Quand la Vierge de Pontmain provoque des débats en s’invitant dans le dernier numéro du magazine départemental. C’est une lettre ouverte de la Libre Pensée 53 signée par son président Gérard Prioul et envoyée au président du conseil départemental de la Mayenne Olivier Richefou qui en est à l’origine. La Libre Pensée fustige, en rappelant le principe fondamental de la Laïcité, l’utilisation dans un article une « propagande religieuse à l’état brut qui offre à un clan particulier [une] tribune prosélyte, religieuse en l’occurrence, selon un procédé profondément antidémocratique. » écrit-il à Olivier Richefou. Le débat d’idées intervient, en fait, après la parution d’un petit article sur Pontmain, dans le dernier numéro du magazine départemental « MayMag » ; un article « tout droit sorti d’une carte postale jaunie et poussiéreuse » selon Michel Ferron qui réagissant à son tour nous fait parvenir la copie de sa double lettre envoyée aux Présidents Prioul et Richefou. – Verbatim
Par Michel Ferron*
Lettre à Gérard Prioul, président de la Libre Pensée 53
Je ne partage pas la même irritation que vous face à la parution de cet article dans le dernier numéro du magazine MayMag édité par le CD 53. Selon moi, cette initiative éditoriale peut se concevoir au titre de l’héritage historique et patrimonial de la Mayenne. En effet, bien au-delà des faits supposés s’être déroulés dans le ciel du hameau de Pontmain, le soir du 17 janvier 1871 – et quoi qu’on puisse, les uns et/ou les autres, en penser légitimement en termes de croyances ou de philosophie laïque – l’événement en lui-même peut être versé au dogme de l’« attractivité », si cher au Président du conseil départemental de la Mayenne. Certes, on connaît les errements dispendieux (et fort peu politiquement corrects) auxquels peut conduire cette orientation, maintes fois dénoncée avec raison dans leglob-journal, dont vous êtes, comme moi, un contributeur occasionnel.
Le courant de dévotion populaire et les pratiques cultuelles, suscités par cette « apparition » sont bien à la source de la notoriété exceptionnelle d’une petite commune mayennaise, si l’on se réfère au déplacement annuel de milliers de pèlerins, engendrant des activités touristiques dont les retombées économiques et financières sont loin d’être négligeables.
Pour faire court, on pouvait cependant avoir une approche laïque de ce « phénomène » surnaturel (ce que ne fait pas l’auteur de cet article), en le passant au crible d’une étude objective, prenant en compte la complexité d’un contexte historique donné.
C’est, pour l’essentiel, la démarche proposée par le numéro spécial de L’Oribus (109), édité par l’association « Histoire et Société en Mayenne », Pontmain, 17 janvier 1871, une apparition providentielle ancrée dans l’histoire (Par Michel Ferron) paru en décembre 2020 (actuellement épuisé) et qui avait fait l’objet d’un article dans leglob-journal.fr
L’absence de référence à cette étude, dans le corps de l’article (pas même au sein d’une petite annotation), est d’autant plus singulière que l’association et sa revue sont subventionnées par l’assemblée départementale…
Lettre à Olivier Richefou, directeur de la publication de MayMag, président du Conseil départemental de la Mayenne
Pour donner suite aux considérations formulées ci-dessus, j’éprouve le besoin de réexprimer mon grand regret, en tant qu’auteur de l’étude mentionnée et ancien élu départemental, qu’il ne soit pas fait état de ce numéro spécial d’une revue, bénéficiant d’une subvention du CD 53.
En effet, l’analyse qui y est proposée est fort éloignée de l’image pieuse et surannée véhiculée par l’article, tout droit sortie d’une carte postale jaunie et poussiéreuse. Aucune distance ni recul dans cette présentation sommaire, qui continue à colporter implicitement la légende tenace d’une intervention miraculeuse ayant stoppé l’armée prussienne à St Melaine, aux portes de Laval.
On pourrait trouver intellectuellement malhonnête de passer ainsi sous silence les études circonstanciées des archives militaires allemandes de l’époque, accréditant le repli des troupes prussiennes sur la base de motifs de stricte stratégie interne.
Plus désolant encore est la présentation idyllique de l’exploitation ultérieure des faits, qui après leur authentification en un temps record par Mgr Wicart, le premier évêque de Laval, de tendance ultramontaine, ont fait l’objet d’un second procès canonique (1919-1920), conduit par Mgr Grellier. Au cours de celui-ci, l’une des « voyantes », Jeanne-Marie Lebossé, prononça un acte de rétractation, recueilli en grand secret par un tribunal ecclésiastique au monastère des Trappistines de la Coudre à Laval, le 15 décembre 1920. Ce revirement est resté caché jusqu’en 1970, année du centenaire, à partir de laquelle le diocèse de Laval a accepté de le divulguer à l’occasion de la parution de l’importante somme rédigée par le Père Laurentin, ancien expert des apparitions de Lourdes.
Tous ces éléments ont fait l’objet de communications durant les deux jours de l’important colloque « Pontmain : textes, contextes, interprétations »,organisé par les Archives départementales, qui s’est déroulé dans la salle des délibérations du CD 53, les 13 et 14 janvier 2021. Sans doute, objectera-t-on, il était difficile d’aborder toutes ces questions dans le cadre d’un simple articulet d’ornementation. Mais il était possible d’opter pour le dépassement minimal d’une simple vision passéiste …
On pardonnera, je l’espère, la vanité d’un auteur soucieux de compléter la présentation écornée d’une page d’histoire départementale, inspiré par ses souvenirs d’ancien petit Craonnais, biberonné au lait sirupeux des cantiques en l’honneur de la Madone, sous la férule d’un brave curé apparenté à la famille de l’un des voyants. On peut avoir connu une telle forme d’endoctrinement avant de prendre ses distances avec cet univers de religiosité et les institutions de l’Eglise officielle.
Et la laïcité, dans tout ça ?
Tout en souscrivant à l’essentiel du manifeste joint au courrier de Gérard Prioul (co-signé par la Libre Pensée 53, la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et la Ligue de l’Enseignement), je me bornerais à soulever une observation quant à la « vocation émancipatrice de la laïcité ». Oui, cette attitude de neutralité vigilante apparaît bien comme le meilleur remède contre toute forme d’aliénation dogmatique.
Pour autant, on le sait, le zèle d’un certain laïcisme extrémiste peut aboutir à la même posture d’obscurantisme que celle que l’on prétend dénoncer, si l’on exige d’occulter, dans l’histoire culturelle par exemple, des pans entiers de l’ancienne chrétienté (ou d’autres nébuleuses transcendantales) ayant laissé des traces dans le patrimoine artistique (architecture, littérature, musique …) Le débat sur ce terrain, on le sait, reste sensible mais il ne peut être abordé par le prisme d’une laïcité recroquevillée sur elle-même.
Une suggestion de lecture, pour terminer : celle du livre Une théologie laïque ? (Puf, 2021, 100 p.) de Vincent Peillon, philosophe de formation et ancien ministre socialiste de l’Education Nationale au début du quinquennat de François Hollande. ◼
*Michel Ferron, membre du comité de rédaction de L’Oribus, ancien conseiller général du département de la Mayenne (2004-2015)
Ci-dessous les lettres envoyées par Gérard Prioul au Département de la Mayenne :
