La tour Montparnasse vue du futur emplacement de l’Espace M dans le Héron building – © leglob-journal.fr
Enquête
Attractivité – On savait le déménagement de l’Espace M* de la tour Montparnasse contractuellement prévu en juillet 2020, puis repoussé en décembre 2020. Finalement, il s’installera dans le bâtiment Héron Building en juin 2021. Le Département a peu communiqué sur ce déménagement, qu’il s’est pourtant empressé de régler en début d’année, pour une hypothétique prise des lieux en juin… Si Olivier Richefou et la Commission permanente semblent avoir des plans pour l’Espace M, élus départementaux et citoyens restent dans l’ignorance quant à ce projet de plus de 700 000 euros.
Argent public et intérêts privés, de quoi l’Espace M est-il le nom ?
Par Simon Mauvieux
Que nous réservent donc ces trois nouvelles années pour la Mayenne à Paris ? En décembre 2020, après un appel d’offres d’uniquement deux semaines, la Commission permanente a autorisé à l’unanimité le président du Conseil départemental, Olivier Richefou, à signer un bail avec l’entreprise “Actual Group”. Ce bail comprend la location pour au moins trois ans de 320 m2 de bureaux au 16e étage du Héron Building, dans le quartier de Montparnasse, pour un loyer de 20 500 euros par mois. Selon nos informations, il devrait être signé en juin.
Et c’est tout. Aucun débat n’a eu lieu en assemblée départementale pour juger s’il était intéressant de pérenniser l’Espace M. Personne n’a eu son mot à dire sur la nécessité d’investir près d’un million d’euros en trois ans pour offrir des bureaux à Paris aux entreprises Mayennaises. Seule une évaluation, réalisée par le Département dont certains chiffres ont été diffusés dans la presse, nous dit que l’opération est un succès. On imagine mal le Département venir nous dire l’inverse.
Pour le directeur du développement stratégique d’Actual, Pascal Huon, ces nouveaux bureaux s’installent dans la continuité du test réalisé à la tour Montparnasse. « C’est vraiment de l’innovation à la base, on croit à ça et on veut faire un truc sympa pour la Mayenne. Il y a eu une opportunité à la tour Montparnasse, on a testé et ça s’est fait. Et là, on a la volonté de le pérenniser parce que ça fonctionne, l’histoire elle s’est faite comme ça », affirme-t-il. Main dans la main, avec le Département, Actual se pose en co-constructeur du projet et espère remporter l’appel d’offres pour la gestion des lieux.
Pour avancer le succès de la première mouture du projet, le Département se base sur une étude de fréquentation, réalisée en interne en 2019. 7060 utilisateurs ont été accueillis dans la tour Montparnasse durant l’année 2019, pour 1922 réservations. Le Département n’a pas souhaité nous communiquer l’étude complète. Impossible donc de savoir si ces 7060 personnes sont des utilisateurs uniques ni de connaître la méthodologie de cette étude.
Cette étude ne fait pourtant pas office d’évaluation objective et indépendante de cet investissement qui est loin de satisfaire l’élu d’opposition Christian Briand : « le bilan est fait par les intéressés, je peux ne rien en dire moi. Il n’y a pas un organisme extérieur qui porte un jugement ou des comparaisons.
Ça pose un problème, quand un organisme porte son propre bilan, il s’arrange pour qu’il soit positif. C’est pour ça que j’aurai aimé que ce soit fait autrement », fustige-t-il, rappelant tout de même avoir voté pour le projet en commission permanente, «car la Mayenne a besoin d’un pied à terre à Paris, c’est important». Rappelons aussi que les prérogatives de développement économique sont celles des régions et non des départements, normalement spécialisés sur les questions sociales.
Des bureaux plus petits…pour peu d’économie
Ces chiffres de fréquentation justifient donc pour le Département d’engager 20 500 euros par mois d’argent public dans la prolongation de ce projet. Sur trois ans, l’investissement représente 738 000 euros, sans compter le coût de l’externalisation de la gestion des bureaux (accueil, ménage, etc.), dont l’appel d’offres n’a pas encore été attribué.
