L’ombre de la cheminée d’Aprochim plane sur le village de Grez-en-Bouère en Mayenne – © leglob-journal.fr
Par Thomas H.
Affaire de la pollution de l’usine Aprochim à Grez-en-Bouère. Au Pôle Santé du tribunal judiciaire de Paris, Fanny Bussac et Brigitte Jolivet, les deux juges en charge de l’instruction ont fermé « le dossier Aprochim » ouvert pour « Mise en danger de la vie d’autrui et pollution ». Elles ont décidé de placer sous statut de « témoin assisté » la société Aprochim en tant que personne morale et son ancien Directeur au début des années 2000. Une décision aussitôt contestée.
Pour l’heure, « Ces deux mises en examen sont à la chambre de l’instruction de la cour d’Appel de Paris, pour examen, ce qui n’a pas d’effet suspensif » nous dit-on au Pôle Santé. « Le témoin assisté est le suspect à l’égard duquel des indices rendent vraisemblable qu’il ait pu participer à la commission de l’infraction, acte interdit par la loi et passible de sanctions pénales. » .
Cette décision conjointe en date du 11 octobre 2022 [Leglob-journal.fr ne l’a appris que récemment] signée par les juges Bussac et Jolivet de mettre en examen Aprochim et Alain-Henri Keravec marque la fin de leur instruction dans ce dossier de pollution en Mayenne révélée en 2011 qui avait été transféré de Laval au Pôle Santé de Paris.
Cet acte judiciaire est important à plus d’un titre pour les nombreuses parties civiles. Il « pourrait ultérieurement donner lieu à un renvoi de l’entreprise devant le Tribunal correctionnel de Paris pour les faits commis au début des années 2010 » si les magistrats de la cour d’Appel de Paris confirment cette décision des deux juges du Pôle Santé. Par ailleurs « C’est un acte judiciaire très favorable à la protection de l’environnement, des agriculteurs et des riverains » estime l’une des parties civiles dans ce dossier. Pour l’heure, Aprochim que nous avons contacté ne souhaite pas faire de commentaire, mais nous savons que la société a déposé un recours en référé devant le tribunal administratif de Nantes pour établir à l’aide d’un expert une pollution pouvant avoir été à l’origine de son voisin la société Nord Ouest Delaquage.
De l’emploi à la clé
« L’usine – comme le disait à l’époque sa communication officielle – développe une activité de dépollution et a traité depuis 20 ans plus de 175 000 tonnes de déchets au PCB. ». « Les polychlorobiphényles (PCB) sont des polluants organiques persistants c’est-à-dire des substances qui se désagrègent très peu dans l’environnement et au contraire s’accumulent dans différents milieux, et en particulier le sol. La production et l’utilisation des PCB sont [d’ailleurs] interdites depuis 1987 » explique le centre de lutte contre les cancers Léon Bérard à Lyon.
Spécialisée dans le traitement de déchets dangereux, l’usine avait été créée en Avril 1988 « au nom de l’Emploi« , comme l’avait justifié à l’époque Jean Arthuis le président centriste du conseil général de la Mayenne – nom du conseil départemental à l’époque – et son élu cantonal local Norbert Bouvet. Aujourd’hui, « avec une quinzaine de salariés, les enceintes ne sont plus actives et quatre années se sont passées sans dépassement des valeurs préfectorales » commente un expert qui ajoute que « l’ancien process de décontaminations a été repris, sans rejet dans l’atmosphère, sur des volumes de décontamination plus petit, mais produisant localement beaucoup plus de déchets qu’il faut traiter… »
Sous les radars
Après 23 ans d’activité passées sous les radars, Aprochim avait été placée sous surveillance en janvier 2011, après la détection de taux anormalement élevés de ces PCB volatiles, qui s’étaient « échappés » de sa cheminée et qui se sont logiquement retrouvés dans la production agricole de plusieurs fermes voisines. Du lait, de la viande, des œufs avaient été sérieusement contaminés. Et les productions détruites par prudence.
Selon une prise de parole officielle d’Aprochim à cette époque, ces déconvenues étaient dues à « l’apparition de nouveaux seuils et des nouvelles normes sanitaires strictes [qui] ont conduit la Préfecture à imposer l’abattage de troupeaux de bêtes dans des exploitations agricoles riveraines ». Cela n’était pas tant la faute des produits rejetés mais bien de celle des seuils qui avaient été relevés par l’administration. Trois cent bovins avaient dû être abattus et onze fermes placées sous séquestre total ou partiel.
