Des coquelicots de plus en plus rares en raison du développement de l’ agriculture intensive – ©️ leglob-journal.fr
Retour sur la dernière crise agricole qui a secoué le pays. Elle est déjà loin, mais certains panneaux d’entrée dans les communes françaises qui avaient été dévissés et retournés en prélude des manifestations, – une façon pour de monde agricole de dire qu’on marchait sur la tête -, n’ont pas tous été remis à l’endroit… La crise est passée mais le malaise demeure, car la société civile n’a pas été consultée par le gouvernement de l’époque, à présent démissionnaire depuis la dissolution, estime Jean-Marc Lalloz, notre contributeur qui signe cette tribune sur leglob-journal.fr
Tribune
Par Jean-Marc Lalloz
Notre président et son gouvernement sont allés à Canossa – l’expression « aller à Canossa » trouve son origine en 1077 dans le voyage de pénitence de l’Empereur germanique auprès du Pape dans la vile italienne de Canossa -, pour recevoir puis ensuite appliquer le catalogue d’exigences du fer de lance du lobby agro-chimio-alimentaire, soit le syndicat agricole majoritaire qui a claironné une grande victoire. Or aucune autre structure de la société civile que les seuls syndicats productivistes ne fut consultée par l’exécutif, si ce n’est a posteriori, traduisant une forme de mépris démocratique de la part de ce gouvernement.
Cette situation a été le résultat de décennies de manque de courage et d’aveuglement des politiques sur les conséquences négatives induites par six décennies de modèle agricole productiviste, à la fois sur la situation des agriculteurs et le risque de « printemps silencieux » souligné par tous les lanceurs d’alerte de l’histoire écologique de Rachel Carlson à René Dumont via le rapport Meadows… et tant d’autres !
Pourtant, comme les agriculteurs qui en sont les indicateurs, la société est aussi largement concernée par les mêmes sujets du quotidien tels les revenus, la concurrence déloyale, la réglementation complexe et souvent contradictoire conséquence de surenchères législatives. Des mesures tendant à améliorer la situation sont alors bien sûr à développer et d’ordre régalien s’il en est.
Le débat concernant directement les agriculteurs doit alors porter sur le choix du modèle agricole proposé aux agriculteurs et non sur l’Agriculture, concept incontournable pour remplir la mission régalienne alimentaire confiée par la Nation aux agriculteurs qui doit s’inscrire avec les autres secteurs économiques dans le maintien de la biodiversité, des sols et de la lutte contre le dérèglement climatique, objectif majeur s’il en est.
« La persistance d’un modèle économique agricole productiviste responsable majeur de la généralisation et de l’amplification de l’empoisonnement de tous les écosystèmes planétaires et donc du vivant par une « pandémie chimique », peste moderne : les pesticides, au mépris de la biodiversité, des sols et de la santé. » – Jean-Marc Lalloz
Pour satisfaire aux injonctions du lobby agricole productiviste soucieux avant tout de conserver sa seule position hégémonique sous couvert de protéger les agriculteurs, le gouvernement a choisi l’écologie comme bouc émissaire/rideau de fumée :
- dérégulations environnementales précipitées et contre productives (haies, pesticides, bassines, zones humides, financiarisation des terres …) :
- mesures générant l’inquiétude sur la démocratie environnementale (que sont loin les notions d’Assemblée Citoyenne, de Grenelle de l’environnement !)
- désarmement des moyens ou vassalisation des entités publiques de contrôle (OFB, ONF DDT, énergie atomique).
- atteinte à la libre expression (projet de fusion des médias publics et suppression des émissions soi-disant éco-anxiogènes).
- instrumentalisation du droit en raccourcissant les délais de recours, manipulant certaines normes, introduisant la présomption d’urgence, d’intérêt majeur …
- rétablissement de l’impunité en matière de destructions des espèces protégées nous ramenant aux années 70 et la première avancée majeure obtenue alors pour les rapaces par le FIR (Fond d’intervention pour les rapaces)
Enfin, point d’orgue de ses décisions, ce gouvernement espère sans doute, grâce à un camouflage technique d’indicateurs inappropriés, permettre la persistance d’un modèle économique agricole productiviste responsable majeur, entre autres conséquences, de la généralisation et de l’amplification de l’empoisonnement de tous les écosystèmes planétaires et donc du vivant par une « pandémie chimique », peste moderne : les pesticides, au mépris de la biodiversité, des sols et de la santé. Le tout sans aucune réelle promotion des alternatives connues et incontournables en particulier l’agroécologie.