L’objectif de ce déménagement était de réduire la voilure, et par la même occasion, les coûts. En passant de 520 à 300 m2, le Département fait peu d’économies. Dans la tour Montparnasse, l’Espace M avait coûté, comme le Glob-journal le révélait, “près de 500 000 euros” sur 20 mois, soit 25 000 euros par mois… à peine plus cher que le loyer de ces nouveaux bureaux, plus petits de 200 m2. Rapporté au mètre carré, le prix est même plus élevé au Héron building (63€/m2) qu’à la tour Montparnasse (48€/m2).
Pour la conseillère départementale et sénatrice de la Mayenne, Elisabeth Doineau, si autant d’argent est investi dans ce projet, alors il faudra veiller à bien utiliser cet investissement. « Il faut être sobre. Quand on est capable de dépenser des sommes comme ça pour ce type de politique, il faut les mettre en perspectives avec les dépenses sociales et, en toute proportion gardée, avoir les mêmes dispositions pour les dépenses sociales que sur les compétences d’attractivité et du développement du département », met-elle en garde.
Un investissement pour faire rayonner la Mayenne
La Mayenne mise sur son image de marque depuis plusieurs années. Nouveau logo, campagne d’affichage, projets d’envergure comme l’Espace Mayenne à Laval, tout est bon pour faire rayonner le département, mais surtout, le faire connaître à la France entière. L’Espace M s’inscrit dans cette dynamique, car pour Olivier Richefou, Paris est l’endroit rêver pour faire rayonner le département de la Mayenne et Actual, l’acteur privilégié.
“Notre volonté, c’est de se dire qu’on nourrit l’attractivité de la Mayenne. Actual est un acteur à part entière du territoire, c’est la volonté de Samuel Tual d’être un acteur du territoire”, soutient M. Huon.
Mais Actual est une entreprise privée, pas un service public, alors forcément, ce projet sert aussi leurs intérêts. “Nous, on s’additionne au projet. On rencontre des gens indirectement, on aide aussi. On a une casquette d’entreprise mayennaise, par ce biais là on fait se rencontrer des gens, c’est un vase communiquant. Ça va nous aider, mais on permet aussi à des gens de se rencontrer, et ça ne se ferait pas autrement”, se réjouit Pascal Huon.
L’espace M serait donc profitable autant aux entreprises mayennaises qu’à Actual, qui se voit en architecte du dynamisme de la Mayenne. Car les bureaux ne déménagent pas seuls. Les bureaux d’Actual, situés au même étage que l’Espace M dans la tour Montparnasse, déménagent eux aussi au 16ème étage du Héron Building. Une situation de porosité bien réelle entre les activités privées d’Actual, et l’Espace M, par nature d’intérêt public.
Si le projet intéresse autant l’entreprise mayennaise, c’est qu’elle mise depuis quelques années sur les bureaux de co-working, comme Le Trèfle à Laval, un ensemble de bureaux partagé de 5000 m2 face à la gare.
Il peut paraître étonnant que la Mayenne finance, avec de l’argent public, un projet de bureaux partagés, exploité par une entreprise dont c’est normalement la spécialité et qui tire profit de cette proximité avec les usagers du monde économique.
Sera-t-il possible un jour de connaître les retombées de ce dispositif, censé accroître l’attractivité de la Mayenne ? “Indirectement peut-être que des emplois ont été créés, on ne sait pas, on ne sait pas ce que ces rencontres génèrent, mais ça génère surtout de la complaisance entre les acteurs, ils retrouvent une dynamique et ça renforce les liens pour le territoire”, soutient Pascal Huon.
Censé favoriser l’attractivité de la Mayenne, il sera en effet difficile de mesurer son impact direct sur l’emploi ou le dynamisme des entreprises. Est-ce alors un outil intéressant, et l’investissement vaut-il le coût ? Là encore, en l’absence d’études poussées, impossible de le savoir. Une chose est sure, c’est une opération gagnante pour Olivier Richefou et pour Actual. Le président du Département aura été celui qui a amené la Mayenne à Paris, avec tout le prestige qui va avec. Pour Actual, ils profiteront de leur proximité avec les entreprises mayennaises dans la capitale et ils disposent d’un espace de coworking tout frais payé dans leurs locaux parisiens. «Peut-être que ça rapporte à l’image du président du Département, rien n’est neutre, c’est une question d’image et de prestige, souligne le conseiller Christian Briand. Mais oui, il faut un pied à terre à Paris aux entreprises de la Mayenne», poursuit l’élu.
