Covid : Trop de questions dans les EHPAD – Par Christian Roger 🔓

Une personne âgée se fait vacciner

NosAnciens

Dans les EHPAD, on commence à esquisser des mesures de retour à une vie plus « normale », en raison de la vaccination massive des résidents. Tentons un premier bilan de cette crise de la COVID-19 qui, depuis maintenant un an, les a quasiment privé de toutes leurs relations familiales et amicales. Christian Roger fait le froid constat des nombreuses interrogations que les familles se sont posées tout au long de cette période où « la fin de vie » a été presque une « privation de vie »…

Enfermés dans une solitude déresponsabilisante

Par Christian Roger


La belle lettre U sur leglob-journal

Un an « déjà » de terrible solitude imposée, pour ces résidents par exemple, une centaine dans cet EHPAD en Mayenne dont la direction a connu plusieurs changements à sa tête et gère aussi deux autres EHPAD. Comme partout en France, « les vieux en établissement » ont été les premiers confinés. Et les premiers touchés.

Nos anciens se sont donc vus imposer, dès le début de la crise, plusieurs semaines de suppression complète (une dizaine de semaines) puis des restrictions drastiques (plusieurs mois) de leurs interactions sociales : un seul contact par famille et par semaine, de trente minute au maximum avec le même message, lancinant , envoyé périodiquement aux familles, par la direction, pendant des mois : « le comité de pilotage de la cellule de Soin COVID de la direction a décidé de maintenir l’organisation actuelle … Il s’agit de visites de 30 mn., sur rendez-vous et surveillées, dans un lieu dédié de 11h à 17h. »

Notons que si la décision de confiner les EHPAD a été prise en deux jours, en mars 2020, il semble en être tout autre pour desserrer l’étau aujourd’hui. Le 1er ministre parle de « prise de conscience », mais demande encore du temps pour engager les concertations. On s’étonne que celles-ci n’aient pas été anticipées. Pourquoi ne pas avoir prévu un retour à la quasi normale, deux semaines après la fin de la deuxième vaccination, immunisant les résidents ? Une fois de plus, difficile de sortir du régime d’exception, difficile de retourner à la vie d’avant, une fois les pratiques de restriction des libertés ancrées dans le quotidien.

Depuis 2015, entre états d’urgence terroriste et sanitaires, nous avons passé 70 % de notre temps en état d’urgence.  Selon Benjamin Franklin : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux. ». Quand on est au crépuscule de sa vie, chaque jour de liberté retrouvée compte. Plus tôt la réadaptation sociale commence, plus la résilience psychologique est facilitée. Rendre visite à un proche âgé contribue à renouer et/ou maintenir les liens familiaux et son bien-être.


Une lente dégradation de l’état psychologique


Effectivement, les anciens des EHPAD ont déjà payé, quantitativement, un très lourd tribu, dans un silence assez assourdissant. Un tiers des décès dus à la COVID-19 viennent des EHPAD. Mais au delà de ce décompte lugubre, qui n’était d’ailleurs pas pris en compte au début de la pandémie, un autre indicateur, manque cruellement : la dégradation de l’état psychologique de ceux qui ont eu « la chance » d’échapper au COVID ou de ceux qui sont asymptomatiques. Ce confinement sensoriel, cette mise à l’arrêt de la pensée, ces absences de sollicitations de la mémoire, ces ruptures des échanges conduisent inévitablement au syndrome de glissement, autrement dit à la descente aux enfers pour ces personnes. Elle a fait son œuvre, chez beaucoup. « Si on laisse les gens trop longtemps en isolement, il y aura des anomalies cérébrales qui vont durer… Il faudra travailler beaucoup plus sur le long terme » estime Boris Cyrulnik, le neuropsychiatre. Qu’est-ce que le long terme pour des personnes dont la moyenne d’âge est de 87 ans et qui viennent d’endurer des agressions psychiques aussi cruelles ? Peu de résilience à donc espérer pour beaucoup, tellement la chute a été abyssale et date déjà : un an enfermé pour une personne âgée, diront certains, c’est l’équivalent de 10 dix ans de vie. Rappelons un chiffre, l’espérance de vie moyenne, en EHPAD, est de trois ans, ceci pouvant peut-être expliquer, en partie, cela.


Un déséquilibre entre social et sanitaire?


