La presse locale agricole sous le joug de la FNSEA – Par Simon Mauvieux 🔓

Désertification et Presse

Dans les Pays-de-la-Loire, «L’Avenir agricole», un journal indépendant créé en 1944, a fermé ses portes officiellement le 18 décembre 2020, à la stupéfaction de tous. Si sa disparition reflète les difficultés de toute la presse écrite, elle témoigne aussi du sort de la presse agricole locale, dominée par les journaux de la FNSEA, le syndicat majoritaire dans l’agriculture. Dans Reporterre.net, « le quotidien de l’écologie », notre confrère Simon Mauvieux est revenu sur la disparition de l’Avenir agricole et fait un triste constat, celui d’une presse qui n’a pas pu résister aux coups de boutoir de la concurrence soutenue par le syndicat agricole majoritaire.


Enquête

Par Simon Mauvieux


La belle lettre guillemet du Glob-journal

«L’Avenir agricole va s’arrêter. L’édition du 18 décembre 2020 sera la dernière. C’est avec une émotion toute particulière que nous nous adressons directement à vous cette semaine. C’est la première fois. Ce sera la dernière.»

C’est par ces mots que le journal agricole indépendant a annoncé à ses lecteurs la fin de son aventure, qui aura duré 76 ans. L’Avenir agricole a été la victime de deux crises majeures, celles de la presse et de l’agriculture. ici. Désormais, dans les Pays de la Loire, l’unique canal d’information pour les agriculteurs est contrôlé par la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), quand L’Avenir pouvait se targuer de fournir une information journalistique pluraliste. 

«On n’était pas au service d’un syndicat, on n’était pas là pour faire de la communication», disait Antoine Humeau, journaliste à L’Avenir agricole, quelques jours avant sa fermeture. Un journal agricole offre aux lecteurs deux thèmes bien distincts. L’un ressemble davantage à un journal local, quand l’autre volet s’intéresse à l’aspect technique de l’agriculture, rédigé par des techniciens et ingénieurs.


La Une de l'hebdomadaire agricole à paraitre le vendredi 6 juillet 2018
La Une de l’hebdomadaire agricole du vendredi 6 juillet 2018, avec une des grandes enquêtes signée Nathalie Barbe – Capture écran L’Avenir agricole

Il n’était pas simple d’être journaliste de L’Avenir dans les Pays de la Loire. Car un journaliste agricole dépend de certaines sources, comme les chambres d’agriculture ou le syndicat majoritaire, la FNSEA. Or dans chaque département, les FDSEA (fédérations départementales de la FNSEA) possèdent leurs propres journaux. Et quand un journaliste concurrent débarque, il est plus simple pour les «fédés» de s’assurer une couverture favorable par leur média que de laisser travailler un journaliste plus indépendant. Nathalie Barbe, journaliste pour L’Avenir de 2014 à 2019, se rappelle bien l’accueil glacial reçu à son arrivée en Sarthe par le syndicat et la chambre d’agriculture. «En novembre 2014, je suis allée assister à une réunion de la chambre. Ces sessions sont importantes, elles fixent la politique budgétaire et les grandes orientations de l’organisme. Quand le président m’a vue, il m’a dit : « Votre rédacteur en chef a été bien mal inspiré de vous laisser venir. Vous n’êtes pas invitée et en tant que président j’invite qui je veux »», relate la journaliste.


«Toute une partie des gens du territoire vont devenir invisibles»


Et dans la foulée, la chambre a définitivement fermé ses portes aux journalistes, sauf à ceux du journal local de la FDSEA, Agri 72. Nathalie Barde est devenue la bête noire de ces instances : impossible d’en obtenir des informations ou d’avoir accès à certaines sources liées à la FDSEA, on ne voulait simplement plus lui parler. Contrainte d’aller frapper à d’autres portes, la journaliste allait donc voir ceux à qui le journal syndical ne donnait pas la parole. Et qui ne l’auront plus, puisque L’Avenir agricole a disparu. «Ce qui m’attriste le plus, c’est que maintenant toute une partie des gens du territoire vont devenir invisibles», dit-elle.