Si la part belle est donnée aux entreprises, on ne sait pas si le Département et les communes prévoient de prolonger leurs missions de service public dans la capitale. «Un espace comme ça devrait être plus proactif, c’est bien pour les entreprises, mais il pourrait avoir des actions plus dynamiques. Il faudrait quelqu’un qui soit sur place pour alimenter les besoins des Mayennais, sur les questions sociales par exemple, c’est quand même la première compétence du Département», pointe Elizabeth Doineau. «J’aurais aimé qu’il y ait plus de partenaires, y compris la Chambre de commerce et les communautés de communes», abonde Christian Briand.
Public et privé, un mélange des genres dans l’air du temps
Kevin Gernier est spécialiste des finances locales chez Transparency International. Son travail consiste à accompagner des collectivités locales vers plus de transparence et de déontologie. Pour lui, ce genre de projets où intérêts publics et privés s’entremêlent sont de plus en plus courant, mais ils impliquent une plus grande vigilance.
“Normalement, tout passe en délibération, si ça ne passe pas par là, c’est un souci, oui. Et les délibérations des sessions d’assemblée départementale sont retransmises en direct ou en différé”, explique-t-il. En Mayenne ce n’est pourtant pas le cas. Ce serait l’occasion pour les citoyens de connaître en toute transparence la manière dont est attribué l’argent du Département et d’être au courant des débats qui entourent ces dépenses. Dans le cas de l’Espace M, la question a été réglée à huis clos, en commission permanente, le “gouvernement” du Département. Tenus à l’écart, les élus du conseil départemental n’ont donc pas débattu du bien fondé de poursuivre ou non ce projet et n’ont pas pu apporter d’idées pour son fonctionnement et sa finalité.
Ce manque de délibération n’est d’ailleurs pas passé inaperçu auprès des élus au Département, comme Elizabeth Doineau. « Moi je serais très sensible à en discuter en session plénière, je verrais ça d’un œil favorable que chacun puisse y apporter ses idées. Un espace qui prolonge l’attractivité de la Mayenne sur Paris c’est intéressant, mais pas seulement pour les entreprises. Ce serait intéressant qu’il y ait beaucoup plus de transparence là dessus et qu’on en décide au même titre que les autres politiques publiques, ce serait enrichissant », souhaite-t-elle. Même constat pour Christian Briand, conseiller de l’opposition, qui se dit favorable au projet, mais pas dans la manière dont il est mené. « J’aurais aimé qu’il y ait plus de partenaires et qu’une étude soit réalisée pour définir le dimensionnement.Mais je dis aussi qu’il faut que la Mayenne ait un pied à terre à Paris, c’est important », répète-t-il.
L’exécutif n’a pas non plus daigné communiquer sur ce choix, sur ses projets et son ambition. Un communiqué de presse a simplement évoqué le déménagement au premier semestre 2021, à l’origine de quelques articles dans la presse locale. Et quand est-il des bureaux de la tour Montparnasse, dont le bail arrivait à échéance en décembre 2020 ?
Aucune délibération ne fait état d’une prolongation du bail dans la tour Montparnasse et pourtant, les bureaux sont toujours là. Enfin, alors que l’appel d’offres stipulait une prise des lieux dès le 1er janvier 2021 dans le Héron Building, pourquoi la date d’emménagement arrive-t-elle finalement en juin 2021 ?
“Avec un minimum de pédagogie, on peut expliquer les choix politiques qui sont faits, c’est aux élus de le faire, c’est leur job”, poursuit Kevin Gernier. Or, rien n’a été communiqué pour éclaircir ces éléments.
Qui en Mayenne connaît l’Espace M, son fonctionnement, son coût et son intérêt ? “Il y a peut-être un manque de communication”, concède Pascal Huon, tout en affirmant que le projet s’est fait en toute transparence, soulignant le recours à un appel d’offres.
Mais M. Huon considère surtout que le privé à toute sa place dans ce genre de projet. Plus “agile”, capable de se “déployer rapidement et de s’adapter”, le privé est exempt des lourdeurs administratives d’une collectivité, soutient-il. Au risque peut-être que les intérêts privés l’emportent sur l’intérêt général.
“La perte de contrôle sur l’argent public, c’est un vrai sujet, tout comme les partenariats publics privés. On constate que ça accroît les risques, ça brouille les frontières entre intérêt public et intérêts privés, qui vont recevoir des missions de délégations, et ça nécessite de faire encore plus attention à la déontologie”, tempère Kevin Gernier.