Lors du premier confinement, en mars 2020, les besoins sociaux ont été relégués au second plan. Peu préparés, les établissements ont paré au plus urgent, et on peut le comprendre. Quelle ne fut pas, cependant, la stupeur de certaines familles, quand, à nouveau, elles ont pu rencontrer leur proche, physiquement : totalement amaigri, incapable d’articuler et évidemment complètement absent mentalement. Entre impératifs sanitaires et nécessité vitale de continuer à répondre aux besoins sociaux, le choix a été vite tranché dans certains établissement en Mayenne comme ailleurs : mise sous cloche immédiate et au long court. Entendu de la part d’une famille qui s’adressait à la direction d’un EHPAD mayennais : « vous êtes dans une gestion de stock !». Le mot est terrible mais n’est pas éloigné d’une certaine réalité.

Mais comment protéger les personnes âgées sans les isoler ? En novembre 2020, lors du deuxième confinement, cette problématique est devenue presqu’une injonction, au plus haut de l’état. Fort de la première expérience, les directeurs d’EHPAD et la ministre elle-même ont mis en avant cette priorité, en en faisant un vrai leitmotiv. « Je m’adresse directement aux résidents. A déclaré la Ministre chargée de l’Autonomie. Nous savons qu’avec le risque sanitaire l’isolement est un deuxième risque majeur et, c’est celui qui, d’ailleurs, vous redoutez parfois le plus que vous viviez en établissement ou à domicile. Le président a dit : il était dur d’avoir 20 ans … Je me permets d’ajouter il est également dur d’avoir quatre fois vingt ans en 2020. Il faut donc protéger sans isoler, selon les mots du président de la République… » .


Femme en maison de retraite, les mains croisées
Femme en maison de retraite, les mains croisées…

Une réponse plus adaptée aux besoins sociaux était donc légitimement attendue par les familles. Mais force a été de constater que la dissonance a été de plus en plus criante entre ces belles déclarations d’intentions et les réalités de terrain. Chassez le protocole sanitaire et il revient au galop ! Une nouvelle fois, il a balayé les préoccupations sociales et a été imposé uniformément à toutes et tous : visite de trente minutes ou communication par ordinateur, prise de rendez-vous, salle dédiée, etc. Prenons un seul cas, pour expliquer l’absurdité de telles mesures uniformes, celui d’une personne déclarée asymptomatique, donc à priori protégée mais dont la surdité profonde ne permet un échange à minima que par lecture labiale. Impossibilité donc de communiquer avec elle par téléphone, ou par visio et en face à face avec le masque.

Sans faire entrer de tiers dans l’EHPAD, il aurait donc été possible d’autoriser les familles des résidents ayant préalablement contracté le virus, asymptomatiques donc, à accompagner leur parent en extérieur, dans la cour, sous un barnum, par exemple. Bref, de faire du sur-mesure et non du prêt-à-porter ; le nombre de journées clémentes cet hiver, notamment les week-end, aurait ainsi permis de conserver un lien minimal.

L’application stricte de protocoles annihile toute opportunité de différenciation, toute prise en compte des particularismes qui sont pourtant le propre de l’être humain. Le comité d’éthique a dit que si les mesures de protection sont indispensables, « elles doivent être temporalisées donc limitées dans le temps, individualisées, donc adaptées à la situation de chaque personne et proportionnelle ». Cela n’a absolument pas été le cas. Au contraire, se cachant derrière un principe d’égalitarisme entre résidents, certaines directions ont imposé des mesures uniques pour ne pas dire iniques aux résidents.

Si le principe du protocole est parfaitement adapté pour soigner une maladie du corps, un cancer par exemple, cette gestion aveugle, par le haut, s’avère totalement sinistre quand il s’agit de soigner les esprits. « Arrêtez, svp de gérer des flux, affinez vos approches en fonction des résidents » interpelle une famille. L’addition de décisions bureaucratiques en cascade a entraîné un verrouillage complet et une rigidité excessive sur le terrain. Verrouillage local renforcé par certains décisionnaires qui se sont octroyé des marges accrues de sécurité par rapport au cadre supérieur déjà strict qui leur était soumis. Les plus zélés, n’ont ainsi pas hésité à mettre « leurs » résidents sous cloche. Par « souci de protection », protection de leurs résidents, pas sur le plan psychologique tout au moins ? Notons que d’autres ont privilégié, dans l’application des consignes, l’esprit à la forme.


L'EHPAD du quartier Ferrié, tout neuf, à Laval
L’EHPAD du quartier Ferrié, tout neuf, à Laval – © leglob-journal.fr

Certes, les moyens humains ne sont pas à la hauteur dans les maisons de retraite, mais une approche prenant plus en compte la fonction sociale, aurait dû, avec plus de créativité, conduire à adopter une gestion différenciée des cas. En responsabilisant les familles, en leur allouant un minimum de confiance, il était possible de faire beaucoup mieux à moyens égaux. La différenciation, peut compatible avec des décisions technocratiques, est ou devrait être la base de toute gestion humaine et sociale.


