Précarité et pauvreté : La face cachée de la Mayenne 🔓

La pauvreté en Mayenne, c’est hélas une réalité pour une partie des 300 000 habitants que compte ce département rurbain, mi-rural, mi-urbain. Et c’est d’ailleurs souvent l’école qui concentre, visiblement, les effets physiques et moraux de cette pauvreté. Etat des lieux.

Des chiffres et des statistiques douloureuses

Par Thomas H.


la belle lettre E sur leglob-journal

En Mayenne, dans le vert bucolique de la campagne souriante, il y des poches grises qu’on ne veut pas forcément voir. Il y a des mayennais, assistés dans leur vie courante. Il ne s’agit pas de les dénoncer, bien au contraire. « 137 280 habitants sont couverts par au moins une prestation légale versée par la Caisse d’allocations familiale (CAF) et 2040 étudiants bénéficient d’une aide » selon la CAF. D’après ces chiffres, il s’agit de 45 % de la population totale qui est aidée, bien loin des images lisses et qui se veulent attractives véhiculées sur les réseaux sociaux. Des aides qui visent à « soutenir le niveau de vie de familles » et qui cherchent à « réduire les inégalités de revenus ».

Car il faut bien se rendre à l’évidence. Et ne pas chercher à passer à coté de la réalité, car à trop l’ignorer, elle se montre avec encore plus d’acuité. 10 % des élèves en Mayenne sont issus de familles en grande précarité avec des revenus inférieurs à 840 euros par mois, quand le revenu médian est de 20 000 euros par an, soit presque deux fois plus.. Un enfant sur dix est donc confronté à une misère familiale devenue presque endémique. Le mayennais Daniel Wiest-Gudin qui a été bénévole pendant 23 ans et président au Resto du cœur en Mayenne explique qu’il a « d’abord vu les parents, puis les enfants et enfin les petits enfants s’inscrire pour bénéficier des repas. Sans constater une baisse des inscriptions » . Ces enfants arrivent parfois à l’école le matin sans avoir rien avalé au réveil. Le ventre vide. « Maîtresse, j’ai faim ! » dit alors cet enfant à l’enseignante qui, dans un premier temps, n’imagine pas forcément qu’elle a affaire à une privation de nourriture, bien plus grave qu’une simple faim passagère.

A présent, après s’être occupé des approvisionnements de tous les Resto du cœur à l’échelon national, Daniel Wiest-Gudin est administrateur de la Fondation d’entreprise Lactel, (une première en Mayenne) qui « a pour objet de promouvoir le bien-manger, à travers le petit-déjeuner en direction des familles précaires. Elle existe depuis quelques mois et nous avons déjà eu des actions. Nous avons financé tous les petits déjeuners de tous les enfants qui sont partis en vacances grâce au Secours populaire lors de la Journée des Oubliés des Vacances. » L’occasion de prendre dès le plus jeune âge de bons réflexes alimentaires ! peut-on lire sur le site de la fondation.


Le film de promotion de la Fondation d’entreprise Lactel retraçant la journée en soutien au Secours populaire

La CAF mayennaise a comptabilisé 12 130 allocataires au total, soit 27 700 personnes considérées comme vivant sous ce qu’elle appelle « le seuil de bas revenus, c’est-à-dire avec moins de 1071 euros par mois ». Tous sont pauvres de biens, pauvres financièrement, pauvres en moyens et « consacrent après perception des allocations logement, parfois jusqu’à 40 % de leurs revenus au paiement du loyer et des charges« . Il va sans dire qu’ils sont privés d’accès au superflu, comme la culture par exemple. Point de restaurant pour eux, excepté de temps en temps, un « Happy meal » aux enfants. Seules les « sorties » organisées par l’école, quand ils peuvent y participer, leur offrent une possibilité de réelle évasion.

Dans ce département de la Mayenne qui comptabilise 57 000 enfants, 11 000 d’entre-eux sont en situation de grande pauvreté. Ce n’est pas rien. Vous en avez forcément croisés dans la rue ou dans les villages, sans vous en rendre compte. Ils ne disent rien. Ne s’expriment pas sur leur état, ou leur famille ; ils sont parfois confrontés à un père en prison, une mère gravement malade. Ils sont souvent, malgré eux, ballottés dans des « familles recomposées ». Dans la plupart des cas, il s’agit d’une population précarisée qui arrive tout de même à « faire inclusion » dans des classes où les enfants, pendant le temps scolaire au moins, sont presque à égalité. Pour ces futurs adultes qui vont à l’école en Mayenne, c’est un combat presque permanent pour s’intéresser à l’école, réussir tout simplement à être attentif et se concentrer sur autre chose que ce qui est pour eux essentiel. La presque subsistance et la difficulté à vivre.

