« Alors ce Dimanche, on fait quoi ? – par Charles Bujalsky 🔓

Image captire du débat de l'entre deux tour diffusé sur France 2 et TF1
Capture d’écran lors du débat télévisé du 20 avril 2022 en vue du second tour – leglob-journal.fr

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Le regard personnel de Charles Bujalsky sur l’élection majeure, en perspective du second tour – « Alors que 80 % des français ne voulaient pas d’un deuxième tour Macron-Le Pen (sondage Elabe de février), nous y voilà » nous écrit-il, le débat du second tour a opposé les deux « finalistes », avec une avance pour le candidat sortant. Mais, « Il aura manqué 421308 voix à Jean-Luc Mélenchon (22 % des suffrages) – pour accéder au second tour », et nous permettre d’avoir un vrai choix de clivage droite-gauche -, « soit à peine plus de la moitié des 802 615 voix du candidat communiste Fabien Roussel. » Au lendemain du débat, « Et maintenant on fait quoi ? » interroge Charles Bujalsky – Analyse

« Le Cron ou MaPen : le choix du moins pire »

Par Charles Bujalsky


la belle lettre L sur leglob-journal

Le même résultat se produit qu’en 2017, minutieusement préparé par les médias dominants avec l’accord tacite des candidats du PS, du PCF et d’EELV dont le principal argument de campagne fut de faire barrage à l’encombrant insoumis. Face à ce constat au soir du 10 avril, tous les candidats déçus, voire déchus, se sont retrouvés dans le désormais bien connu « Front républicain » contre le « F’Haine ».

« Votez Macron » s’est empressé de dire Yannick Jadot qui verrait d’un bon œil de se retrouver ministre, après ces anciens camarades de Rugy et Pompili, d’un gouvernement « en marche ». “J’appelle ce soir à battre l’extrême droite, à la mettre en échec, en se servant du seul bulletin à notre disposition” a ajouté à son tour et toute honte bue, Fabien Roussel.

La consigne la plus attendue fût évidemment celle de Mélenchon, elle fût presque sans surprise. Presque, car comme en 2017, il ne pouvait pas appeler à voter Macron mais il fut trois fois plus insistant qu’à l’époque pour appeler ses électeur à n’apporter « pas une voix à Madame Le Pen ». Et maintenant, on fait quoi ?

Les candidats de la « gauche », forcés de constater le rassemblement de leurs électeurs autour du nouveau bloc de l’Union Populaire, ont choisi de passer tout de suite à l’élection législative en engageant des négociations de boutiquiers pour la répartition des circonscriptions en juin. Mais, est-ce bien raisonnable d’envisager le « troisième tour » en faisant l’impasse sur le second ? Jean-Luc Mélenchon peut se voir nommé premier ministre d’un gouvernement de cohabitation, encore faudrait il qu’il ait une majorité parlementaire pour cela. Et il est probable que l’élection législative ne se déroulera pas dans les mêmes conditions si l’un ou l’autre des deux finalistes est élu dimanche soir locataire de l’Élysée.

Il importe donc de regarder de plus près la composition sociologique et géographique des électeurs du premier tour. Le député de la Somme, François Ruffin, plus lent à la détente que ses petits camarades insoumis, a attendu le 15 avril pour donner son sentiment sur la situation. Dans un premier temps, il lance un cri de victoire, soulignant que « Jean-Luc a sauvé la gauche… il a mené une campagne formidable… fait des meetings dignes d’une rock star ». Tout cela est vrai et ça fait chaud au cœur de se le rappeler. Mais, comparant son équipe de campagne à l’équipe de France de foot à l’époque du trio magique des Bleus de l’Euro 1984 (Platini, Tigana, Giresse), il s’interroge : « Quand est-ce qu’on va gagner la finale ? ». Puis il se lance, en bon élève de l’anthropologue Emmanuel Todd, dans une analyse détaillée, carte à l’appui, des résultats des votes par région et par type de population. Et là, le verdict tombe, presque sans appel : dans sa « circo », Amiens Nord vote Mélenchon à 60% mais Flixecourt donne 44% à Marine Le Pen (appelons la MLP, c’est moins pénible à prononcer).

Les grandes agglomérations votent Mélenchon fortement (l’île de France, Lyon, Marseille, etc.) ainsi que les Dom-Tom, mais la moitié de la France vote Bleu Marine, en particulier celle des communes périphériques et des anciens bassins industriels ouvriers. En région parisienne, Mélenchon gagne 8 points par rapport à 2017 à 24%, mais dans les communes de 20 000 à 100 000 habitants, il en perd 7 à 14%.

D’après une typologie établie par le professeur de science politique Jean-Yves Dormagen, les « révoltés », « multiculturalistes », « progressistes » et « solidaires », ont voté massivement pour Mélenchon (+ de 60%), tandis que les « réfractaires », « eurosceptiques », et « socio-patriotes » ont préféré Le Pen (+ de 50%). De leur côté, les cadres supérieurs et les retraités de plus de 65 ans se sont tournés vers Macron. Todd lui-même considère dans une interview au site d’information Elucide, que la France se stabilise autour de trois pôles politiques assez nets qui rejettent les partis politiques traditionnels et se retrouvent autour des leaders de mouvements : Les cadres supérieurs et les retraités font confiance à Macron pour passer entre les gouttes de la crise économique, les jeunes diplômés mais économiquement déclassés, ainsi que les français des Dom-Tom ou issus de l’immigration attendent de Mélenchon un sursaut économique et une amélioration de leur situation et les catégories populaires, souvent peu diplômées et habitants de la France périphérique, espèrent une politique autoritaire et protectionniste.