Les familles sous surveillance


Certaines directions ont décidé, au lieu de cela par exemple, de dédier uniquement des personnels à la surveillance rapprochée de la seule rencontre familiale hebdomadaire. Chargés d’être constamment présent dans le dos des visiteurs. Sans parler du caractère infantilisant et intrusif de cette approche, comment peuvent-elles, dans le même temps, sans sourciller, affirmer que  la charte est guidée par un principe de confiance envers les visiteurs quant aux respects des règles ; et que le devoir de protection des résidents ne doit pas nuire aux relations familiales?

Qui plus-est, avec des effectifs déjà très tendus, privilégier cette surveillance aboutit de fait à supprimer également les animations censées sortir les résidents de leur routine et enfermement quotidiens. La justification fournie pour ces contrôles, aussi offensants pour les familles que dévalorisants pour les personnels, transformés pour la circonstance en garde chiourme, est celle-ci : « Deux familles sur trois ne respectent pas les règles sanitaires » ! Faisons nôtre cette affirmation, aussi fantaisiste soit-elle ! Alors dans ce cas, ne sont-ce pas les règles qu’il faut réinterroger ?

« Si vous ne communiquez pas autour de l’incertitude, aujourd’hui… vous renforcez la défiance… » estime la philosophe Cynthia Fleury. L’absence de cap, de perspectives et même d’informations basiques est effectivement anxiogène et laisse court aux plus folles rumeurs. Par exemple sur le taux de contamination dans un EHPAD du nord de la Mayenne, au lieu de répondre simplement et de façon factuelle, aux familles inquiètes à juste titre, à cette question anxiogène, une direction botte en touche impudemment et la famille s’entend dire : « Pour la question de la communication, elle est gérée par l’ARS avec un service spécifique. C’est le processus normal de toute administration. »

La seule concession que fait cette direction d’EHPAD est « notre [seule] faiblesse est de n’avoir pas pu mieux faire appliquer les gestes barrières par les familles lors des visites. » Manière de renvoyer la balle aux familles, de sous-entendre même qu’elles sont responsables de la grave crise traversée par l’établissement, de s’exonérer de toute responsabilité et de justifier, ainsi, les mesures de défiance prises à leur égard. Certains bénévoles avaient proposé leurs services. Et évidemment, ils attendent toujours la réponse, alors que l’EHPAD manquait cruellement de personnel. Comment avoir imaginé de faire entrer les loups, pour ne pas dire les pestiférés, dans la bergerie.

Confinement en chambre des résidents et interdiction de voir leurs enfants dans le seul espace personnel qui leur reste, c’est à dire la chambre, avec un cadrage très étroit des visites des proches voire une interdiction pure et simple… Si tout citoyen a été concerné par des limitations de liberté, nul n’a subit les mesures restrictives pour ne pas dire liberticides des résidents en EHPAD, excepté les prisonniers. Sur quelle base juridique cette situation d’exception dans l’état d’urgence a-t-elle été fondée ?


« La liberté d’aller et venir » 


C’est pourtant un droit, déjà reconnu, à toutes et tous, depuis la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Inhérente à la personne humaine, « La liberté d’aller et venir » est même une valeur constitutionnelle depuis 1979. La chambre est un lieu privé, les personnes âgées devraient donc pouvoir y accueillir qui elles souhaitent. Mais chaque établissement a déterminé ses propres règles, certains interdisant les visites en chambre, voire les visites tout court pendant des semaines, contrôlant et surveillant même les relations entre proches.

Des mesures parfois maximales et disproportionnées ont été prises, pour éviter le risque sanitaire, au détriment des relations sociales et affectives de chaque résident et de leurs droits et libertés les plus fondamentaux. D’ailleurs, le Conseil d’État, très récemment, saisi par une famille, vient de suspendre l’interdiction de sortie de résidents, estimant que la majorité d’entre eux sont vaccinés et que le confinement imposé peut altérer leur état physique et psychologique. Pourtant le gouvernement semble encore faire de la résistance à tout assouplissement et vouloir temporiser.

