Le Stade Lavallois et la Grande guerre – Par Laurent Villebrun 🔓


Crée en 1902, le Stade Lavallois est, avant la Première Guerre mondiale, l’une des équipes majeures du Championnat de Bretagne avec le Stade Rennais et l’US Saint Servan (Saint Malo). Disposant de moins de moyens que ces concurrents bretons, qui recourent à des joueurs étrangers et à des transferts, les Lavallois s’appuient déjà sur la formation pour se maintenir au plus haut niveau. Cette jeune garde provient principalement du Lycée de Laval (actuel Lycée Ambroise Paré). Insouciants et talentueux, ces jeunes joueurs comme nombres de mayennais vont pourtant être plongés dans le plus terrible conflit du 20e siècle.

Par Laurent Villebrun*


Malgré l’horreur des combats, le football restera, lors des permissions ou à l’arrière des lignes, un moyen d’oublier le quotidien de la guerre et de se raccrocher à la vie. Le Stade Lavallois porte en lui cette histoire tourmentée mais souvent oubliée. Il est un de ces rares clubs centenaires qui a survécu, grâce aux sacrifices de ces joueurs et de ses dirigeants, malgré ce terrible conflit.

1914 -1915 : un football de guerre – Le mercredi 5 août 1914, c’est au son du clairon que les régiments stationnés à Laval quittent le département de la Mayenne. Ils amènent au front une jeunesse mayennaise qui comporte parmi elle de grands espoirs du ballon rond, mais dont les rêves de victoire ne sont plus ceux des terrains de football mais ceux des champs de batailles.


« Les ballons du soldat »


Au cours de cet été 1914, le football est bien évidemment mis entre parenthèse et l’ensemble des compétitions suspendues. Les sportifs sont au front et dans les journaux commence alors la longue litanie des « sportmen » tués ou blessés au combat. Du 5 au 12 septembre 1914, la France et l’Allemagne s’affrontent lors de la bataille de la Marne qui tourne au carnage. Plus de 200.000 français meurent sur le terrain, sont disparus ou blessés. Le Stade Lavallois n’est guère épargné et l’équipe qui avait fait lever les foules avant-guerre, sur son terrain du Champ de la Croix, connaît ses premières disparitions.

Lors de l’hiver 1914, les armées adverses s’immobiliseront face à face sur une ligne continue de 780 kilomètres, allant de la mer du Nord à la Suisse. La guerre deviendra ainsi, une guerre de position et de tranchées. Cette relative accalmie permet aux poilus de bénéficier de quelques moments de repos à l’arrière. Les anciens « sportmen » appartenant aux clubs d’avant-guerre vont vite se livrer à leur passion en improvisant des matchs de football pour oublier l’horreur de leur quotidien. Souvent réservé à une certaine élite sociale d’avant-guerre, le football, ce jeu aux règles simples va connaître un véritable engouement chez les poilus. Le journal L’Auto mettra même en place dès novembre 1914 une opération caritative « Les ballons du soldat  » qui vise à envoyer des ballons de football aux hommes servant sur le front.

A Laval, loin des combats, quelques matchs de football amicaux vont se dérouler mettant aux prises des lycéens ou des joueurs non encore mobilisés ou démobilisés. Ainsi un match est organisé entre le Stade Lavallois et l’AS Beauregard (l’ancêtre de l’USL), le 26 décembre 1915.

Il se soldera par une lourde défaite des stadistes : 6 à 0. Le club « blanc et vert » qui seront les couleurs du Stade Lavallois jusqu’en 1921, et qui a perdu ses meilleurs joueurs n’est plus que l’ombre de lui-même. On peut réellement s’inquiéter sur son avenir.


1916 : le retour du football à Laval


Parallèlement, le ministère de la Guerre sollicite les différentes fédérations en charge du football, pour qu’elles demandent aux différents clubs de reconstituer au plus vite leurs équipes de football. Cette demande a un double objectif. Contribuer d’abord au moral des français en leur proposant des matchs, mais aussi améliorer la préparation physique d’une jeunesse qui un jour ou l’autre sera appelée à participer à une guerre qui s’annonce longue et meurtrière.

L’année 1916 marque le retour du Stade Lavallois qui semble retrouver un second souffle. Composé de très jeunes et d’anciens joueurs, revenus du front, les stadistes multiplient les matchs amicaux face aux autres équipes lavalloises comme l’US Beauregard ou le Lycée de Laval (Actuel Lycée Ambroise Paré).

Il est vrai que partout en Bretagne le football reprend. De nombreux matchs sont organisés, sans pour autant constituer un championnat régional officiel. Toutefois un championnat de Bretagne scolaire renommé « coupe de la guerre » est créé en cette année 1916 et voit s’affronter la jeunesse encore épargnée par le conflit dont les élèves du Lycée de Laval, qui apparaissent grands favoris eu égard aux nombreux titres déjà glanés avant-guerre. Ce renouveau du Stade Lavallois va connaître sa première concrétisation le dimanche 13 Février 1916 face à l’Amical Club de Rennes. Ce match est une rencontre importante pour la jeune garde lavalloise. Elle veut montrer que le football n’est pas mort à Laval.