Douze ans plus tard…
Va-t-on assister à un épilogue qui débouchera sur un procès ? Nous avons à faire à une mise en examen sous statut de témoin assisté à la fois pour la personne morale qu’est l’entreprise Aprochim et aussi pour un ancien dirigeant de la société. « Le témoin assisté est une personne mise en cause dans une affaire pénale. C’est un statut intermédiaire entre celui du témoin et celui du mis en examen. Ce statut donne des droits devant le juge d’instruction. Il peut changer au cours de la procédure. »
En 2012 Aprochim, filiale du groupe Chimirec était poursuivie pour des « pratiques déviantes dans l’élimination de déchets », et contestait sa responsabilité dans la pollution. L’usine employait 80 personnes et avec la crise économique et la mauvaise publicité d’alors liée à cette affaire, la production d’Aprochim avait de facto chuté de moitié en 2011. « Entre 450 et 500 tonnes de déchets sont traités par mois », déclarait à l’époque le directeur de l’entreprise, Alain-Henri Keravec.
Pour un ancien PDG d’Aprochim Alain Routa qui a été en poste de 1988 à 2004, les interventions qui ont été faites après la découverte de la pollution ont été, selon lui, très mal gérée. Voilà ce qu’il déclarait à leglob-journal.fr : « Mes successeurs ont très mal communiqué avec les agriculteurs, et les journalistes, en méprisant les premiers… je ne dirais que ça. (…) La pollution date de 2011 et on ne laisse pas pourrir des situations si longtemps… d’ailleurs quand je dis cela, c’est valable autant pour Aprochim que pour les services de l’État…»
« Mise en danger de la vie d’autrui et pollution »
Depuis 2007, bien avant la révélation de la pollution, le suivi médical des salariés de l’usine avait permis de déceler des taux d’imprégnation aux PCB bien supérieurs aux normes chez une vingtaine de techniciens en production. Après cette découverte, les autorités de l’État avaient demandé à l’entreprise d’améliorer la protection des salariés mais aussi de confiner les activités de dépollution dans une enceinte fermée. Aprochim avait d’ailleurs convoqué la Presse pour inaugurer son « vestiaire protégé » et montrer les mesures arrêtés pour les salariés. Elle avait par la suite mis en œuvre des systèmes de protection concernant les rejets de particules dans l’atmosphère.
Le parquet de Laval avait ouvert une information judiciaire pour « mise en danger de la vie d’autrui et pollution », après plusieurs plaintes déposées par des riverains inquiets pour leur santé et par des associations locales de protection de l’environnement. Le dossier avait été transmis au Pôle Santé du Tribunal judiciaire de Paris.
Photo de l’explosion d’un des fours à traitement des PCB utilisés dans l’usine de Grez-en-Bouère. La porte de l’étuve qui pèse une tonne avait été soufflé et projetée à plusieurs mètres le vendredi 13 Octobre 2017 – © leglob-journal.fr
Sophie Moreau figure dans la liste des parties civiles. Sa maison est toute proche de l’usine. A bout, parce qu’elle se disait ignorée, elle avait adressé un « cri de désespoir » à travers une longue lettre qu’elle avait envoyée au Préfet de l’époque : « Aujourd’hui je vous écris pour que vous nous veniez en aide par n’importe quel moyen (…) Je vous serais reconnaissante de lire ma lettre jusqu’au bout. Je ne souhaite pas non plus recevoir une réponse-type, faite par un secrétaire ou un collaborateur, je n’en ai que trop reçu ; je souhaite vraiment être entendue. (…) » Il faut dire que son mari qui a été « salarié d’Aprochim (…) de 2003 à 2015 (…) a déclaré la maladie d’Hodgkin avec traitement par chimiothérapie et rayons pendant six mois en 2005, soit deux ans et demi après son embauche… Je vous laisse imaginez le taux de PCB qu’il a dans le sang du fait qu’il a travaillé au sein de l’entreprise avec en supplément une alimentation chargée en PCB. écrivait-elle (…) Comme nous nous sommes constitués partie-civile au tribunal de grande instance du Pôle Santé à Paris contre la société Aprochim pour mise en danger de la vie d’autrui, c’était prévisible qu’il soit licencié ! ».
Dans cette lettre, Sophie Moreau poursuit : « (…) notre sang est empoisonné, nos enfants en bas âge ont été contaminés pendant leur développement. (…) L’employeur (…) savait qu’on faisait de l’autoconsommation, que nous avions trois enfants en bas âge (…) il avait connaissance de la pollution depuis début 2010, et nous a laissé nous empoisonner délibérément ! C’est un crime ! (…) S’il devait nous arriver quoi que ce soit de grave vous ne pourrez pas dire que vous n’étiez pas au courant de notre situation, et nous n’hésiterons pas à déposer plainte pour non-assistance à personne en danger en cas de nécessité. ». ◼