La statue de Psyché au Jardin de la Perrine à Laval en Mayenne dans les années 80 – Jean-Yves Gougeon leglob-journal.fr
Psyché ne recevra pas les 8 000 € promis pour sa restauration … Vous avez voté sur internet jusqu’au 23 mars 2025 mais pas assez pour la désigner. En revanche la municipalité de Laval a décidé » devant la ferveur pour Psyché (…) la mise en place de travaux d’urgence visant à assurer la conservation de la statue (…) 13 000 €, soutien financier de la Fondation du patrimoine et du Club des mécènes du patrimoine de la Mayenne ». Psyché qui a bien souffert au sens propre comme au figuré veille sur le Jardin de la Perrine à Laval. C’est l’odyssée lavalloise de Psyché qui vous est peut-être inconnue que Jean Yves Gougeon qui fut Adjoint à la culture et au patrimoine d’André Pinçon vous fait découvrir dans leglob-journal.fr.
Par Jean-Yves Gougeon*

Ma première rencontre avec Psyché date de l’année 1967 au Musée-école de la Perrine où je surpris, un jour, deux de mes élèves adolescents plantés devant, dans une niche cachée derrière le tableau à craie. Une statue nue semblait y avoir été oubliée… Renseignements pris auprès du gardien, celui-ci me confia ne pas savoir depuis combien de temps cette œuvre d’art y dormait, ni son nom, ni son histoire… Une quinzaine d’années plus tard, je profitais d’une visite au Musée-école, pour demander au tout nouveau directeur de revoir Psyché. Elle était toujours à la même place.
Pourquoi reposait-elle dans cette salle, oubliée derrière ce tableau à l’abri des regards ?
En 1879, Aimé Billion est élu maire de Laval et il souhaite que sa ville continue à s’enrichir d’œuvres d’art. Il charge alors son adjoint M. Hureau de négocier avec le ministère de l’Instruction publique qui vient tout juste d’hériter aussi de la compétence « Beaux-arts », l’obtention d’une sculpture. Après moult incertitudes le choix se porte sur la statue Psyché. Extrait d’une lettre écrite par Hureau le 28 mars 1884.

À Armand Fallières, Ministre de l’Institution. Mon cher ami, Permettez-moi de vous rappeler la demande qui vous a été faite au nom de la ville de Laval d’une statue destinée à orner un de ses jardins publics. […] Nous ne sommes pas difficiles et les élections approchent… Bien à vous… »
Près de trois mois plus tard, dans une lettre datée du 12 juin 1884, le ministère informe le maire de Laval que suite à l’arrêté du 30 avril, « la statue marbre de Psyché, œuvre de M. Lavigne, mise à votre disposition par M. Le Ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, pour être placée en dépôt à l’Hôtel de Ville de Laval vient d’être remise à la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest pour être expédiée en petite vitesse, contre remboursement des frais d’emballage et de transport. »
Le conseil municipal ravi, et soucieux aussi de mettre en valeur cette statue, un « original » en marbre blanc, souhaite qu’elle puisse être vue d’un large public. Il décide alors que le meilleur emplacement pour Psyché reste encore celui des « Promenades de Changé ». « Elle formera un ensemble agréable avec Diane à la biche et ses autres consœurs. » déclare le maire Aimé Billion.
À peine installée sur Les Promenades, la belle Psyché est loin de laisser indifférents les promeneurs. Elle est en effet la seule parmi ces dames statufiées à découvrir sa nudité. Nudité qui choque et même offusque, comme nous allons le voir par la suite, certains Lavallois.
Dans la nuit du 26 au 27 février 1885, elle subit sa première agression. La presse s’empare du méfait et dès le lendemain elle nous informe : « que des malfaiteurs l’ont décapitée en se servant sans doute d’un marteau ». Son aile droite et son sein gauche sont brisés. La fouille organisée dans le square ne donne rien. Impossible de retrouver la tête, elle a disparu ! Ce n’est que quelques mois plus tard que Le Courrier du Maine nous apprendra que : « suite de l’intervention d’un scaphandrier la tête a été retrouvée dans le lit de la rivière. La police est toujours impuissante à retrouver les coupables ».


