Vendredi 2 mai 2025, la rencontre anodine de Ligue 2, Dunkerque-Laval s’est plutôt jouée dans les tribunes et plus précisément dans le secteur « visiteurs ». Pour l’heure les dirigeants du Stade lavallois visionnent les caméras de vidéosurveillance et n’ont pas encore reçu de convocation en commission de la part de la Ligue de football professionnelle. Une semaine après les incidents, l’USL Dunkerque n’a toujours pas communiqué. Les supporters lavallois relatent des violences policières qu’ils ont subies dans une incompréhension générale – Enquête
Par Embarek Foufa*

« C’est la première fois dans notre histoire qu’on subit ce genre de violences policières” , ces mots d’un représentant du principal de groupe de supporters lavallois montrent à quel point ces suiveurs ardus du club mayennais se souviendront pour de mauvaises raisons de la soirée cauchemardesque du vendredi 2 mai 2025.
Pourtant, rien ne présageait un match à tension pour ce déplacement à Dunkerque en avant dernière journée de championnat. L’objectif est simple : intégrer le « top 5 » , synonyme de barrages d’accession à la Ligue 1.
L’ambiance de départ est joyeuse et excitante même pour Simon, supporter indépendant de tout groupe depuis son enfance.
« Après des années de vaches maigres, pouvoir assister à ce genre de matchs à enjeux de fin de saison, c’est un grand plaisir. Et quand le parcage extérieur promet d’être bien rempli, c’est encore mieux. Composé d’ultras, mais surtout de familles avec leurs enfants, c’est un mélange de générations et de profils de supporters qu’on retrouve dans tous les parcages lavallois. Les ultras qui chantent et haranguent devant, tout le monde qui suit derrière » , indique Simon au milieu des 80 supporters présents.
Dans le milieu des supporters, les ultras représentent la frange radicale défendant une vision jusqu’au boutiste. Ils se distinguent avec un soutien organisé et continu à l’équipe par l’intermédiaire de chants, drapeaux, animations. Ils forment des groupes à l’image du Laval Crew créé en 2017. Ce soir-là, une vingtaine de membres du collectif créé en 2017 s’est déplacé et a prévu une animation sous forme de confettis, refusée en raison de la difficulté à nettoyer. Alors que le match a débuté depuis dix minutes, les premières tensions apparaissent car la fouille s’éternise au moment de faire entrer un message avec l’inscription « SLMF fais-nous bander.” Jugé trop vulgaire, il est aussi refusé. Le responsable refuse de se justifier plus concrètement auprès du Laval Crew. « À mon arrivée au stade, on a pris ma plaque d’immatriculation avant de me laisser entrer. C’est la première fois que ça m’arrive » , confie Hugo, un autre supporter indépendant.
Charge policière sans sommation
Sur le terrain, pas grand-chose à signaler (0-0), mais dans le secteur réservé aux visiteurs la soirée bascule. D’après plusieurs témoignages recueillis auprès des Mayennais : le traitement est « brutal » . Après leur entrée tardive, quelques membres grimpent sur les grilles ce qui déplaît à la sécurité locale. Suite aux requêtes, seul le capo du Laval Crew reste à cette place stratégique qui lui permet de tenir son rôle de chef d’orchestre, dos au terrain, pour lancer les chants auprès de la foule. Une pratique répandue dans tous les stades de France qu’on a pu apercevoir, par exemple, quand les Messins se sont déplacés à Dunkerque. Pourtant, cela n’empêche pas les forces de l’ordre (une quinzaine de CRS et des policiers de la BAC), de pénétrer au cœur du parcage sans sommation. Dans ce moment où la situation conflictuelle est à son comble, les personnes ont vécu ou vu la même situation.
Face à des CRS équipés, comme en manifestation, avec leur casque, bouclier et matraque, la surprise règne au moment de cette intervention inexplicable.
« C’est un grand moment de confusion. On a commencé à enlever des bâches posées pour partir, c’est là que la charge arrive d’un coup. Je tourne la tête et je suis nez-à-nez avec les boucliers devant moi. Je me fais étrangler, mais je reste debout. Après un coup de matraque à la tête, je perds connaissance pendant quelques minutes » , raconte un membre du Laval Crew.