Agriculteurs en Mayenne : à lire dans rubrique leglob-mayenne
Agriculteurs en Mayenne – © leglob-journal.fr

Dominique Morin, porte-parole de la Confédération paysanne en Mayenne, se demande ainsi comment sera médiatisé son syndicat dans des journaux de la FNSEA, maintenant que L’Avenir n’existe plus. «Je ne sais pas si un adhérent CGT arrive à faire passer ses idées dans le journal du Medef, pour prendre une image», observe-t-il. Et il existe dans le monde agricole d’autres acteurs regroupés dans des structures alternatives, comme les Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (Civam), ou les Groupements d’agriculteurs bio, et qui produisent eux aussi des articles techniques que publiait L’Avenir, mais pas les journaux des fédés.

Il est normal qu’un journal syndical défende sa chapelle. Mais mélange des genres, opacité et connivence ne riment pas avec ce que devrait être le journalisme, dont se revendiquent pourtant ces journaux syndicaux. Pour Florent Renaudier, gérant du journal de la FDSEA de la Mayenne, Agri 53, qui est aussi le président de la fédération départementale, Agri 53 «est un journal ouvert à toute discussion et à tous les lecteurs. Notre ligne éditoriale veille à l’équilibre des productions du territoire», affirme-t-il, réfutant l’appellation de journal syndical. Les liens entre le syndicat et ses journaux sont pourtant évidents.

En Mayenne par exemple, le journal est possédé à 70% par la FDSEA 53, et les dirigeants du syndicat sont les mêmes que ceux du journal.

La personne qui gère les cotisations du syndicat gère aussi les abonnements. Une chargée de mission à la FDSEA est en même temps journaliste pour Agri 53. Alors, comment expliquer que des acteurs du monde agricole ne se retrouvent pas dans la couverture des médias de la FDSEA? «Il y a un équilibre de la parole, mais il y en a qui ne répondent pas aux sollicitations», répond le patron de la fédé mayennaise, lapidaire.


Un allié de poids pour la presse FNSEA : les Chambres d’agriculture, contrôlées par… la FNSEA


À première vue, on ne se rend pas forcément compte qu’une fédé dicte la ligne éditoriale. «Quand on est journaliste et qu’on sait hiérarchiser l’information, on voit que ça parle beaucoup de la FNSEA, on se dit que c’est absurde, analyse Antoine Humeau, journaliste pour L’Avenir dans le Maine-et-Loire. Par exemple, la Une du 11 décembre 2020 de L’Anjou agricole, le journal syndical du Maine-et-Loire, titrait : «Plus de 4.000 tonnes livrées par la FNSEA»«Là, une action du syndicat était mise en valeur. Nous avons aussi écrit sur ce sujet, mais une simple brève et une image, ça ne méritait pas plus», dit le journaliste.

Mais en réalité, l’actualité syndicale mise de l’avant par les journaux des fédés n’est pas ce que recherchent le plus les lecteurs. Ils lisent davantage ces journaux pour les informations techniques. «Il faut être clair, la plupart des agriculteurs n’en ont rien à faire du syndicalisme. Ceux qui ne s’en fichent pas ce sont les militants et ceux qui ne se retrouvent pas dans le discours de la FNSEA. Les agriculteurs veulent juste des infos qui leur soient utiles», estime Antoine Humeau.