Les élus municipaux en point de mire de la presse conservatrice
Les élus municipaux, craignant qu’elle ne subisse d’autres dégradations, lui cherchent : « un lieu clos où elle sera beaucoup plus en sécurité, surtout la nuit ». Ils optent finalement pour le Jardin de la Perrine, un jardin public avec gardien, entouré de murs et dont l’entrée principale donnant sur la place de Hercé, est fermée tous les soirs par une grille.
Restaurée, Psyché prend donc place sur un piédestal installé au milieu d’un parterre de palmiers, situé à droite du pavillon de l’entrée. Mutilée, il ne lui reste plus qu’une aile. Elle semble cependant avoir trouvé sous les ombrages de ce nouveau lieu, la perspective de se reposer en paix. Le conseil municipal quant à lui, respire : « elle est maintenant à l’abri de nouvelles agressions ». Cette tranquillité ne sera pour Psyché, hélas ! que de courte durée.
À l’instar de L’Écho de la Mayenne, la presse dénonce le choix des « notables municipaux ». Elle n’hésite pas à les brocarder et les ridiculiser. Elle cible principalement le maire républicain Aimé Billion et son adjoint aux Arts Hureau.
L’Écho du 23 juin 1894 relate de soi-disant souvenirs de l’Adjoint au maire lors du choix de la statue au salon de Paris de 1884. « Je me souviendrai toujours de la mémorable journée dans laquelle Bibil (Lors de nos recherches plusieurs fois nous avons retrouvé dans la presse d’opposition ce diminutif,
« Bibil » attribué au maire de Laval Aimé Billion) et moi, nous nous présentâmes au salon de Paris. Je parcourais les galeries, examinant les plâtres, les marbres, les bronzes.
Bibil ne venait point. Je le cherchais partout ; enfin, dans la salle B, je le découvrais en contemplation devant la demoiselle que voilà. Qu’elle était belle alors !
– Si nous prenions cette petite, me dit-il, en lui tapotant sur les joues, ça nous rappellerait…
– Chut ! interrompit un gardien, on ne touche pas aux statues !
– C’est que le ministre nous offre un marbre à choisir.
– Suffit ! adressez-vous à l’auteur : M. Lavigne, 14 rue des Dames, aux Batignolles.
– Lavigne, pensais-je tout haut, la vigne en hiver alors, car il ne lui restait pas même une feuille pour cette pauvre…?
– Psyché, répondit le gardien.
Le nom ne « nous disait pas grand-chose », mais, avec la déesse, il faisait plaisir à Bibil, nous la choisîmes donc. Huit jours après la statue arrivait à Laval. Comme elle était toute blanche en marbre, on la plaça peu loin d’Ambroise Paré tout noir, en bronze, pensant que ça ferait plus d’effet, à l’entrée des Promenades » (aujourd’hui Cours de la Résistance).

En 1894, Psyché fait de nouveau la Une des journaux locaux. Pudiquement L’Écho de la Mayenne nous apprend : « Qu’il lui arrive depuis quelque temps d’être maculée d’une indécente façon ; certains reliefs et le dessous des bras ont été salis de boue et crayonnés ! ». Dans la nuit du mercredi 20 juin 1894. « Les malheurs de Psyché recommencent ». La statue est de nouveau agressée.
La presse locale s’empare avec jubilation et moult détails, de ce qu’elle appelle « L’affaire de la Perrine. Des malfaisants, précise L’Écho, se sont introduits à la Perrine près de la porte d’Hydouze, croit-on, et d’un effort qu’il a fallu énergique ont précipité en bas de son piédestal l’infortunée Psyché.«
« La statue a dû être saisie par l’épaule car la fracture des pieds auprès de la cheville est franche et nette, et le marbre gît dans le gazon, la face dans un trou profond creusé par son propre poids. Le piédestal ne portant plus que les pieds et l’extrémité d’un manteau qui ne couvrait rien, a été ensuite descellé du socle et jeté à terre. Le gardien qui avait fait sa tournée hier soir à 9 h 1/2 n’avait rien vu d’anormal. »
Ce journal, toujours prompt à défendre « l’ordre et la morale » pose alors la question de l’existence d’une statue nue à la vue de tous. « Nous improuvons, autant que quiconque, la mutilation des œuvres d’art ; on nous permettra toutefois de faire remarquer que le nu absolu en sculpture est mieux à sa place dans un musée que dans le jardin public. Ici, en effet, se promènent librement mamans, enfants, adolescents, hommes faits : et il semblerait de bonne morale de ne point éveiller dans la jeunesse des sentiments qu’elle éprouvera toujours assez tôt».
Et pour renforcer sa position, L’Écho moraliste dénonce aussi le côté pervers de certains livres de la bibliothèque municipale en direction de la jeunesse : « Et si l’on nous taxe de pruderie et d’exagération, nous ajouterons que, assez récemment de nombreux jeunes gens demandaient souvent à la bibliothèque de la ville, les mêmes volumes illustrés ; l’administration, devinant le motif de cette malsaine curiosité, supprima d’un coup les illustrations et depuis, ces volumes se couvrent de poussière ».
Quant au Courrier du Maine il précise que : « La police fait d’actives recherches pour découvrir le ou les coupables, mais il est probable qu’elle ne sera pas plus heureuse qu’en 1885, et fera encore une fois buisson creux ».
L’Avenir de la Mayenne, journal républicain, reste, lui, plus sobre dans ses commentaires : « Les sinistres farceurs ont dû pénétrer dans le jardin pendant la nuit de mercredi à jeudi. Qu’on les pince, et cela leur coûtera cher ».
Quelques jours après le journal dans un petit entrefilet de son édition du 22 juillet précisait que « le nommé Bertron arrêté à Rennes comme étant l’auteur présumé de l’acte de mutilation de la statue de Psyché à la Perrine vient d’être relâché. Une ordonnance de non lieu a été rendue en sa faveur ».