A l’entrée de chaque EHPAD, est affichée la Charte des droits et libertés de la personne âgée en perte d’autonomie. Dans les premiers articles, on peut lire ceci : « Toute personne âgée dépendante garde la liberté de choisir son mode de vie. Le lieu de vie de la personne âgée dépendante, domicile personnel ou établissement, doit être choisi par elle et adapté à ses besoins. Toute personne âgée dépendante doit conserver la liberté de communiquer, de se déplacer et de participer à la vie de la société. Le maintien des relations familiales et des réseaux amicaux est indispensable aux personnes âgées dépendantes… »

Selon la psychologue Marie de Hennezel, rien dans les consignes imposées par les établissements n’a de fondement juridique. Pascal Champvert, le président de l’association des directeurs au service des personnes âgées affirme qu’il n’y a aucune raison que les personnes qui vivent en EHPAD n’aient pas les mêmes droits et les mêmes devoirs que l’ensemble des citoyens. Belle déclaration, très éloignée des réalités subies d’abord par les résidents mais aussi par de nombreuses familles et très révélatrice des nombreuses discordances avec le terrain. Il existe bien un « Conseil de Vie Sociale », composé de représentants des résidents, des familles et du personnel. Celui-ci n’a pas toujours été réuni ou que très longtemps parfois après la prise de mesures restrictives. Il ne donne, dans tous les cas, qu’un avis consultatif. Rajoutons que dans certains établissements, leurs représentants sont cooptés par la direction.


« Si vous n’êtes pas contents… »


Cette crise a révélé à la fois les responsabilités trop lourdes qui pèsent sur les épaules de directeurs nommés, des gestions totalement bureaucratiques et le pouvoir exorbitant du droit commun, que certains se sont indûment appropriés. Comment concevoir que le droit des patients puisse parfois avoir été ainsi bafoué, sans aucune possibilité de contrôle ? Des familles critiquant les mesures prises ont même parfois, été « invitée » officiellement à placer leur parent dans d’autres établissements. »


Un EHPAD dans le nord de la Mayenne
Un EHPAD dans le nord de la Mayenne

Les recours judiciaires sont déjà nombreux, mais ils interviennent à la suite de décès ou contaminations par la COVID-19. Cependant, combien y en aura-t-il sur les restrictions abusives de liberté appliquées aux citoyens des EHPAD ? Ou sur les pertes cognitives dues à ces ruptures disproportionnées de la vie sociale ?

Constat accablant et peut-être cynique, sur les vraies motivations de certains décideurs à se couvrir, mais plus globalement sur notre relation sociétale avec « la fin de vie ». Les reports successifs de la loi intitulée « grand âge et autonomie » montrent toute la difficulté de notre société à traiter ce sujet pourtant d’actualité et d’avenir. Déjà, en 2013, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, avait indiqué qu’il voudrait pouvoir visiter les EHPAD, qui ne permettent pas aux occupants de pouvoir circuler à tout moment comme ils le souhaitent. La ministre déléguée aux personnes âgées et à l’autonomie d’alors, Michèle Delaunay, s’était fermement opposée à cette proposition. Depuis, notamment et suite à la crise du COVID, elle a revu très sensiblement sa position.

Terminons ce tableau clinique de la situation des EHPAD en Mayenne et ailleurs, par cette citation d’Éric Fiat ; il est professeur de philosophie, elle est pleine de sagesse et déjà tout un programme : « Les hommes vieux vulnérables, ont besoin de veilleurs. De veilleurs de dignité, de personnes qui les assurent par leur regard qu’ils sont reconnus, quelles que puissent être les pertes de capacités ou de maîtrise. » ◼


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1 thought on “Covid : Trop de questions dans les EHPAD – Par Christian Roger 🔓”

  1. « Sauf à ce que ce M. Roger qui signe cet article soit directeur d’Ehpad, ce qui m’étonnerait, pitoyable de tenir de tels propos qd vous n’êtes pas en responsabilité d’1 #EHPAD ds la période dramatique que nous vivons » Tweet de M. Borde, maire de St-Berthevin et à ce titre, aussi, président d’un Ehpad qui a eu maille à partir avec au moins une famille : Le docteur Franck Heurtebize médecin à Saint-Berthevin dont la mère de 85 ans est dans un des Ehpad de cette commune.

    Quelle légitimité a M. Borde pour octroyer des permis d’expression ?
    Fils d’une résidente, qui a survécu à la Covid19, j’ai nourri, cet article d’une dizaine de témoignages factuels de familles de plusieurs EHPAD, qui ont connu, elles-aussi, la mort de leur parent ou ont souffert, impuissantes, pendant le sur-confinement, de le voir sombrer psychologiquement, souvent de façon irrémédiable.
    M. Borde, en tant qu’élu de la république, veut-il affirmer que toutes les restrictions des droits civiques imposées aux résidents étaient légales et que ces personnes ont été traitées comme des citoyens à part entière ? voir https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/le-conseil-d-etat-suspend-l-interdiction-generale-et-absolue-de-sortie-des-residents-d-ehpad

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