381 agents et 268 assistants familiaux, mais selon la CFDT Interco « cette augmentation est due pas uniquement à des créations mais pour la plupart des glissements venant des autres directions du conseil départemental« . Déshabiller Pierre pour habiller Paul. L’effectif total au conseil départemental (en dehors des assistants familiaux) sur des postes permanents s’élevait en 2016 à 1120 titulaires et 86 contractuels, soit un total de 1206. En 2019, on assiste à une légère baisse parmi les agents titulaires (1080) et une montée significative des contractuels (137) soit un total de 1217. « Il s’agit d’une création de 11 postes mais pas uniquement dédiés à la Solidarité« , analyse le syndicat.
Pour ce qui est des enfants qui sont suivis par le Département, il en a été comptabilisé en 2016 le nombre de 937 selon la DREES. Deux ans plus tard en 2018, on est passé selon les statistiques par cet organisme répertoriées à 951. Un constante augmentation puisqu’en 2020, le chiffre de 1000 était atteint. Un millier d’enfants à suivre auxquels il faut ajouter « 250 mineurs non accompagnés » selon le nombre avancé en novembre 2020 dans la presse par Olivier Richefou.◼
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