Plongée dans le conseil municipal de Gorron – par Thomas H. 🔓

Une vue du conseil municipal de Gorron en Mayenne

Délib

Immersion dans un conseil municipal. A Gorron dans le nord du département de la Mayenne, la ville y est dirigée depuis cinq mandats, sans discontinuer, par le même maire. Conseiller départemental qui se représente aux élections de juin, Jean-Marc Alain (LREM) est aux manettes avec un conseil municipal composé, selon sa propre formule de « jeunes élus », face à une opposition réduite à deux personnes. Du velours… Au cours de la séance publique à laquelle leglob-journal a pu assister, les conseillers municipaux ont approuvé, comme un seul homme, des délibérations résumées, sans lever la main.

La parole s’en va, les écrits restent

Par Thomas H.


un belle lettre D sur eleglob-journal

Dans la salle rénovée du théâtre situé à l’étage de l’imposante mairie de Gorron, les élus sont à des tables disposées en fer à cheval. Distanciation et masques, en raison de la crise sanitaire. Un immense écran fait apparaître ce qui est présenté comme la « synthèse des délibérations » offerte au vote des conseillers municipaux. Neuf pages recto-verso, ni plus ni moins, très succinctes, avec des délibérations réduites à quelques lignes, sous des noms de rubriques très génériques comme « Solidarités », « Cadre de vie », « Finance, économie et administration générale ». Concernant par exemple la rubrique « Animations festives et culturelles » : rien. L’ordre du jour nous dit qu’on aura les « informations en séance »… Même chose pour la rubrique « Sports, loisirs et jeunesse ».

Aucune délibération dans sa version définitive n’est donc présentée officiellement en séance du conseil municipal. Ce qui est étonnant. De plus, les élus votent sans lever la main. Or sur le site Collectivités-locales.gouv.fr, on lit : « Le conseil municipal peut voter selon trois modes de scrutin : le scrutin ordinaire à main levée ou par assis et levés ; le scrutin public a lieu, à la demande du quart des membres présents, soit par bulletin écrit, soit par appel nominal. Le registre des délibérations doit comporter le nom des votants ainsi que l’indication du sens de leur vote ; le scrutin secret a lieu lorsqu’un tiers des membres présents le réclame ou s’il y a lieu de procéder à une nomination ou à une présentation (article L. 2121-21 du CGCT). »

Au niveau des subventions par exemple, – un élément de la gestion communale qui pose souvent problèmes -, il est annoncé qu’une « convention [sera] conclue avec chaque association bénéficiaire si la subvention est supérieure à 23 000 € » nous dit la synthèse. Mais rien sur ladite convention qui n’est d’ailleurs pas annexée ; ni sur les montants des subventions allouées. Cela restera un mystère. Pourtant si on lit bien la synthèse proposée, «deux associations entrent dans le champ d’application de cette règle . L’office des sports et des loisirs de Gorron » et « l’association Gorronaise des Animations Festives et Culturelles », l’AGAFC. Le maire sur ce point, avance au Glob-journal qui l’interroge : « J’ai le droit de signer la convention en question, si je veux, sans passer par l’assemblée communale … mais nous sommes transparents à Gorron… »

Jean-Marc Allain ajoute au téléphone du Glob-journal : « Nous, on fonctionne comme ça depuis des années et c’est la première fois qu’on me fait une telle remarque… Allez voir dans les petites communes comment cela se passe! Si les règles ne sont pas correctes, on verra du côté de la préfecture ce qu’ils en disent… » Le maire reconnait au Glob-journal qu’il s’agit d’une synthèse, et que les « délibérations, selon lui, sont étudiées en commissions avant le vote (…) » Contacté à plusieurs reprises, Gérard Fourré le Directeur général des service de la ville de Gorron ne nous a pas rappelé pour qu’on puisse comprendre pourquoi les délibérations semblent être écrites après les votes… C’est Jean-Marc Allain qui a pris son téléphone pour appeler leglob-journal et déclarer qu’ « il pouvait écrire ce qu’il voulait » mais que « ce n’était pas sérieux ! » , reprochant au Glob-journal de ne « voi[r] que le côté négatif des choses, sans s’intéresser aux emplois créés, et aux entreprises sauvées (…) »


« Deux, trois, quatre salariés, je ne sais pas… »


La législation est claire : « Quelle que soit l’importance démographique de la commune, tout conseiller municipal, dans le cadre de sa fonction, doit être informé des affaires de la commune faisant l’objet d’une délibération. » C’est pourquoi la délibération fournie au moment du vote doit être definitive… C’est Pascal Martin, un « chef d’entreprise » comme il aime à le rappeler, faisant figure d’opposant au maire de Gorron, président du Comité des fêtes, qui en prenant la parole ouvre le champ du débat. Mais l’acoustique de la salle du Théâtre ne permet pas de saisir toute la teneur des propos qui sont échangés.