Aujourd’hui, Psyché ne connaît toujours pas le nom de son ou ses agresseurs. » – Jean-Yves Gougeon

Les polémiques entretenues par ses opposants et devant les mutilations répétées sur la statue décident le maire, soutenu par son conseil municipal, de soustraire aux yeux du public « la divinité dévêtue » afin d’éviter de nouveaux incidents. Psyché disparaît du jardin. Elle est remisée, allongée dans les sous-sols du pavillon de la Perrine. Cachée aux yeux du public, elle se fait petit à petit oublier par la population lavalloise et restera endormie pendant quatre décennies…
Elle doit attendre 40 ans, en 1936, pour trouver l’homme, le « Cupidon » lavallois qui la réveille. Il s’appelle Adrien Bruneau. D’origine modeste, Inspecteur général du dessin d’art au Ministère de l’Éducation Nationale, il vient de prendre sa retraite. Il consacre maintenant son temps à mettre en place à Laval, une école d’arts originale : « Le musée école de dessin et d’art floral » qui deviendra par la suite « Le musée école de la Perrine ». Il est soutenu dans cette entreprise par le maire, son ami Adolphe Beck. Son souhait : « rendre à sa ville natale le bien qu’elle lui avait fait : créer œuvre à la portée de tous, grands et petits, capable de les hausser vers le Beau et de leur donner le goût d’une vie meilleure ».
Lors de travaux entrepris dans le pavillon de la Perrine pour accueillir l’école, surpris, Adrien Bruneau découvre dans la cave la statue cachée sous un gros tas de bois. Séduit par l’œuvre, il décide de la faire restaurer. Malheureusement Psyché perdra définitivement ses ailes dans l’opération. Adrien Bruneau l’expose dans la salle du premier étage du tout nouveau musée école. Quelques années plus tard, elle sera placée à l’intérieur d’une niche dans la salle Boucrel située au rez-de-chaussée du bâtiment.
Lors de ma prise de fonction en 1983 comme élu responsable de la culture, je demandais au directeur du Musée École de la Perrine, Bernard Legendre, d’étudier le retour de Psyché dans le jardin. Nous étions conscients que, contrairement à la plupart des jardins publics, « La Perrine » à Laval se trouvait « tristement » dépourvue d’œuvres d’art !
Aujourd’hui, la sculpture d’Hubert Lavigne a retrouvé son jardin et son piédestal. Curieusement ce dernier était toujours resté en place. Peut-être espérait-on un jour le retour de la divinité ? En ce début de nouveau millénaire, Psyché n’a plus ses ailes de papillon. Sur son corps de marbre blanc les cicatrices dues à l’obscurantisme et à la bêtise des hommes, sont toujours visibles. Dans ses épreuves, elle a perdu un peu de sa beauté originelle. Beauté à l’image de celle que pouvaient imaginer les néo-platoniciens qui voyaient dans son mythe : « la promesse d’une renaissance, d’une vie future, d’un bonheur éternel ».
Les Amours de Psyché – Éloge de l’Amour par Jean de la Fontaine (1621-1695)
Tout l’Univers obéit à l’Amour ; belle Psyché, soumettez-lui votre âme.
Les autres dieux à ce dieu font la cour, et leur pouvoir est moins doux que sa flamme.
Des jeunes cœurs, c’est le suprême bien. Aimez, aimez ; tout le reste n’est rien.
Sans cet Amour, tant d’objets ravissants, lambris dorés, bois, jardins et fontaines, n’ont point d’appâts qui ne soient languissants,
Et leurs plaisirs sont moins doux que ses peines. Des jeunes cœurs, c’est le suprême bien. Aimez, aimez ; tout le reste n’est rien…. ⬛
Les deux autres œuvres en compétition au coté de Psyché sont le portrait de Cambronne, de Georges Scott (1873-1942) exposé à la mairie de Saint-Sébastien-sur-Loire en Loire-Atlantique et une statue médiévale d’une sainte présentée en l’église Notre-Dame de Saint-Christophe-du-Jambet dans la Sarthe.
Pour voter c’est ICI
*Jean-Yves Gougeon a été de 1982 à 1995 Adjoint à la culture et au patrimoine d’André Pinçon maire de Laval