Si au conseil, tout le monde s’entend sur l’intérêt d’un tel dispositif, des questions demeurent, et la gestion opaque de ce dossier interroge, notamment à l’heure d’une défiance généralisée à l’égard des élus. Les leçons du passé n’ont, semblent-ils, pas été retenues, et pendant qu’Actual et M. Richefou se félicitent de faire « rayonner » la Mayenne, qu’en pensent les citoyens, représentés par l’ensemble des élus ? On ne leur a rien demandé.◼
Précisions
Pour cet article, notre journaliste Simon Mauvieux souhaitait discuter avec le président du conseil départemental, Olivier Richefou. Beaucoup de questions restent sans réponse et c’est notre rôle de média indépendant d’éclairer les lecteurs sur ce sujet qui les concerne. Cela fait aussi partie de la démarche journalistique, celle d’aller chercher le contradictoire et les nuances auprès des décideurs. Après plusieurs semaines de discussions avec le Département pour organiser une interview avec son Président, on nous a finalement indiqué qu’il ne souhaitait pas donner suite à nos sollicitations. Ce refus n’est satisfaisant ni pour nos lecteurs ni pour le département de la Mayenne. Nous ne cherchons pas la polémique stérile, mais tout simplement à décrypter des choix politiques qui concernent tous les Mayennais. Par ce refus de nous parler, c’est un fossé qui se creuse un peu plus, et ces décisions ne seront pas mieux comprises.
*L’espace M entre temps a été rebaptisé “M Paris” par le conseil départemental de la Mayenne
700 000 € pour l’Espace M à Paris, plus 1 200 000 € pour le Vendée Globe 2024 = presque 2 millions d’€ dans la com’ et pas d’argent pour satisfaire les revendications des agents de la Direction de la Solidarité du Conseil Départemental ! Et en plus, ces décisions ont été prises sans débat à l’Assemblée départementale !
En ces temps de disette budgétaire, le département a-t-il les moyens financiers de s’offrir ce luxe ?
On peut se demander si cette façon de gérer d’importants budgets publics sans explication, sans débats, sans évaluation transparente ne finit pas par être dommageable à l’image du département, ce qui irait complétement à l’opposé de l’effet voulu.
Il est également étonnant de lire dans cet article que le décideur public reste silencieux sur l’intérêt de cet important marché et que ce soit le bénéficiaire du marché qui le justifie. On imagine mal le bénéficiaire d’un marché public douter publiquement de son opportunité.
De même Ouest France publiait le 18/01/2018, c’est à dire en amont de cette location, un article ou Samuel Tual expliquait que la Mayenne avait des atouts et qu’il fallait les faire connaitre. Et un an plus tard c’est précisément son groupe qui signe justement un marché important avec le département et sur fond “d’attractivité” du département. Cela donne le sentiment que le marché était décidé bien avant d’être connu de tous et qu’il convenait, vu le nombre de zéros du montant, de préparer l’opinion publique.
Et que dire de cette location qui intervient 20 mois avant d’importants travaux ce qui laisse à penser que sans le département de la Mayenne et ses moyens financiers les locaux restaient dans cet intervalle de 20 mois “sur les bras” de leur propriétaire? Encore plus fort l’opération est présentée comme une sorte de dévouement des entreprises Mayennaises à la cause du département. La communication fait des miracles !
On se souvient que le directeur de la communication et de l’attractivité du département est passé de l’autre coté, c’est à dire qu’après accord sur une location d’un local (pour 500 000 €) à des fins de communication et d’attractivité, il a été embauché par le groupe propriétaire de ce local comme directeur de la communication.
Bref, dans toute cette histoire la limite entre les intérêts privés d’un groupe ou d’individus et l’intérêt général de la Mayenne et de ses habitants semble extrêmement floue.
L’attractivité étant une notion très difficile a évaluer, la pertinence d’y consacrer des moyens restera tout aussi difficile à évaluer, ce qui peut éventuellement permettre tout et n’importe quoi.
Dans certains domaines économiques il existe des réglementations sur le pantouflage (qui est une sorte de technique horticole consistant à arroser préventivement le terrain ou on envisage de se transplanter). Je ne sais pas si de telles règles existent au niveau des conseils départementaux, mais il faudrait peut-être y songer.