Les Lavallois seront à la hauteur de l’évènement et gagnerons cette rencontre 2-1 devant des centaines de spectateurs heureux de revoir enfin des matchs de ce niveau à Laval. (Ouest Eclair édition de Caen 17 février 1916).

Cette marche en avant des Lavallois les mène immanquablement à Rennes pour affronter le rival de toujours, à savoir le Stade Rennais. Cette confrontation qui n’a pas eu lieu depuis deux ans se déroule le 16 avril 1916. Contrairement aux lavallois, les rennais ont pu jouer plus régulièrement en 1915, en disputant une épreuve dénommée « coupe de Rennes » réunissant les différentes équipes rennaises. Ce qui a permis de palier l’absence de championnat régional. Logiquement, les Lavallois ne pèseront pas lourd et devront s’incliner 9 -0. (Ouest Eclair 17 avril 1916).


1916-1918 : un championnat de guerre


Passée cette lourde défaite, le Stade Lavallois, au plus mal en 1915, semble à nouveau compter dans le paysage footballistique de l’ouest de la France en cette fin de saison 1916. De plus, le Lycée de Laval, véritable réserve du Stade Lavallois remporte « la coupe de la guerre » en surclassant le 4 mai 1913, à Rennes, l’Union Sportive Collégiale de Saint Servan sur le score de 3 buts à 2 après prolongations. (Ouest Éclair 12 mai 1916).

La plaque avec les noms de ceux du Stade Lavallois qui sont « tombés au front » – © leglob-journal.fr

Fin 1916, le comité de Bretagne USFSA – principale fédération gérant le football – décide la création pour la saison 1916-1917 d’un championnat de Bretagne dit « de guerre  » dénommé Coupe Ernest Guéguendu nom du joueur de l’US Servannaise, ancien international, « mort au champ d’honneur » en septembre 1915.

Le Stade Rennais, l’US Rennes, le Stade Briochin, le Club athlétique de la Société Générale de Saint Malo et le Stade Lavallois donnent leur accord pour ce championnat qui se jouera par match aller-retour sur une période allant du 26 novembre 1916 au 11 mars 1917.

Pour cette saison qui s’avère être la première réellement complète pour le Stade Lavallois depuis le déclenchement des hostilités, les mayennais présentent une belle équipe composée de nombreux jeunes issus du Lycée de Laval et de permissionnaires.

Ils ont toutefois du mal à stabiliser une équipe compétitive sur la durée, certains joueurs partant régulièrement au front. En effet deux des batailles les plus terribles de cette première guerre mondiale font rage, Verdun et la Somme, où sont engagés les régiments mayennais. Dans les deux camps des centaines de milliers d’homme laisseront leur vie ou seront mutilés à jamais.

Une coupe inter-fédérale

Face aux difficultés liées à la guerre, les grandes villes bénéficient quant à elles d’un réservoir plus important de joueurs pouvant alimenter les équipes premières et les grands clubs, principalement parisiens mais aussi rennais qui ont repris une politique de « transferts » déguisés. Le Stade Lavallois ne peut compter que sur le courage de sa jeunesse et de ses anciens qui n’oublient pas leur club de cœur dès qu’ils peuvent obtenir une précieuse permission.

Le premier match de ce nouveau championnat de Bretagne pour le stade Lavallois, a lieu à Laval contre le Club athlétique de la Société Générale de Saint Malo. Drôle de match en vérité qui débute en retard pour cause d’absence d’arbitre officiel, remplacé par au pied levé par un soldat en permission et se termine dans l’obscurité. Les deux équipes se quittent sur un score de parité : 2 à 2. (Ouest Éclair 13 décembre 1916). Ce championnat sera remporté logiquement par le Stade Rennais, mais le Stade Lavallois malgré un parcours mitigé (3e sur 4) a réussi dans un contexte plus que difficile à disputer l’ensemble des matchs en enregistrant qu’une seule défaite.

Après la trêve de printemps et de l’été consacrée aux autres sports et principalement à l’athlétisme, les stadistes préparent la nouvelle saison 1917-1918 avec beaucoup d’ambitions. Chacun aussi espère que cette future année 1918 marquera la fin de cette terrible de guerre, avec le soutien des États- Unis qui viennent de rentrer dans le conflit et dont les soldats commencent à débarquer sur le sol français.

Le football français, quant à lui, vient de connaître en janvier 1917 une mini révolution avec la création d’une coupe inter-fédérale qui a vocation à remplacer les différentes coupes des diverses fédérations. Il s’agit de la coupe Charles Simon, ancêtre de l’actuelle Coupe de France et qui porte le nom de ce grand dirigeant du football, lui aussi « tombé au champ d’honneur » en 1915.