Ces actions constituent une erreur gravissime, un contresens inconcevable en l’état des connaissances et, de facto, non pas simplement une régression environnementale mais ne faudrait-il pas plutôt parler d’agression environnementale, voire d’incitation écocidaire ?
A qui fera-t-on croire que ces manipulations, cette impunité, et au final cet empoisonnement, au-delà de quelques irresponsables inconscients, puissent être considérés par la très grande majorité des agriculteurs comme des avancées susceptibles de contribuer à améliorer leurs revenus, leur image et leur reconnaissance par la société ? c’est faire injure à leur fonction et à leur conscience de citoyen !
« Ce modèle est fondé sur l’archaïque conception anthropocentrée et mortifère de domination de l’Homme sur la Nature et qu’il y aurait incompatibilité entre l’économie et l’écologie, l’économie devant donc imposer sa primauté à l’écologie. » – Jean-Marc Lalloz
Considérer alors la somme des mesures annoncées et en cours de discussion (Loi d’orientation agricole – LOA), comme la victoire nécessaire de l’agriculture et de l’économie sur l’écologie pour améliorer la situation des agriculteurs et satisfaire le concept-valise de « souveraineté alimentaire », ne peut refléter que la satisfaction prétentieuse, irresponsable et coupable du seul lobby ardent défenseur du modèle agricole productiviste – et non de l’agriculture. Ce lobby tire ses profits en situation de quasi-monopole, en premier lieu à partir des agriculteurs qui sont ses adhérents… parfois, mais surtout ses clients contraints, et, en bout de chaine, des consommateurs. Le président de la FNSEA préside un de ces groupes… La fabrique de l’ignorance semble donc tourner à plein.
Or ce modèle est fondé sur l’archaïque conception anthropocentrée et mortifère de domination de l’Homme sur la Nature et qu’il y aurait incompatibilité entre l’économie et l’écologie, l’économie devant donc imposer sa primauté à l’écologie. Or par maltraitance continuelle des écosystèmes et aussi des agriculteurs auxquels il a été imposé, cet archaïsme, les ruine et nuit aux fonctions fondamentales des écosystèmes que sont la biodiversité, les sols, le climat et la santé. Or ces écosystèmes garants des enjeux du futur constituent la branche sur laquelle nous sommes TOUS assis et sont le socle et l’écrin de toutes les activités économiques et sociétales humaines. L’intérêt public majeur n’est-il pas là prioritairement, tout particulièrement la biodiversité et les sols vivants dont dépend l’agriculture et donc la souveraineté alimentaire ?
Pourtant, des voies de sorties de crises et des alternatives au modèle productiviste existent et sont proposées par des scientifiques, des institutions, des acteurs agricoles, des chercheurs et bien d’autres… Ainsi :
- La demande de dialogue de la société civile sans ignorer la complexité des interactions sociales, géostratégiques, culturelles, sanitaires, environnementales et climatiques pour répondre aux enjeux alimentaires à venir pour l’Humanité d’ici 2100 :
- la biodiversité fondamentale et la réconciliation écologie/économie,
- nourrir le monde sans détruire la planète ni la santé des populations,
- dénonciation des chimères techno-solutionnistes,
- nécessité impérative de sols vivants pour les 10% arables des terres émergées (au moins 50% déjà détruits), –place de l’élevage, l’importance de l’EAU…
- et, enfin, « en finir avec ce schéma productiviste » vers un modèle agricole redéfini et respectueux de la Nature.
Beau programme !!
Un gouvernement lucide devrait être informé et conscient de cette loi d’airain de la biodiversité et des sols intérêt public majeur pour l’agriculture – et non l’inverse – pour espérer atteindre la souveraineté alimentaire. Or on assiste à une persistance des actions de destruction. Il l’encourage même par ses décisions en totale contradiction avec l’intérêt général.
Notre gouvernement a donc cassé le thermomètre et perdu sa boussole ! Or la charrue sans bœufs ni sol n’a jamais nourri personne. ◼️