Quand un élu s’autorise jusqu’à 500 000€ de commandes publiques 🔓

l’écharpe tricolore symbole de l'élu et de la République

Engager des dépenses pour un maire ou un président, c’est aussi engager la collectivité et donc l’ensemble de la population. En portant l’écharpe tricolore de la République, le maire est responsable tant devant lui-même que devant ses électeurs à qui il peut être amené à rendre des comptes. Responsable et même peut-être coupable, l’élu le sera aussi devant la justice si l’attention des juges est attirée par des administrés. Il est donc responsable également devant ceux qui n’ont pas voté pour lui et se doit donc d’administrer au nom de l’intérêt général.


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Par Thomas H.


la belle lettre L sur leglob-journal

La rigueur dans la conduite de la démocratie locale ne peut se permettre d’un à peu près qui finira par délégitimer celui ou celle pour qui les électeurs se sont prononcés.

Prenons ce maire qui s’est autorisé à pouvoir engager des commandes publiques à hauteur de 500 000 € maximum, sans demander l’avis du conseil municipal, alors que sur les mandats précédents, le seuil était de 50 000 € soit dix fois moins. (CF sur le lien page 2). Une délibération du 10 mars 2022 lui a en effet donné « délégation pour engager la commune dans le cadre de marchés public à hauteur de 215 000 € HT pour les marchés de service et de fourniture et de 500 000 € HT maximum pour les marchés de travaux publics » . (Cf : RAA n°11 page 15).

Une délibération en principe « exceptionnelle » mais faite pour durer, sauf révocation de la décision municipale en cours de mandat et sur proposition du maire, ce qui est fort peu probable… Autrement dit, cette délibération tiendra jusqu’en 2026, date de la fin du mandat.

Mais qu’est-ce qui peut pousser un maire à demander et obtenir une telle délibération ?

Une certaine folie des grandeurs ? Un souci extrême d’efficacité libérale ? Avoir les coudées franches ? Un besoin d’optimisation du temps ? Une envie de passer outre les filtres de la démocratie locale qui suppose informations en temps utiles sur la décision engageant l’argent public, mais aussi des réunions et des débats, bref des compromis à trouver et des décisions concertées pour finalement aboutir au vote en séance publique ?

Comme il s’agit de pouvoirs délégués au maire, ce dernier doit tout de même rendre compte de ces décisions à chacune des réunions obligatoires du conseil municipal. Ce compte rendu doit être suffisamment explicite pour que soit remplie cette obligation d’informer tous les élus de l’assemblée communale. Dans l’exemple qui va suivre, ce ne semble pas être le cas si on se réfère au verbatim de la session publique.

Et ce n’est pas un cas isolé, si l’on en croit une association qui scrute ce qui se passe dans les communes françaises. « Moyens matériels et financiers réduits, droits limités en matière de communication, expression réduite lors des séances des conseils municipaux ou dans les bulletins… Sur la base d’une enquête auprès de 500 conseillers municipaux minoritaires, l’Association nationale des élus locaux d’opposition (AELO) dénonce les carences des institutions locales et le risque d' »hégémonie » politique qu’elles font courir. Le malaise des élus d’opposition est également pointé. » peut-on lire sur le site de cette association qui compile les griefs, mais aide aussi les élus qui se trouvent dans la « minorité » à mieux vivre leur mandat.


« 147 000 € de travaux de voirie, c’est énorme ! »


« Nous avons été informés d’une dépense de voirie de 147 000 € sans qu’aucune commission n’ait examiné ce dossier ! » . Cette phrase a été lancée lors d’une séance du conseil municipal de L’Huisserie en ce début d’été 2024. Dans cette ville, la « minorité » qui réfute le terme d’opposition comme elle aime à le rappeler souligne et comptabilise ce qu’elle appelle « les dysfonctionnements de l’équipe majoritaire«  emmenée par le maire de la ville depuis maintenant quatre ans. Elle édite d’ailleurs pour ce faire un bulletin périodique d’informations pour dénoncer « les faits alternatifs » utilisés par la majorité. Distribués dans les boites aux lettres des habitants de la commune, le quatre pages entend « rétablir la vérité » …

« 147 000 € de travaux de voirie, c’est énorme ! » lance donc au cours du conseil municipal et à l’adresse du premier magistrat de la ville de L’Huisserie, celui qui a été lui aussi en responsabilité de cette commune et qui se retrouve à présent chef de file de la « minorité » , et donc loin des leviers du pouvoir. Ce montant à six chiffres est une somme qui est contenue dans ce que le jargon du code des collectivités locales appelle le Mapa ou « marché à procédure adaptée : une procédure d’appels d’offre de marché public qui permet à chaque acheteur public de définir ses propres règles dans le respect des principes généraux de la commande publique (égalité de traitement des candidats, transparence des procédures, égalité d’accès à la commande publique) » selon la Direction de l’information légale et administrative dépendant du Premier ministre. Le Mapa suppose donc un certain nombre de règles qui ne supportent pas l’impréparation ou l’omission.


La place centrale de L'huisserie avec sa mairie en avril 2023 - © leglob-journal.fr

La place centrale de L’huisserie avec sa mairie en avril 2023 – © leglob-journal.fr

Au cours de ce conseil municipal ordinaire de juillet 2024, on a pu assisté à un long échange pour demander des explications à propos de ce dossier de commande de travaux publics engagés donc à hauteur de 147 000€. Il est intéressant de se rendre comment la démocratie locale et participative, – celle-la même que l’AELO appelle de ses vœux -, est conduite.