Le Stade Lavallois, n’ayant pas le droit au chapitre dans cette coupe Charles Simon, il doit se contenter de la désormais classique Coupe Guégen. A lui de bien y figurer pour espérer, l’année prochaine, rejoindre cette nouvelle épreuve et affirmer ainsi son retour parmi les grands car comme le fait remarquer à juste titre le journal l’Ouest Éclair le 18 octobre 1917 ; il constate en passant que « des cinq clubs d’avant-guerre de première série, seuls les Stade Rennais et Lavallois ont tenu ». Ceci démontre la capacité du club mayennais, malgré la guerre, à pouvoir présenter à chaque début de saison une équipe compétitive. Après une saison éprouvante et un effectif qui doit s’adapter aux contingences du front, le Stade Lavallois termine à la 3e place sur les quatre clubs engagés dans ce championnat de Bretagne 1917/1918.


La révolution du football français et la fin de la guerre


Avec les prémices de la création de la Fédération Française de Football se dessine une nouvelle ère. Alors que cette saison se termine à peine, elle va connaître pendant l’été 1918 l’épilogue d’une bataille qui n’avait jamais vraiment cessé malgré la guerre, au sein des instances du football français, et qui va précipiter les clubs et le football français dans une nouvelle ère.

Loin de l’union sacrée que l’on aurait pu espérer en ces temps troublés, le conflit opposant les différentes fédérations avant 1914 pour le contrôle du football s’est fortement cristallisé autour des différentes coupes et championnat mis en place depuis l’éclatement de la guerre. Il ne s’agit plus d’une bataille entre fédérations laïques et catholiques, qui d’ailleurs multiplient les rencontres interclubs, mais bien entre les tenants d’une fédération unique dédiée au seul football et ceux qui défendent, bec et ongle, sa présence au sein des différentes fédérations multisports gérant le football. L’un des clubs les plus revendicatifs va être le Stade Rennais qui va mener la fronde contre les instances parisiennes de ces grandes fédérations.

Le 23 Juin 1918, le Stade Rennais décide à une écrasante majorité de faire sécession et de couper définitivement les ponts avec les anciennes fédérations (Ouest Eclair 24 juin 1918). Il faut maintenant convaincre les autres clubs de créer une ligue indépendante consacrée uniquement au football. Et dans ce combat, le Stade Rennais va réussir à convaincre un allié de poids, le Stade Lavallois. Au cours d’une première assemblée générale, le dimanche 14 juillet puis d’une seconde réunie le mercredi 17 juillet 1918, faute de quorum lors de la première, le Stade Lavallois vote lui aussi son départ. Il devient ainsi l’un des acteurs majeurs de cette révolution qui mènera après la guerre à la création officielle de la Fédération Française de Football (F.F.F.). L’assemblée générale constitutive de la nouvelle Ligue de l’Ouest de Football Association (LOFA) se tient le dimanche 28 juillet 1918. Avec la création de cette ligue autonome, le football de l’Ouest ouvre une nouvelle page de son histoire.

La fin de la guerre ! En ce milieu du mois de Novembre 1918, ce que personne n’osait plus espérer, arrive enfin… Le 11 novembre 1918 à 5h15 du matin, dans la clairière de Rethondes en forêt de Compiègne, l’Armistice est signée entre les Forces alliés et l’Allemagne, marquant ainsi la fin de cinq années de terribles combats.


Soldats du 324e Régiment d’infanterie de Laval – (Document de l’auteur)

Le cessez-le-feu sera effectif à onze heures, entraînant partout en France des manifestations de joies qui vont durer deux jours. Cette sale guerre est terminée. Mais la Mayenne a payé un lourd tribut avec plus de 13.000 morts, ce qui en fait l’un des départements les plus touchés. Parmi eux, de nombreux joueurs du stade Lavallois, symbole de cette jeunesse d’avant-guerre fauchée alors qu’elle s’apprêtait à vivre ses plus belles années. Leurs noms sont à jamais gravés sur la plaque apposée sur la tribune d’honneur du Stade Francis Le Basser à Laval.

Le club, fierté de la ville et du département a failli mourir. Il a tenu grâce aux jeunes mais aussi aux soldats qui malgré la durée des combats ont voulu continuer pendant leurs permissions à faire briller les couleurs du Stade Lavallois, comme une ode à la vie. Espérons que jamais un enfant de la Mayenne ait encore à choisir entre un ballon et un fusil.

*Laurent Villebrun est Inspecteur de la jeunesse et des sports


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2 thoughts on “Le Stade Lavallois et la Grande guerre – Par Laurent Villebrun 🔓”

  1. Bel article, petite coquille … US Saint SeRvan et non US saint SevRan ! …. Ce n’est pas la Seine Saint Denis qui s étend jusqu’a St Malo !

    1. Merci pour votre lecture attentive, voilà qui est corrigé… et pour le compliment destiné à Laurent Villebrun… Cet article est un des beaux exemples de ce qu’on ne lit pas ailleurs en Mayenne. Et c’est sur leglob-journal…

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