MaFoi
Après avoir évoqué une belle idée de croyants actifs et engagés, trouvé un promoteur amoureux des belles pierres, l’espace Saint-Julien se matérialise à l’aide de structures juridiques. Il faut collecter des fonds pour mettre en route le projet ambitieux. Il faut travailler en toute transparence et tracer les flux financiers. Heureusement, les compétences sont là, un avocat, un expert-comptable et d’autres. Dans un premier temps, il y a un fonds de dotation pour collecter les dons de tous horizons, une SCI pour organiser la rénovation des lieux et percevoir des loyers de la part des pôles des services de l’espace Saint-Julien. Ces revenus permettent de rembourser des emprunts contractés, pour plus de six millions d’euros.
Quittons le domaine de la foi transcendante pour entrer dans le très vulgaire domaine de l’argent
Par Marrie de Laval
Si l’institution religieuse, quelle que soit l’obédience, vous parait passée de mode, elle assure sa pérennité, toujours à l’affût de tout ce qui lui permet de se maintenir dans le siècle. On peut avoir des idées vieilles de deux mille ans mais rester à la pointe du progrès pour les propager. N’oublions pas que le Pape est présent sur les réseaux sociaux, que la liturgie passe sur les ondes hertziennes et dans les flux tout comme le passage en confession et la communication avec un directeur de conscience. Certaines quêtes s’opèrent par terminal de paiement parfois sans contact … Bref, la religion est entrée dans le monde virtuel 2.0. Parce qu’une association ordinaire n’aurait pas assuré la même stabilité au projet et qu’il aurait fallu compter sur des adhérents parfois turbulents ou démotivés, il a fallu trouver un autre type d’organisation.
Une fondation aurait eu de l’allure mais son but trop « d’intérêt général » n’aurait pas pu se consacrer au seul projet aussi local que Saint-Julien. Le fonds de dotation devenait idéalement un bon compromis. Plus souple. Moins contraignant.
Un montage juridique au top
Constitué entre hommes (et pas de femmes !), le fonds de dotation de Saint-Julien a été créé le 4 novembre 2017 et enregistré auprès de la Préfecture (comme les associations), cinq jours plus tard, le 9 novembre 2017. Une affaire rondement menée juste avant la constitution de la SCI, début décembre. Un fonds de dotation est une structure privée, comme une association, fonctionnant à la manière d’une fondation publique. C’est une nouveauté juridique mise en place par la loi LME (Loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008). Elle permet à certains acteurs locaux de prendre la main sur des projets d’ambition sociale et d’une certaine manière, politique. Rien n’est neutre.
D’ailleurs, le nom et les activités des fondateurs sont sociologiquement intéressants et reflète bien l’idée que l’on se fait de la notabilité en province. Il s’agit de Pierre-Antoine Belley, membre de la communauté de Saint-Martin, qualifié de prêtre-aumônier dans les statuts du fonds de dotation, de Maître Benoît Gruau (Lire ici), avocat Président et représentant du fonds de dotation dans la SCI St-Julien, de Michel Lelièvre, promoteur immobilier et co-fondateur avec le fonds de dotation de la SCI, de Gilles Mézières, directeur chez Lactalis (récemment remplacé par Romain Rollet, directeur de la société STSM au Genest-Saint-Isle), et d’Hugues Préau, expert-comptable, parent avec le modérateur général de la communauté Saint-Martin. Ce fonds de dotation a pour objectif de collecter de l’argent pour financer la rénovation des bâtiments existants et les activités mises en place à travers différents pôles thématiques proposés par l’espace Saint-Julien. (Lire ici)
En guise « d’amorce », les cinq fondateurs du fonds à l’origine du projet Saint-Julien ont cotisé à hauteur de quinze mille euros (15 000 €) après la rédaction des statuts, d’une charte et d’un règlement intérieur pour définir le projet. Cela représente, en moyenne, deux mille cinq cents euros par personne. Le but du fonds, comme pour une association, consiste selon le préambule des statuts à « soutenir et présider au développement d’activités d’intérêt général à caractère éducatif, social et sanitaire, dans le cadre d’un lieu de vie intergénérationnel destiné à favoriser l’épanouissement personnel et l’entraide mutuelle de personnes de tout âge et de tout état de vie, dans un esprit de désintéressement et de promotion du bien commun en veillant à l’intégration des personnes les plus faibles ». En pratique, pour y parvenir, il s’agit aussi, à travers de multiples moyens d’action d’autoriser le fonds à :
Les fondateurs, membres du conseil d’administration, travaillent bénévolement et sont à la recherche de fonds supplémentaires pour financer les activités retenues dans le cadre de l’espace saint-julien. Il a fallu entreprendre des démarchages et solliciter. Il s’agit de recevoir un financement privé, faute d’argent public disponible. Même la plateforme cultuo-confessionnelle « credofunding » a été sollicitée pour trente mille euros et a permis de collecter moins de treize mille euros pour la chapelle.
Un appel à l’argent prosélyte selon des réseaux bien rodés
En observant qui a contribué, parfois avec des contreparties fiscales intéressantes, se dessine un profil des véritables apporteurs des moyens financiers. Il s’agit pour eux de soutenir le projet par conviction. Cela est à l’opposé de la contribution par l’impôt, de la mise en place du contrat social car il s’agit de choisir un projet et non de mutualiser des services. C’est là qu’apparaissent véritablement les réseaux, et les relations pour actionner le financement dans le cadre d’une charité bien ordonnée.