L’élu interpelle le maire : « Vous accordez 30 000 € de subvention à cette association, l’AGAFC que vous avez créée, avec 10 000 € par trimestre. Elle se trouve être l’association de la ville de Gorron, la mieux dotée d’un seul coup. L’association « Les Amis d’Al foncent », que tous les Gorronais connaissent avec un budget d’animation de 200 000 €, n’a obtenu que 11 000 € de subventions… » Pascal Martin interroge Jean-Marc Allain : « Pourquoi autant d’argent dans cette association, l’AGAFC alors qu’on fait des économies de bout de chandelle ? » Le maire écoute l’opposant.

Selon celui qui préside le Comité des Fêtes de Gorron depuis trois ans, il s’agit d’une structure associative « créée spécialement pour pouvoir accueillir des salariés de la municipalité qui seront rémunérés par l’association… ». L’association, confirme alors le maire de Gorron devant les élus et les représentants de la presse, « pourra accueillir deux, trois, quatre salariés, je ne sais pas… cela dépend de qui voudra aller dans l’association… » Le bruit des paroles qui se répercutent sur les murs de la grande salle, l’absence de micro au moment où l’échange a lieu, les deux interlocuteurs qui se coupent mutuellement la parole, tout cela empêche de bien saisir ce qui se dit… On espère que le procès verbal pourra tenir compte au plus juste des propos tenus par chacun…


Pascal Martin, opposant à Jean-Marc Allain, le maire de Gorron
Pascal Martin, opposant à Jean-Marc Allain, le maire de Gorron – © leglob-journal.fr

Au cours du conseil municipal, Pascal Martin s’est notamment déclaré « content que l’AGAFC reprennent les prérogatives du comité des fêtes… » Sans qu’il n’en soit question, selon le maire. L’opposant aux pratiques de Jean-Marc Allain « [s]e bat pour que la régularité soit respectée« . Il s’est présenté aux dernières élections municipales contre le premier magistrat de la ville de Gorron et parle en séance publique d’ « abus de bien social » ; il ajoute « on sera attentif !». Pascal Martin fait sans doute référence à la police judiciaire qui s’est déjà intéressée à une « prise illégale d’intérêts » concernant le maire de Gorron. Ce dernier a été, selon ce qu’il nous a déclaré, entendu « pendant trois heures ». Le Parquet de Laval a lancé une enquête préliminaire qui a débouché sur les auditions et finalement sur un rapport sans équivoque transmis à la Procureure de la République ; il n’a pas encore été déclenché de poursuites. Lire ici

Au conseil municipal d’installation, après les élections de juin 2020, Jean-Marc Allain, dans son discours de maire, intronisé pour son cinquième mandat, a déclaré : « Je me dois d’agir avec honnêteté, franchise, sincérité, équité, justice, transparence et loyauté« , puis ajoutant à l’endroit de son équipe municipale et de ses quatre adjoints : « élus avec plus de 80 % des voix, nous devons avoir toujours dans l’esprit d’agir dans l’intérêt général  » .


« Vos priorités ne sont pas les nôtres… »


Celui qui a été chef d’entreprise croise à présent le fer avec une adjointe qui évoque « une aide de la mairie à l’extension d’un commerce à Gorron ». Pascal Martin l’interpelle : « Pourquoi ce commerce en particulier ? Pourquoi celui-ci et pas un autre ? » Il n’y aura pas de réponse précise de la part de l’élue… Vue de l’extérieur et à entendre ce qui se dit, c’est-à-dire pas grand-chose pour justifier le choix de ce commerce-là, on en déduit qu’il s’est peut-être agit de faire plaisir en répondant à une administrée dans « la difficulté »…

le maire de Gorron, Jean-Marc Allain
Le maire de Gorron, Jean-Marc Allain, cinquième mandat – © leglob-journal.fr

Puis vient le gros du conseil. L’examen du budget, avec dans la « synthèse » donné aux élus et à la presse, quelques chiffres seulement concernant le « budget principal » et les « budgets annexes » comme ceux de l’assainissement, du cinéma, de la « zone d’activités Les Besnardières », du « réseau chaleur bois » et des lotissements municipaux. « Depuis 2011, la ville de Gorron n’a recourt à aucun emprunt » avance Jean-Marc Allain, qui s’enorgueillit aussi d’avoir le « réseau chaleur bois qui alimente de très nombreux points de la ville et fait baisser de 25 % les fluides en pétrole… » Un satisfecit qui ne convint pas l’opposant Pascal Martin. « Ce qui me gène, dit-il au maire, c’est la façon dont vous dépensez l’argent public… Vous avez promis des choses dans vos mandats précédents, mais je note que concernant l’école primaire, le budget promis n’a pas été engagé, ni la restauration de l’église, ni pour la réfection des trottoirs… »

