Une lettre de doléances au Président Richefou : pour une « vraie » Solidarité 🔓

L'entréé du centre Murat à Laval où se trouve la Direction de la Solidarité

En [accès libre]. Une longue lettre au Président Richefou, postée à Laval, le 16 Novembre 2020 avec comme objet, un « préavis de grève au 11 décembre 2020 ». Elle est signée Thierry Georget secrétaire général du syndicat CFDT Interco de la Mayenne. « Le but, ce n’est pas forcement d’aller à la grève explique le syndicat, mais il nous parait important qu’un dialogue qui ne soit pas juste de façade, mais un vrai dialogue social digne de ce nom puisse s’instaurer. » A travers toutes les directions qui composent La Solidarité au Département – Petite enfance (Protection infantile et placements), RSA, Antennes de solidarité, Personnes âgées et handicapés -, c’est toute la Mayenne qui est concernée.

Un préavis pour « renouer le dialogue avec la collectivité »

Par Thierry Georget*


la lettre M sur leglob-journa, emblématique du département de la Mayenne

Monsieur le Président,

Les compétences primordiales du conseil départemental sont la solidarité et la cohésion sociale. Les missions qui en découlent sont exercées notamment par les professionnels de la Direction de la Solidarité.

La CFDT fait malheureusement le constat que le contexte actuel ne permet pas d’effectuer de façon opérante ces missions. Il est demandé aux professionnels de faire toujours plus pour les personnes en difficulté, en réponse à l’urgence sociale, quitte à contraindre ces agents à travailler dans des conditions de plus en plus dégradées.

Au-delà des objectifs tel que « l’amélioration de l’accompagnement pour aider à lever les freins et la facilitation du retour vers une activité professionnelle afin de permettre la sortie de la pauvreté », la stratégie gouvernementale dans le cadre du plan contre la pauvreté préconise aussi de « garantir les droits fondamentaux de l’enfant au quotidien » et « d’agir dès les premiers âges de la vie pour éviter la reproduction de la pauvreté » ainsi « qu’un meilleur accès aux droits et à la santé». Ces objectifs correspondent à leurs missions et impliquent de pouvoir accompagner les familles mayennaises avec les outils adaptés et le temps nécessaire pour ce faire.

Il est prouvé scientifiquement que la PREVENTION est « rentable » économiquement à court, moyen ou long terme. Elle n’est pas une « charge » mais un « investissement» Lorsque la prévention n’est plus possible, cela entraîne une montée en charge des mesures de protection, bien plus coûteuses pour le conseil départemental. L’accompagnement des personnes les plus fragiles prend du temps et le contexte actuel lié à la période de la Covid-19 fragilise encore davantage des Mayennais.

Certains tentent de faire porter aux acteurs du social une quelconque responsabilité dans la dépense publique alors que les droits des usagers n’ont jamais été aussi vérifiés. Leur travail ne « produit pas » de biens visibles et il est de ce fait difficile de mesurer l’impact immédiat de leurs actions professionnelles sur les Mayennais. Pourtant, nous constatons et mesurons tous en France, les conséquences du recul des services publics et des moyens alloués (humains, financiers et en termes d’outils), dans un certain nombre de secteurs.

Le contexte de l’exercice professionnel s’est beaucoup transformé : exigences de rationalité, procédures complexes, dossiers difficiles à remplir pour l’accès des usagers à leurs droits (dématérialisation), avec de moins en moins de temps d’échange avec les personnes reçues, l’accroissement des risques professionnels avec des usagers à bout, un délitement des missions pour une demande toujours plus exigeante de démarches administratives à en perdre la raison. Ils ne répondent qu’à l’imprévu et à l’urgence du moment.

Au fil des ans, des collègues formidables, motivés, impliqués et dévoués ont flanché, se sont épuisés et se sont perdus. La charge mentale est devenue trop lourde.

Certains ont quitté la collectivité, changé de voie. Il existe un turn-over de jeunes professionnels qui lâchent et abandonnent leur vocation, par manque de soutien. Le manque d’attractivité de ces postes est tel que des postes restent vacants. Les équipes travaillent en sous-effectif.

Des problèmes de santé apparaissent chez les agents : pertes de sommeil, surcharge mentale, épuisement général. L’engagement des professionnels est tel vis-à-vis des usagers et de leurs collègues que certains se refusent à accepter un arrêt maladie. Combien de temps pourront-ils tenir ? Peut-on par ailleurs travailler dans la culpabilité ?


Des moyens pour la protection de l'enfance
« Protéger l’enfance avec la définition d’un véritable Projet »

Comment les professionnels en souffrance peuvent-ils accompagner des personnes elles-mêmes en souffrance ?

Comment peuvent-ils avancer sur la protection de l’enfance sans la définition d’un véritable Projet (découlant de la loi 2016-297 avec son décret d’application de septembre 2016)?