Le siège de la chambre d’agriculture à Laval en Mayenne – © leglob-journal.fr

Si les médias syndicaux ont pu aussi bien s’ancrer sur les territoires, c’est aussi parce qu’ils disposent d’un allié de poids : les chambres d’agriculture. Ces organismes publics, représentés par des élus locaux du monde agricole, votent des budgets, décident de l’attribution de nombre de subventions aux agriculteurs. En France, les chambres sont contrôlées en grande majorité par la FNSEA. Dans les Pays de la Loire, les journaux syndicaux sont logés au sein même des chambres d’agriculture. À sa création, Agri 53 a même touché 75.000 euros de subventions de la chambre, outre une voiture à disposition pour les journalistes. «Tout cela a été voté en session de chambre lors de la prise de participation de la chambre au journal à sa création», dit Raphaël Bélanger, élu à la chambre pour la Confédération paysanne.

Si les liens entre cet organisme public et un journal privé interrogent quant à l’indépendance de celui-ci, un autre point qui choque cet élu : «Durant les deux premières semaines de décembre, des agriculteurs qui ne sont pas abonnés à Agri 53 l’ont reçu dans leur boite aux lettres. Et c’était déjà arrivé pendant les élections à la chambre.» Pour le président de la FDSEA, Florent Renaudier, il s’agit d’une technique normale de vente, qui s’appuie sur des données récoltées par téléphone ou lors de divers événements. La chambre, qui a accès aux adresses de tous les agriculteurs du département, les a-t-elle partagées avec le journal du syndicat? M. Renaudier n’a pas répondu à notre question.

Le journal syndical économise par ailleurs des dépenses, car la chambre lui fournit gratuitement certains articles techniques, qui sont normalement destinés à l’ensemble des agriculteurs. Or, dès la création d’Agri 53 en 2016, la chambre a arrêté de fournir ces articles à L’Avenir agricole«C’est facile de faire tourner un journal quand on ne paye pas de journalistes, mais qu’on utilise l’expertise des techniciens», dit Antoine Humeau. «La fédé utilise la chambre», confirme Daniel Lenoir, conseiller départemental de la Mayenne et président de sa commission Environnement : «La chambre n’est pas un organisme pluriel et démocratique. Ces informations techniques intéressent tous les agriculteurs — qui payent tous leur cotisation à la chambre — pas seulement les adhérents à la FDSEA.»

En tout cas, L’Avenir agricole étant désormais fermé, la FNSEA se frotte les mains devant le boulevard qui est offert à sa communication, dans un paysage agricole déjà largement dominé par le syndicat.


Un réseau médiatique national puissant et rentable


Ce qui se passe dans les Pays de la Loire n’est pas un cas isolé. La FNSEA contrôle 60% de la presse agricole à l’échelle nationale, que ce soit des journaux locaux, des titres spécialisés ou des agences de presse. Il y a dix ans, l’entreprise Sofiprotéol, dirigée par le président de la FNSEA de l’époque, Xavier Beulin, aujourd’hui mort, a pris des parts dans le journal agricole national de référence, La France agricole. Tous ces médias sont appuyés par la puissance du groupe de presse Réussir (seize millions d’euros de chiffre d’affaires en 2018), une régie publicitaire dont le conseil de surveillance est présidé par le deuxième vice-président de la FNSEA, Henri Bies-Péré. Dominant le marché, elle garantit une rente publicitaire aux journaux des FDSEA. Titres de presse qui sont de surcroît très rentables pour le syndicat : un profit permis par l’absence de concurrence…


Cet article de Simon Mauvieux est paru la première fois dans Reporterre.net le 23 janvier 2021. Il est reproduit dans les colonnes du Glob-journal avec l’aimable autorisation de Simon Mauvieux ainsi que Reporterre.net que nous remercions. Titre, intertitres sont de Reporterre.net. Les illustrations sont de leglob-journal.fr


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1 thought on “La presse locale agricole sous le joug de la FNSEA – Par Simon Mauvieux 🔓”

  1. Soyons bon joueur, reconnaissons quand même une grande réussite en faveur de la FNSEA : c’est d’avoir vidé les campagnes au point que les agriculteurs ne représentent plus que 1.9 % de la population active selon l’INSEE au recensement de 2014.

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