« Il y a entre six et sept millions d’€ de travaux qui sont à faire en priorité sur Gorron. Vous investissez dans des domaines qui sont à risque et qui ne sont pas de la compétence de la commune, et je constate que l’argent ne bénéficie pas aux Gorronnais !… » Jean Marc Allain prend le micro et descend son masque sur le menton : « Monsieur Martin, plusieurs rues de Gorron ont été refaites. [Il les énumère…] Décidemment vous ne connaissez pas Gorron, et vos priorités ne sont pas les nôtres… » L’échange entre Pascal Martin et le maire ne va pas plus loin… Entre temps le premier a pu mentionner toutefois dans la conversation le nom de l’ARC, un bâtiment acheté par la municipalité avec des pratiques épinglées par la Chambre régionale des comptes…Lire ici


« La machine à brouillard »


La façon de présider le conseil municipal révèle-t-il une trop grande habitude? Ou bien une certaine désinvolture? Des formules comme « Vous êtes d’accord pour qu’on vote plein bloc ? » ou d’autres de ce genre sont étonnantes. Quant il s’agit d’examiner la « création d’un emploi aidé » pour remplacer un agent parti à la retraite, le maire interpelle ses élus : « Est-ce que vous êtes d’accord pour qu’on passe de un à trois emplois pour aider les jeunes ? » Puis le maire ajoute : « Bon, c’est donc d’accord…» Louable comme intention, mais pas de vote à main levée, pas d’interrogation non plus, pourtant on ne sait pas qui vont être les heureux élus qui vont pouvoir bénéficier des emplois aidés…

« La machine à brouillard fonctionne tellement qu’on en arrive à oublier de voter… » avait analysé en début de séance Pascal Martin quand l’appel au vote avait été mis de côté, involontairement. L’opposant principal au maire dit avoir été l’objet pendant la campagne municipale de ce qu’il appelle « une tentative d’attentat »… Une « grosse voiture » conduite par un proche du maire a selon lui voulu le renverser sur un chemin… il y avait des témoins … L’élu avait porté plainte, mais « elle a été classée sans suite » par les services de la procureure de la République.

« A Gorron, on essaye de voir un petit peu plus loin que le bout de son nez » avance Jean-Marc Allain en fin de cette séance du conseil municipal, ce 25 mars 2021. Le maire aime faire dans le one man show, quand il est question du vote du budget, par exemple, il sort par une porte, et quand la Première adjointe va le rechercher, il entre dans la salle du conseil par une autre porte. Rires de l’assemblée. « Je voulais détendre l’atmosphère… » lancera-t-il en rejoignant sa place. Sketch. Jean-Marc Allain est beau-parleur, il séduit énormément… Haut-parleur aussi, Il a animé l’année dernière une « radio de ville » sur Gorron, une initiative intéressante, pendant le confinement, « pour créer du lien« . Mais l’impression qui prévaut à la sortie de la réunion de l’assemblée communale ce 25 mars 2021, c’est un manque certain de chiffres, de rigueur et d’informations précises. Et rien, pas de délibération définitive pour pouvoir s’y référer… ◼


Les précisions de la Préfecture de la Mayenne

Leglob-journal a obtenu les réponses suivantes aux questions qu’il a posées au service en charge du contrôle de légalité du Préfet :

La belle lettre guillemet du Glob-journal

Les modalités de vote par le conseil municipal sont fixées à l’article L. 2121-21 du code général des collectivités territoriales (CGCT), avec trois types de scrutins : scrutin ordinaire, scrutin public et scrutin secret. Les notions de vote à main levée ou de vote assis/debout relève du scrutin ordinaire où il suffit que la majorité des votes soit exprimée de manière publique pour que la délibération soit adoptée.

Concernant les délibérations, les articles L. 2121-23 et R. 2121-9 du CGCT fixent les dispositions relatives aux délibérations et à leur contenu. Elles doivent comporter certains éléments : – le jour et l’heure de la séance, – le nom du président de séance, – les noms des conseillers présents et représentés, – l’affaire débattue, – le résultat du vote et la décision prise à la suite de ce résultat. Les délibérations portées au registre doivent être signées par tous les membres présents à la séance. Cette signature atteste que le texte de la délibération portée au registre est bien conforme à la délibération effectivement prise par le conseil municipal. Si un conseiller municipal présent refuse de signer, la raison doit être précisée. « 


un des logos leglob-journal

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2 thoughts on “Plongée dans le conseil municipal de Gorron – par Thomas H. 🔓”

  1. Le profil parfait du petit « politicard » de province, assuré de sa réélection ad vitam aeternam, tant que la Justice de notre pays n’y mettra pas le holà.
    Ah, il est vrai qu’entretemps ce monsieur a changé d’étiquette et qu’il roule pour les Rem… on songe à la chanson de Dutronc  » … Je retourne ma veste ».
    Enfin, n’oublions pas au chapitre des affaires fumeuses, les petits arrangements entre amis, les accointances, les services rendus, les donnant donnant, les parcelles bloquées à la vente, etc.
    Espérons que Gorron changera vite de maire, et retrouve un peu de sérénité !

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