Dans ce contexte, Emmanuel Todd considère que, plus encore qu’en 2017, ce second tour sera un vote de classe. J’ajouterai cette remarque de l’avocat François Boulo, ex-figure des Gilets jaunes qui mesure l’évolution des votes qualifiés d’extrêmes par les médias (à gauche de Mélenchon à Roussel, Poutou et Arthaud et à doite de Le Pen à Zemmour en passant par Dupont Aignan) : ceux-ci totalisaient 25 % des suffrages en 2007, 35 % en 2012, 48 % en 2017 et plus de 60 % aujourd’hui.


Alors, la question revient, lancinante : Dimanche 24 avril 2022, on fait quoi ?


Comme vient de l’écrire l’avocat Regis de Castelnau, ancien membre du parti communiste, sur son blog « Vu du droit », « il faut être clair, que veut dire voter pour Emmanuel Macron ? C’est d’abord approuver son bilan, la destruction du droit du travail, la poursuite de celle du système de santé, entériner l’affaiblissement drastique des institutions avec la disparition de la séparation des pouvoirs, la violence contre les mouvements sociaux et en particulier la répression jamais vue depuis la guerre d’Algérie du mouvement des gilets jaunes, s’accommoder des multiples lois liberticides, de la mise en place d’un système ultra autoritaire où la liberté d’expression et de manifestation sont tous les jours malmenée, ne voir aucun inconvénient aux privatisations réservées aux copains, à la poursuite du dépeçage de l’outil industriel français, à la corruption géante du sommet de l’appareil d’État… On s’en tiendra là, mais la liste est encore longue. » On pourra ajouter, comme le rappelle l’économiste Christian Chavagneux, l’accélération drastique de l’austérité imposée aux services publics avec l’objectif de réduire de 3 points de PIB, soit 75 milliards d’Euros par an, les moyens alloués à l’investissement public, à la fonction publique (en particulier dans l’éducation et la santé) et aux prestations sociales, telle qu’elle est annoncée dans le « programme de stabilité budgétaire » rédigé par le gouvernement français à l’intention de la Commission Européenne. On n’oubliera pas non plus, l’élargissement de l’embargo européen sur les produits pétroliers russes, annoncé par le New-York Times du 14 avril mais dont la décision a été reportée après le 24 avril pour ne pas effrayer les électeurs français.

Si Emmanuel Macron est réélu, il est assuré de retrouver une majorité parlementaire en juin, même si celle-ci n’est pas absolue comme au dernier mandat. Rien que dans notre département de la Mayenne, alors que seule Géraldine Bannier (MoDem) se recommandait officiellement de la majorité présidentielle en 2017, elle sera au moins suivie cette année par Yannick Favennec (UDI).

A contrario, poursuit Régis de Castelnau, « Élire Marine Le Pen est bien sûr un pari, mais il est beaucoup moins risqué que de choisir Macron. L’effet de rupture produira des possibles, ce coup d’arrêt provoquera des recompositions politiques, et la dirigeante du Rassemblement National ne pourra pas gouverner seule. Et là, la lutte politique reprendra tout son sens. » J’ajouterai que si elle est élue, elle aura beaucoup de mal à obtenir une majorité à l’Assemblée nationale et on pourra voir se constituer les trois blocs de députés, LREM, RN et insoumis, qui devront batailler et négocier pour chaque projet de loi présenté par le gouvernement nouvellement constitué. Cette dynamique politique, qui pourra être violente, sera amplifiée par le fait que, affublée de l’étiquette d’extrême droite (si ce n’est de celle de fasciste), MLP sera aussi diabolisée par les médias qui se trouveront bien embarrassées pour critiquer les mouvements populaires que ne manqueront pas de provoquer ses tentatives de lois liberticides.

Favori du second tour, et porté par des électeurs peu enthousiastes pour son projet, comme ici lors de la manifestation du Samedi 16 avril à Paris
Favori du second tour, et porté par des électeurs peu enthousiastes pour son projet, comme ici lors de la manifestation du Samedi 16 avril à Paris

Quant aux adeptes du Nini, rejetant l’une et l’autre des deux candidats en lice et s’apprêtant à s’abstenir ou à voter blanc ou nul, on ne peut que les comprendre sur cette position de principe. Ils entendent délégitimer le nouveau locataire de l’Élysée qui aura été élu sur une base électorale faible. Malheureusement, cela n’a pas fonctionné en 2017, ni aux dernières élections municipales et régionales qui ont connu des taux record d’abstention. Pour conclure et en reprenant une pancarte de manifestant, il nous faudra choisir dimanche prochain entre « un vote qui pue et un vote qui tue », reste à définir lequel est l’un et lequel est l’autre. A tout prendre, choisissons le « moins pire », le choléra peut être plutôt que la peste assurément.

Et comme l’élection du 24 sera un vote de classe, je choisis de me ranger du côté du vote populaire en pensant très fort avec la philosophe humaniste Simone Weil : « quand il s’agit de penser la justice, l’intelligence d’un ouvrier ou d’un paysan est mieux outillée que celle d’un normalien, d’un polytechnicien ou d’un élève de sciences politiques ». ◼


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1 thought on “« Alors ce Dimanche, on fait quoi ? – par Charles Bujalsky 🔓”

  1. Très bonne analyse de la situation !
    J’ai voté Mélenchon au premier tour… et je ferai de même au second !
    Par contre, je ne peux pas aller jusqu’à choisir l’extrême car c’est trop grave pour nos libertés.
    Claude PIOU

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