Avant ce n’était pas d’actualité et d’ailleurs cela paraissait inconcevable de penser comme cela. Après, c’était d’un seul coup envisageable et nécessaire, car la crise nous avait révélé des choses dans notre façon collective d’agir que l’on ne soupçonnait pas. Il fallait très vite inventer un « Monde d’après », « changer de paradigme », oser la décroissance, penser relocalisation, bref faire différemment… Et maintenant? Alors que le Covid reprend du poil de la bête, on ne sait plus trop dans quelle direction aller. Malgré tout, Fanche Rubion – Episode trois – nous dit à nouveau que « ça urge de changer de cap!… »
Un monde sous contrôle?
par Fanche Rubion
L’humain, bien qu’inscrit dans la longue évolution du vivant, a cherché à s’affranchir de cette lignée. Il a créé une distinction entre une seule espèce, la sienne, et tout le reste du vivant, qu’il a appelé la nature. Afin de s’émanciper de contingences matérielles, il a décidé de soumettre cette nature, considérant qu’il s’agissait là d’un droit inhérent à la supériorité de sa condition humaine. Cette logique de domination asservit même d’autres humains. Pour assouvir leur soif d’enrichissement et de pouvoir, une poignée d’individus s’accapare insatiablement les richesses prodiguées par l’environnement ou produites par le travail.
L’émergence de la pandémie de Covid-19 a braqué le projecteur sur la folie de notre rapport à l’ensemble du vivant.
À la question « quels ressorts communs existe-t-il entre la survenue des zoonoses, et les élevages intensifs? », une double réponse est apparue : l’exploitation de la matière vivante et la recherche obsessionnelle de profits, deux phénomènes également destructeurs de biodiversité. Or si nous, les humains, ne voulons pas disparaître, il y a urgence à changer ces façons d’être au monde. Car le Covid-19 inaugure d’autres désastres sanitaires à venir. Nous sommes sur une poudrière, un changement de cap radical est urgent!
Changer notre regard sur le monde
Certains penseurs de l’effondrement, comme Pablo Servigne, ou les tenants de « l’écologie profonde », nous enjoignent à nous relier aux autres formes vivantes plutôt qu’à les considérer comme des objets à notre service. Mais concrètement, comment opère-t’on ce changement?
À chacun son chemin, certainement… Personnellement, je pars de loin! J’ai grandi pétrie de ce sentiment de la supériorité et de l’invincibilité humaines. Gamine, j’ai vu l’homme marcher sur la lune, j’en ai acquis la conviction que le génie humain était sans limit. Ça collait bien avec la culture chrétienne qui nous certifiait que la création, confiée aux humains par Dieu, était à leur service.
J’en suis aujourd’hui convaincue, la question du rapport des humains aux autres formes de vie est la clé pour imaginer un avenir heureux à l’humanité. Exit la relation de subordination sujet/objet. Sur cette voie de la rencontre avec d’autres formes de vivants, il nous faut apprendre. Apprendre en observant ; laisser la fascination nous emplir, et laisser monter le désir de vivre AVEC les autres vivants. Apprendre des peuples chez qui le mot « nature » n’a pas eu à être inventé, parce qu’ils n’en ont pas créé une entité dissociée d’eux-mêmes. Apprendre, aussi, des scientifiques, pour mieux comprendre et mieux protéger… Vivement que tout cela fasse partie des programmes scolaires!
Si un changement de regard modifie nos comportements, certains mots pourraient se gonfler d’un sens renouvelé :
- « Sacralisation », pour en finir avec le je-men-foutisme coupable de l’épuisement des sols, du massacre des animaux, de la pollution de l’air, des rivières et des océans, des maladies, etc., l’écrivaine Nancy Huston, dans une tribune publiée dans Reporterre le 11 avril 2020, suggère de se laisser inspirer par les Premières Nations qui sacralisent les éléments comme le soleil ou le vent, et chaque être vivant.
- « Humilité » . Les humains, présomptueux apprentis sorciers de la biodiversité, se pensent aptes à gérer le vivant. Mais le vivant, qui n’est pas une machine, n’est pas prédictible. Il invente, nous surprend et nous rappelle que nos chiffres ne sont pas infaillibles. Affirmation joliment développée par Bruno David, dans l’épisode du 14 avril 2020 , « biodiversité, le saut dans l’inconnu », premier podcast de la série « Pour que nature vive« , diffusée par le Museum national d’histoire naturelle, dont il est le Président.
Stop à la domination de l’ordre néolibéral mondialisé
Animaux, lacs, forêts, montagnes…. tout est englouti dans la déchiqueteuse du profit. Ce système économique se nourrit d’une consommation effrénée. Seul le rejet du dogme croissance/consommation permettra de préserver la vie. Et méfions-nous des solutions techno-dingues, faisant miroiter une croissance verte mais consommatrice de biens non renouvelables!