« Tous ces travaux, c’est la commission Travaux qui doit en décider ! Quels sont les élus qui ont travaillé dessus ? Ça n’a pas été vu en commission et ça c’est déplorable ! martèle aussitôt le n°1 de la minorité… Une des cinq élus, colistière de l’ex-maire de la commune qui vient de s’exprimer prend aussi la parole pour ajouter : « On ne voit rien dans les commissions, ça sert à rien, on n’y voit rien… En commission, on ne travaille pas ! … » avance-t-elle ouvrant la porte sur ce qui devrait être le but de la commission, à savoir l’échange et la concertation avec toutes les composantes du conseil municipal.

Le maire de la commune de la première couronne de Laval se tait, laissant un représentant de sa majorité, transfuge de l’équipe municipale précédente, s’exprimer pour admettre et reconnaître que ce dossier avait « été travaillé entre le directeur des services techniques et le bureau municipal » .


L’ex-maire de L’Huisserie – « La mise en œuvre du budget, c’est vraiment l’affaire des commissions y compris pour les travaux […] ce n’est pas que le directeur des services technique qui dans son bureau organise les marchés… Ce n’est pas un mode de fonctionnement d’un conseil municipal normal ! »


« Les routes, c’est un sujet qui nous intéresse tous, reprend alors dans une troisième intervention un autre élu de la minorité comme pour, un peu plus, enfoncer le clou abordant le problème sous un autre angle… Que ce soit voté dans les budgets, ce n’est pas ce qu’on remet en cause, c’est simplement de se dire que cela aurait été bien d’en discuter en commission. Après tout, ce serait normal, non ? Il s’agit d’une somme importante : 147 000 € … Que ce soit voté dans le budget, ce n’est le problème, encore une fois, mais il faut que l’on sache au moins quels sont les travaux qui vont être entrepris parce que là on ne sait pas !… « 

« C’est de l’argent public quoi ! Quels sont les travaux qui vont être réalisés ? » relance le n°1 de la minorité

Le maire sort de son silence et affirme : « vous avez eu le détail au moment du vote du budget dans la partie « Investissement » . C’était assez bien détaillé, cette partie travaux de voirie…« 


« Cela n’a rien d’irrégulier !  »


« Monsieur le maire, si vous raisonnez comme ça, cela veut dire qu’on vote le budget et que le conseil d’après c’est terminé … L’élu de la minorité insiste : la mise en œuvre du budget c’est vraiment l’affaire des commissions y compris pour les travaux : il y a des choix à faire, des choix techniques, les élus ont quand même leur mot à dire ! Ce n’est pas que le directeur des services techniques qui dans son bureau organise les marchés… Ce n’est pas un mode de fonctionnement d’un conseil municipal normal ! » tempête-t-il

Le maire reprend la parole en tentant de justifier le pourquoi du comment : « Écoutez… je vous suis et à chacune des commissions où nous mettons des dossiers sur la table, où on vous demande votre avis, vous n’en avez pas… La réponse que vous faites c’est : « on va se réunir entre nous et on vous donnera notre avis plus tard » …

« Monsieur le maire, vous croyez que c’est la bonne excuse ça ? … Donnez-nous plutôt les documents avant la commission et projetez donc les documents en commission » …

Le maire : « Cela n’a rien d’irrégulier ! » …

« Si ! rétorque le chef de file de la minorité « C’est complètement anormal ! »


« Dysfonctionnement du conseil municipal »


Et le maire de renchérir : « Le budget est voté ! Dans le budget, c’est précisé… il n’est pas fixé comme ça au hasard. 147 000 € de travaux de voirie, ce montant a été travaillé au préalable... »

« Mais pas en commission ! lance à nouveau l’une des trois élus qui s’était déjà manifestée au tout début : en commission, je vous le redis, on ne travaille pas!… On nous met devant le fait accompli ! On l’a déjà dit x fois... » dit-elle un peu excédée.

« Vous nous dites que c’est réfléchi, mais par qui ? Un élu et le directeur des services techniques… C’est un dysfonctionnement du conseil municipal dans les commissions » avance alors l’ancien n°1 de la commune…

« C’est votre avis ! » rétorque le maire actuel.

« Non, non, non !… Et d’ailleurs le montant de 147 000€ ce n’est pas celui qui est dans le Mapa, monsieur le maire. Dans le Mapa, c’est 147 777, 98 précisément … Pourquoi ce n’est pas la même chose ? » questionne l’ancien maire…

On perçoit un silence et de la gène aussi … Puis le maire reprend la parole et déclare simplement : « D’autres questions ? » . Et le conseil passe aux autres dossiers inscrits à l’ordre du jour.

« La démocratie locale est menacée par des maires autocrates ! » dénonce l’association nationale des élus locaux d’opposition. Ils « prennent des décisions de leur propre chef, engagent l’avenir et les finances de la commune sans consulter leur conseil municipal. Ils agissent comme si la mairie et la ville dont ils sont élus, étaient devenues leur baronnie et les administrés leurs sujets. »

Dans une lettre ouverte au président de la République plusieurs centaines d’élus ont écrit que « les pouvoirs accordés aux maires, ainsi que le non-contrôle de l’application des lois, leur permettent de gouverner seul. Et nombreux sont ceux qui abusent de ce pouvoir. Dans un grand nombre de communes, des maires inexpérimentés, peu scrupuleux ou grisés par le pouvoir, se permettent une lecture de la démocratie toute relative qui s’apparente à une autocratie. » Qu’il soit maire ou président de collectivité, la Mayenne, hélas n’y échappe pas… ⬛


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