Il est intéressant de noter que la fondation Caritas pro vitae gradu (pouvant être traduit grossièrement du latin comme « L’Amour pour socle de la Vie ») soutient le projet alors qu’elle participe déjà à l’entretien de la communauté Saint-Martin. Catholique militante, Ariane Slinger sa fondatrice s’affiche avec le pape et finance la rénovation du couvent dominicain de Toulouse … avec une photo de la communauté Saint-Martin d’Evron, comme on peut le voir sur le site internet de la fondation suisse (ici). Cette même communauté Saint-Martin illustre la thématique de l’appel aux dons pour financer toute la liste des projets. A croire que la fondation soutient tout particulièrement cette communauté qui a reçu de la part du Pape le bénéfice (L’avantage, NDLR) d’ordonner prêtres ses séminaristes et d’incardiner [Rattacher un clerc à un diocèse ou à un institut religieux, NDLR] ses membres auprès différents diocèses. Seules quatre associations cléricales, en France, disposent de cette faculté dont le but est de former des prêtres et des diacres pour répondre aux besoins des territoires et des fidèles.
La fondation suisse d’Ariane Slinger, descendante d’un riche industriel, presseur de disques en vinyle néerlandais, trouve peu de projets à soutenir en France, hors la rénovation du patrimoine alors que son action, à l’étranger se concentre plus sur les écoles, les universités, les accès aux soins en zones de conflits, les hôpitaux …
Pour L’espace Saint-Julien, la fondation Caritas Pro Vitae gradu s’implique dans le projet global. Déjà fervent financeur de la communauté Saint-Martin d’Evron, la fondation d’Ariane Slinger a «soutenu les importants travaux de rénovation de l’Abbaye et participé au développement des programmes de formation des séminaristes. » selon le site de la fondation lui-même.
Il s’agit pour la fondation d’Ariane Slinger de solliciter des donateurs. Elle présente le projet ainsi (en anglais sur le site) : « A team of priests from the Communauté Saint Martin is leading this innovative project./ Une équipe de prêtres de la Communauté Saint Martin mène ce projet innovant. » ( Cf. Photo ci-dessus). Ce que réfute l’avocat Benoit Gruau qui a bien précisé au Leglob-journal que « ce n’est pas la communauté Saint-Martin qui est à la manœuvre mais bien les fondateurs du fonds de dotation« .
Décideurs internationaux et bénévoles locaux
Le fonds Saint-Christophe, émanation de l’assurance officielle des écoles catholiques (L’équivalent de la MAE auprès des écoles publiques), s’intéresse aussi au projet Saint-Julien et lui décerne un prix pour le bénévolat. C’est un collaborateur de l’assureur qui a proposé le dossier parce qu’il connait un des responsables du projet Saint-Julien, comme il l’explique sur le site officiel des assurances Saint-Christophe.
La fondation Bettencourt-Schueller, elle, a été sollicitée par l’avocat Benoit Gruau lui-même. Il s’agissait d’obtenir le financement du programme éducatif pour un million huit cents mille Euros (1 800 000€), don unique obtenu après visite sur place de représentants de la fondation. L’association Les transmetteurs, fondée par Xavier Emmanuelli, a octroyé un prix et un chèque pour soutenir le volet social du projet.
A travers le déploiement des pôles d’intervention du projet Saint-Julien, nous découvrons d’autres bénévoles moins connus mais tout autant caractéristiques d’un monde de croyants très investis dans les œuvres. Les photos des responsables s’affichent sur le site de l’espace Saint-Julien. Ils sont kinésithérapeutes, enseignants à l’école catholique, travaillent à la Poste, dans le secteur bancaire ou dans l’immobilier. Ils peuvent être chefs d’entreprise, avocat ou notaire. Ils se connaissent par liens familiaux ou professionnels. Et certains interviennent sur les ondes de Radio Fidélité, station locale du diocèse du réseau RCF–Radios chrétiennes de France
Nous estimons qu’il aurait été intéressant d’observer ce qu’il serait advenu, sans le projet Saint-Julien, de l’autre projet municipal, à savoir celui de la cité culturelle proposée par l’ancienne équipe menée par Guillaume Garot puis Jean-Christophe Boyer. Pour voir s’il y aurait eu à ce point une telle endogamie socio-culturelle et confessionnelle…
Bonjour,
A mon sens nos articles sont complémentaires. Vous plantez le décors, je décortique les mécanismes.
Considérer le projet de rénovation de l’espace Saint-Julien comme un projet de nature religieuse et prosélyte est à mon sens une erreur d’analyse. Comme je l’écrivais dans les colonnes du Glob-Journal en juin 2018 (https://leglob-journal.fr/saint-julien-a-laval-privatisation), il s’agit plus prosaïquement d’un projet de privatisation d’un patrimoine public par la bonne bourgeoisie lavalloise qui, certes fréquente l’Eglise catholique, mais surtout vit l’entre-soi de classe autour de l’institution scolaire qu’est L’Immaculée Conception. L’avocat d’affaires Benoit Gruau a, de ce point de vue, bien raison de réfuter l’idée selon laquelle la communauté Saint-Martin d’Evron serait aux manettes du projet Saint-Julien.