La crise du covid a souligné l’absurdité des échanges quotidiens sur des grandes routes commerciales mondiales, qui véhiculent des virus, qui sont responsables d’émissions de CO2, et qui scellent notre dépendance aux productions à bas coûts dans des pays éloignés. Les vertus d’une relocalisation de nos activités sont multiples et évidentes, n’attendons pas! Il ne s’agit pas de s’enfermer et de refuser les échanges avec d’autres peuples, mais d’en finir avec les déséquilibres écologiques, sociaux et économiques infligés par notre mode de développement.
Mais…. comment nourrir l’humanité?
L’enjeu n’est pas mince : nourrir un nombre croissant d’êtres humains. Pour ce faire, nous devons orienter la production agricole vers une consommation essentiellement végétale, indique le rapport du GIEC sur l’usage des terres paru en août 2019. En outre, il nous faut produire de manière à préserver la santé des agriculteurs, des consommateurs et des écosystèmes.
Or, le modèle agricole productiviste génère des cercles vicieux: appauvrissement génétique des plantes cultivées et des animaux d’élevage, entraînant une vulnérabilité accrue aux maladies, l’utilisation de pesticides et d’antibiotiques pour y faire face, le développement de nouvelles résistances aux maladies et aux virus, ….. ou encore monocultures épuisant les sols; intrants pour les enrichir…. Ces systèmes déséquilibrés ignorent tout des bienfaits de la biodiversité et des mérites de l’agroécologie.
Adoptons des politiques publiques intelligentes
Aucune nouvelle autorisation ne doit être accordée à des projets d’élevage industriel. Accompagnons les producteurs vers des modes de production restaurateurs de biodiversité et créateurs d’emplois. C’est à ça que doit servir l’argent public. (à l’inverse, en Bretagne, le Conseil régional a choisi de subventionner les élevages industriels, à hauteur de 50 000 euros par projet. Combien de fermes paysannes pourrait-on aider avec les millions d’euros de l’enveloppe réservée au « plan volaille » breton?). 5 millions pour les élevages et 20 millions pour un projet d’abattoir, pour le moment suspendu… L’approvisionnement dans des filières de production locales bio et le soutien à une alimentation plus végétale dans la restauration collective font également partie des leviers que pourraient actionner les collectivités territoriales.
« Laissons-nous gagner… »
Laissons-nous gagner par le mouvement de résistance et de désobéissance à un système qui nous tue. Mettons en place nos alternatives, construisons des solidarités.
Des élus s’engagent dans ce mouvement. Par exemple, suite à la décision du maire de Langouet (Ille et Vilaine), des arrêtés contre les épandages de pesticides à proximité des habitations ont été signés dans toute la France au cours du 2ème semestre 2019. De son côté, le maire de Moëlan, en Bretagne « a permis de mettre en culture des parcelles agricoles privées laissées à l’abandon », créant ainsi des emplois et renforçant l’autonomie alimentaire de la commune. Jérôme Le Boursicot, l’écrit dans Reporterre (27 janvier 2020), « Une commune bretonne impose l’agriculture bio et paysanne à 400 propriétaires ». C’est une belle réussite, même s’il faut veiller à laisser aussi des territoires sauvages….
À côté des élus, des citoyens de plus en plus nombreux rejoignent des collectifs de désobéissance pour la préservation de la biodiversité et pour la transition écologique.
Pour illustrer la résistance, citons les travaux communs de paysans, d’associations, et de chercheurs. Dans le secteur de l’élevage, où la diversité des races est essentielle pour s’adapter aux modifications environnementales à venir, Sophie Chapelle a recensé près de 70 initiatives destinées à préserver des races, dans un article paru dans bastamag le 25 janvier 2016 intitulé « Comment les multinationales font main basse sur la reproduction animale »
Et la solidarité a fait ses preuves pendant la crise du covid 19 : on a vu se multiplier des réseaux d’approvisionnement de proximité, pour le plus grand bien des paysans producteurs, et des consommateurs. Pérennisons nos nouveaux fonctionnements!
Le temps de la marchandisation de la planète et du vivant est révolu. Laissons tomber nos chimères sur la toute puissance humaine, nous ne pouvons vivre « hors sol ». S’il n’y a pas de monde vivant, il n’y a pas non plus d’humain.
La pandémie covid 19 doit provoquer une refonte de notre rapport à la terre. « Il n’est pas trop tard pour rester vivant ! » Une bien jolie phrase glanée au détours du jingle de l’émission « Pour que nature vive » du Museum national d’histoire naturelle
Textes et dessins sont de Fanche Rubion – Rennes 2020