Le capo enchaîne : « Ils frappent et gazent. L’altercation se poursuit car quelques membres tentent de défendre des camarades par élan de solidarité. Je descends pour aller chercher quelqu’un qui est pris à parti violemment par plusieurs policiers. » D’après les paroles recueillies et les quelques vidéos publiées sur les réseaux sociaux, l’attitude des forces de l’ordre semble désorganisée. On distingue des coups portés au visage et l’utilisation des gaz. En face, l’instinct de protection est mobilisé.
« On fait une ligne de défense pour protéger familles et sympathisants. C’est la première fois qu’une aussi grosse altercation, avec la police ou la sécurité, éclate dans un parcage lavallois » , souligne un ultra. « Je suis menotté, celui avec qui je suis interpellé reçoit un violent coup dans la jambe et n’arrive plus à marcher » , signale le capo du Laval Crew.

Les dirigeants lavallois, dont la mission est pour l’instant d’éclaircir les zones d’ombre grâce aux caméras de vidéosurveillance, n’ont pas encore reçu de convocation en commission de la part de la Ligue de football professionnelle. Dans ce contexte, les relations sont assez froides entre les clubs concernés. Une semaine après, l’USL Dunkerque (USLD) n’a pas communiqué sur les événements. Ni l’USLD, ni les services de police n’ont répondu à nos sollicitations ».
Les débordements ont toujours existé dans l’histoire du football, mais ces scènes sont exceptionnelles. Même quand les incidents sont d’une intensité hautement plus forte, il est rarissime que des policiers s’introduisent dans un stade en usant de la force. « Quand le danger vient de ceux qui doivent normalement assurer la sécurité, ça provoque de la colère. C’est scandaleux et désespérant » , souffle Simon. « On essaie de comprendre ce qui s’est passé et pourquoi la police est intervenue dans la zone sans motif apparent, alors qu’il n’y avait pas de trouble à l’ordre public » , s’interroge le référent supporters de Laval. Ce rôle, existant dans chaque structure professionnelle, est occupé par un salarié du club. Il représente l’intermédiaire entre les fans et les dirigeants, mais aussi avec les autorités dans le cadre des déplacements. Invité sur Ici Mayenne, le président lavallois Laurent Lairy a condamné les agissements.
« Je suis agacé, on a eu l’impression qu’un deuxième match se jouait. J’ai revu les images, nos supporters n’ont pas eu le comportement qu’on attend mais l’intervention était démesurée avec un comportement excessivement violent à l’égard de nos supporters. » Le référent précise que son club est réputé pour son calme, à l’image de la majorité des fidèles qui le suivent en sillonnant la France. « C’est Laval les gars, vous vous rendez compte ? » , peut-on entendre sur une des vidéos publiées.
Sur place, les effets des gaz lacrymogènes touchent sans distinction toutes les personnes présentes, y compris les policiers. Les enfants sont apeurés et en larmes.
« Le plus dur, c’est certainement de voir les familles avec les enfants restés au fond du parcage mais qui ont été choqués par ce qu’elles ont vu, par l’odeur des gaz » , réagit Simon. Son compère Hugo détaille : « j’ai essayé de prendre des nouvelles de mes amis. L’un d’entre eux a pris un coup de poing après avoir tenté de calmer le jeu en s’interposant. L’ambiance était plombée, je n’avais plus envie d’être là. » .

Intervention policière sur deux supporters lavallois – capture écran Tango TV
Une fois le choc émotionnel passé et l’état de sidération mis de côté, la solidarité lavalloise s’organise. « On se rejoint au niveau des toilettes, les uns et les autres s’aident pour reprendre nos esprits. Notre mécontentement se manifeste à nouveau quand celui qui tient la buvette nous informe qu’il a interdiction de nous distribuer de l’eau » , déclare un ultra. Dans la foulée, une délégation de six ultras s’approche des policiers avec l’intention de dialoguer. Ces derniers sont interpellés et mis à l’écart. Assis et entourés par des forces de l’ordre, en attendant les fourgons, ils racontent avoir été menacés et intimidés. « Ils nous prenaient pour des hooligans » , ou encore une phrase qui a marqué les esprits : « l y a une caméra au-dessus, vous avez de la chance sinon on vous aurait plié en quatre. » .