Comment une psychologue ne peut-elle disposer que de 7h par an et par enfant dans un service ou d’une journée par semaine pour 250 jeunes dans un autre?

Comment un référent éducatif peut-il avoir jusqu’à 40 situations à suivre, [quand] les temps impartis entre le suivi auprès des familles et le rapport pour les instances juridiques ne lui permettent de ne pouvoir en suivre correctement que 12 ?

Comment accompagner les jeunes vers l’autonomie quand le service ne dispose plus des mêmes moyens : équipe réduite — plus de coordinateur — augmentation du nombre des situations?

Comment expliquer qu’un éducateur en maison d’accueil ne puisse plus faire que de l’accompagnement collectif alors que ces situations demandent un accompagnement individuel ?

Comment ne pas dégoûter un jeune assistant familial à qui le Département confie au moins un jeune, sans prendre le temps de lui organiser la formation initiale obligatoire ? Mais où placer les enfants qui relèvent du soin avec de multiples problématiques ?

Comment les assistants familiaux peuvent-ils accueillir des enfants, des jeunes au profil de plus en plus complexe sans réel accompagnement faute de référents éducatifs et de psychologues disponibles ? Comment maintenir l’équilibre vie perso-vie pro et l’attractivité du métier sans temps de repos mensuel pour les assistants familiaux et leurs familles ?

Comment rendre attractif le recrutement au sein de la Direction de la Solidarité lorsque les contrats sont précaires ?

Comment organiser la transversalité des services alors que les dernières réorganisations visent à spécialiser les missions ?

Comment réduire des délais qui ne cessent de s’allonger entre la prise de contact avec le service social et la proposition de RDV, ce qui a pour conséquences la dégradation des situations, l’agressivité des usagers, du mal-être chez les professionnels ?

Alors que c’est une préconisation du rapport des 1000 premiers jours de Boris Cyrulnic, comment expliquer que les visites à domicile pour les 1 ères naissances soient les premières à disparaître ?


Un vigile assure la sécurité devant l’entrée de la direction Solidarité au Centre Murat – © leglob-journal

Ce sont tous les professionnels de cette direction qui se retrouvent aujourd’hui en souffrance. Les arrêts de travail et les demandes de reconversion professionnelle se multiplient avec des répercutions inévitables sur les attendus des missions de tous les services.

La CFDT vous rappelle qu’en tant qu’employeur, vous êtes tenu par la loi de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de vos salariés.

Vous ne devez pas seulement diminuer le risque, mais l’empêcher. Cette obligation est une obligation de résultat. Vous avez également une obligation auprès des enfants qui vous sont confiés afin d’assurer leurs besoins fondamentaux en termes de développement physique, affectif, intellectuel et social et de préserver leur santé, leur sécurité, leur moralité et leur éducation quel que soit le statut de l’enfant.

Certes le social a un coût financier important. Nous pouvons changer ce regard, à partir du moment où ces dépenses apportent une plus-value, une richesse sur le plan humain, éducatif, social et sociétal.

Que souhaitons-nous comme société en Mayenne à l’horizon 2030 ?

Aujourd’hui, vous avez la responsabilité de ce choix. La CFDT vous engage donc à prendre au plus vite des mesures d’envergure afin que cette direction puisse remplir ses missions de façon la plus satisfaisante possible pour ces professionnels mais également pour l’ensemble des Mayennais.

Après vous avoir alerté maintes fois, l’ensemble des agents du social n’en peut plus. Devant ce manque d’écoute, le syndicat CFDT Interco de la Mayenne, représentant les agents concernés, vous adresse un préavis de grève pour le 11 décembre 2020 de 00h00 à 24h pour l’ensemble des agents des sites du conseil départemental.

Comme la réglementation le prévoit, la CFDT souhaite que cette période soit propice à des négociations afin de trouver des solutions fiables et durables. Le conseil départemental doit s’engager à travers un dialogue social sur la qualité de l’information, la qualité du contenu du travail, la qualité de l’organisation du travail, la possibilité de concilier vie professionnelle et vie personnelle, la qualité des relations sociales et de travail, la reconnaissance et la mise en œuvre de temps collectif de réflexion et d’analyse. Cette direction doit retrouver toute sa fonctionnalité et ainsi être garante d’une société à visage humain pour les décennies futures.

Comptant sur votre compréhension et dans l’attente de vous rencontrer avec une délégation des agents concernés, veuillez recevoir Monsieur le Président, l’expression de nos salutations.


*Pour le syndicat CFDT Iinterco de la Mayenne, le secrétaire général, Thierry Georget


Cette lettre écrite de façon collégiale a été reproduite ici dans son intégralité. Les phrases en caractère gras ont été mises en évidence par les auteurs. Seuls le titre, le chapeau et les citations extraites du texte sont de leglob-journal.


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