« On assiste à une hausse de la pauvreté. Des mayennais ont parfois du mal à s’alimenter expliquait déjà en septembre 2018, la responsable d’ATD Quart-monde en Mayenne à Ouest France. Quand il a été décidé de baisser de cinq euros par mois les allocations logement, beaucoup nous ont révélé que cela les priverait de deux repas. J’ai l’exemple d’une femme, poursuit Marie-Christine Degand qui n’arrive pas à trouver du travail en Mayenne à cause de son handicap. Elle cherche, fait des essais, mais n’est pas prise. On dit alors qu’elle vit au crochet de la société, mais comment voulez-vous qu’elle fasse autrement ? Des exemples comme ça, il y en a plein. »


Un abri de toile pour un SDF, à la sortie de Laval – © leglob-journal

Au « seuil des bas revenus » c’est-à-dire la pauvreté, on trouve une famille monoparentale sur deux. Le conjoint est parti, ou il est emprisonné. Et c’est la chute des revenus et le début de la précarité surtout quand on doit continuer à élever, seule, vaille que vaille les enfants. « 10 % des foyers allocataires de la CAF ont la totalité de leurs ressources financières composées de prestations légales ». Ils sont 16 % au niveau national selon les chiffres fournis dans le dernier rapport de la Caisse d’allocations familiales de Novembre 2019. Un constat qui se retrouve au niveau national. « Les gens s’enfoncent dans la pauvreté, qu’ils soient Français ou migrants, dont les conditions d’accueil se durcissent, constatait dans Le Monde, Véronique Fayet, la présidente du Secours catholique. Le revenu moyen de notre public est de 535 euros [par unité de consommation], en baisse de 15 euros, en euros constants, par rapport à 2017. »

17 % des lavallois, ceux qui vivent dans la ville-centre de la Mayenne sont dans ce cas rappelait récemment l’élu EELV Claude Gourvil en conseil municipal de Laval, c’est-à-dire au seuil de la pauvreté. Les quartiers de Laval, où la population précarisée se concentre parce que les habitations à loyers modérés (HLM) sont plus nombreuses, accueillent 70 % des enfants en grande précarité. Dans les territoires ruraux, c’est moins : deux enfants sur dix. Loin des villes, il semblerait que l’on puisse vivre un peu mieux. Mais c’est un leurre, car l’accès aux services publics est de plus en plus difficile, disparition et éloignement, même si le gouvernement met en place des Maisons au service au public (Msap).

« Les Msap ont été instaurées par le gouvernement dans des bassins de vie où il y a peu de population. Beaucoup de permanences d’opérateurs ont été supprimées, le besoin d’un relais est donc important » peut-on lire sur le site de Mayenne Communauté qui, avec 39 000 habitants, regroupe trente-trois communes au Nord du département de la Mayenne. En décembre 2018, selon les données de la Préfecture, la Mayenne comptabilisait onze Maisons au service du public.

L’emploi, le RSA et la prime d’activité

S’il est un indicateur qui permet de mesurer encore un peu plus facilement l’état en matière de richesses et d’inégalités sociales d’un département, c’est bien le Revenu de solidarité active (RSA). Sur le territoire mayennais, 3630 foyers sont au RSA, et dans le même temps plus de 12 030 mayennais bénéficient de la prime d’activité qui selon la Caf « soutient le pouvoir d’achat des travailleurs modestes tout en visant le maintien dans l’emploi. »


Jeannette, 33 ans, une habituée des Resto à Laval. Elle a joué dans la troupe des Suppliantes sous la direction artistique de Jean-Luc Bansard – © leglob-journal

« Nos expériences montrent que plus on aide les gens, plus ils sont capables de repartir d’eux-mêmes, plus ils sont aptes à se sortir de la trappe à pauvreté dans laquelle ils étaient enfermés. » explique Esther Duflot, la lauréate du prix Nobel d’économie en 2019 dans un entretien récent au Monde. La chercheuse en sciences économiques au Massachusets Institute of Technologie (MIT) estime d’ailleurs qu’ « il faut cesser de se méfier des pauvres. Pour elle, c’est d’abord par l’éducation et l’école qu’il faut agir, car nous savons que les pays où le capital humain est important croissent plus vite. »

En France, la troisième édition du rapport de l’Observatoire des inégalités publié en 2019 souligne que « la situation sur le front de l’emploi demeure critique », même si la proportion de personnes vivant sous le seuil de pauvreté atteint 13,6 %, l’un des taux les plus bas d’Europe. Et le Plein emploi, situation de quasi absence de chômage que connaît la Mayenne, ne permet pas pour autant de contrecarrer cet état de fait.

Les pauvres sont là, hélas. Une pauvreté près de chez soi. En face de chez vous même, sur votre palier dans la cité où vous habitez ou dans le pavillon d’en face. En traversant la rue, ils apparaissent depuis quelques temps au coin des trottoirs en ville. Ou bien sur le long de la Mayenne, SDF, sous une toile de tente Quechua. En sortant de la grande surface où vous allez faire vos courses, il y a un homme ou une femme qui vous tend la main. Il vous demande de faire marcher votre cœur. Ecrit rapidement à la main et maladroitement sur un petit carton, on peut lire : « Svp, une pièce pour manger… »


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