Un mystérieux vol de matériel
Un des six interpellés, avaient en main deux bâches de la Jeunesse Laval – section du Laval Crew revendiquant un positionnement antiraciste. Active depuis trois ans, cette dernière mène des activités footballistiques et politiques à travers la participation à des manifestations. Dans le mouvement ultra, une importance considérable est attribuée à la bâche du groupe, son principal élément de représentation, et plus globalement à tout le matériel faisant référence à cette entité. En ce sens, il est indispensable de protéger au maximum ces éléments, notamment vis-à-vis des rivaux. « J’ai vu un policier prendre les bâches et les poser dans une poubelle qui a ensuite été déplacée » , note un membre du Laval Crew nassé. Leur détenteur assure : « Elles étaient derrière mon dos. Quand le policier de la bac a vu ça, il m’a pris des mains notre matériel. J’alerte notre référent supporters en disant que c’est inadmissible » .
Invité à récupérer le matériel, le salarié du Stade Lavallois est empêché d’accès. Prévenus par un des interpellés, les membres restés au stade se dirigent vers la mystérieuse poubelle quinze minutes après. Elle n’est plus là. « C’est pas évident à comprendre mais j’ai le sentiment d’être lésé. J’ai demandé à récupérer le matériel, mais je n’ai jamais pu jusqu’à la 80e minute où les bâches lavalloises sont brandies par les ultras de Dunkerque » , constate le référent supporters.

Pour faire la lumière sur cette affaire, les ultras attendent une réaction plus ferme de la part du club et des actions concrètes. »
Comment le matériel a pu passer d’une zone à une autre ? « Je n’ai pas compris comment les Dunkerquois ont pu l’avoir. On n’a vu personne s’introduire dans le parcage à part la police et la sécurité », manifeste Hugo. Sans être totalement en accord avec les ultras, il annonce : « j’ai de la sympathie pour ces jeunes qui mettent l’ambiance, se déplacent presque à chaque match à l’extérieur. Ce sont de vrais passionnés. Je salue leur courage et les animations qu’ils organisent. » Des actions qui ne seront plus portées par la Jeunesse Laval, qui a décidé de mettre fin à ses activités, suite aux incidents et à cette perte improbable. « Se politiser à gauche pour un petit groupe, c’est souvent du suicide : cependant nous sommes fiers d’avoir porté nos convictions jusqu’au bout, et ce, partout en France« , peut-on lire dans le communiqué de la Jeunesse Laval – section du Laval Crew. Par la même voie, les Dunkerquois rétorquent : « Quand on connaît son stade, suffit d’être au bon moment au bon endroit pour se servir.«
Pour faire la lumière sur cette affaire, les ultras attendent une réaction plus ferme de la part du club et des actions concrètes. Les dirigeants lavallois, dont la mission est pour l’instant d’éclaircir les zones d’ombre grâce aux caméras de vidéosurveillance, n’ont pas encore reçu de convocation en commission de la part de la Ligue de football professionnelle. Dans ce contexte, les relations sont assez froides entre les clubs concernés. Une semaine après, l’USL Dunkerque (USLD) n’a pas communiqué sur les événements. Ni l’USLD, ni les services de police n’ont répondu à nos sollicitations.
Côté lavallois, le bilan est lourd. Deux supporters placés en garde à vue pendant treize heures où « les conditions de détention étaient pitoyables : un matelas pour deux, torse nu et en short » , témoigne celui qui a été relâché sans poursuite, tandis que l’autre est visé par une enquête préliminaire, selon les informations de Ouest-France, sous les chefs de « rébellion et violences volontaires contre personnes dépositaires de l’autorité publique. » Alors qu’on ne sait toujours pas les raisons qui ont poussé la police à intervenir en tribune, certaines personnes présentes ne savent pas si elles vont remettre un pied dans un stade de si tôt…
Un supporter, qui n’a pas réussi à fermer l’œil les deux nuits qui ont suivi, raconte : « j’avais réalisé mon inscription pour entrer à l’école de police. Mon dossier était prêt, j’ai tout annulé… » ⬛
Embarek Foufa est un journaliste indépendant à « l’intersection entre les médias et la recherche en sciences sociales, au milieu des mouvements sociaux et du supportérisme ultra » .
